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mots-clés : VE, UE, USA, China, Politics, fake news, deepfake, Facebook, teamjorge, forbidden stories
Chers lecteurs,
Ma condition actuelle (immobilisation médicale), me permet d’offrir à mes lecteurs des articles plus nombreux ou d’actualité. Cela me permet aussi de voguer sur les flots de posts Facebook plus régulièrement. Pour rappel, les réseaux sociaux sont mon terrain de jeu de recherche…
Cet article est le premier d’une série de deux :
- Le premier a pour objectif de déconstruire la logique politique du Fake et les manipulations qui s’en suivent d’un point de vue politique. Nous parlerons du modèle « deepfake » pour illustrer celui-ci ainsi que de Team Jorge, une entreprise israélienne qui fait des fakes son métier.
- Le second va déconstruire l’information elle-même à travers des données factuelles.

L’objet
Depuis deux semaines, je vois fleurir une image récurrente sur la place dans le monde des décisions européennes pour l’interdiction des voitures thermiques…. Et nombre de profils typés (des personnes qui ont peur de ne plus profiter de leur liberté de mouvement dans la transition VT (véhicule de tourisme et thermique) vers VE (véhicule électrique). Une crainte fondée il faut le reconnaitre, je renvoie à différents articles que j’ai déjà publiés pour étayer mes propos :
- la voiture électrique un Pharmakon en puissance (15 février 2023)
- Le litre à 2.00 euros, what else ? Cela n’est pas qu’une question de portefeuille et voilà pourquoi c’est un problème. ( 8 mars 2022)
- La transformation des modes de déplacements s’accélère… par défaut. (29 novembre 2021)
- Hydrogène ou électrique, ma voiture balance (18 novembre 2021)
- Re-blog : le jour où la dernière voiture thermique a été vendue en France ( 20 octobre 2021)
- L’avenir des véhicules autonomes ou ode à une certaine lenteur. (30 septembre 2021)
- Faut-il être riche pour rouler en voiture électrique ? ( 14 septembre 2021)
- Mobilité et taxation : quels seront les grands gagnants de demain ? ( 31 août 2021)
- La mobilité de demain : vers des mutations urbaines profondes, le cas des BHNS. ( 23 août 2021)
- RE-blog : Pourquoi sera-t-il si difficile de réduire les émissions carbone des voitures et des camions ? (6 juin 2021)
- RE-blog : le casse-tête des infrastructures de recharges (en ville et sans garage), 10 décembre 2017)
- Etc.
Un deepfake model
Les deepfake sont des fakes réalisées en utilisant une vraie vidéo transformée dans les détails : paroles, visage de la personne transformé… bref des petits détails faux, basés sur une réalité concrète. Quelques deepfake célèbres montrent à quel point ces éléments peuvent être viraux :
- Une vidéo deepfake de l’ancien président américain Barack Obama créée par la société de technologie en intelligence artificielle Synthesia en 2020, dans laquelle Obama apparaît en train de parler d’un sujet qui n’a jamais été discuté. Cette vidéo a été créée pour sensibiliser aux dangers des deepfakes et à la nécessité de renforcer la vérification des sources d’informations en ligne.
- Une vidéo deepfake de l’actrice Gal Gadot réalisée en 2018, dans laquelle elle apparaît en train de parler couramment en chinois. Cette vidéo a été créée à l’aide d’une technique de deep learning pour modifier les mouvements de la bouche de l’actrice afin de correspondre à une voix chinoise préenregistrée.
- Une vidéo deepfake de l’acteur Tom Cruise créée par l’artiste numérique Chris Ume en 2021, dans laquelle il apparaît en train de faire du golf et de parler de sa passion pour le sport. Cette vidéo a été créée pour démontrer les capacités de la technologie de deep learning et les dangers potentiels des deepfakes
- Merci de votre assiduité à la lecture des articles de ce blog et n’hésitez pas à partager ou laisser un commentaire, notre objectif est de créer des échanges à travers les questions liées à l’urbanisme, la ville, l’architecture… dans un monde digitalisé.
la carte qui circule actuellement sur les réseaux sociaux et plus particulièrement Facebook est une version cheap de la deepfake : on utilise une information presque vraie et (vous aurez remarqué que la Californie n’est pas un pays !) présentée avec d’énormes biais (la taille d’un pays/continent mélangé avec l’interdiction des VT en oubliant au passage que la taille ne fait pas tout, mais bien la manière dont on l’utilise. Nous y reviendrons dans notre deuxième article qui décortique les chiffres.
Team Jorge
Nous allons donc continuer à parler de la stratégie des Fakenews, leur objectif et comment cela se met en place. Commençons par une histoire :
« Team Jorge » est le nom donné à une entreprise fantôme, privée, démasquée en 2022 par un groupe de journalistes d’enquête du consortium Forbidden Stories dans le cadre du projet Story Killers. Cette officine politique secrète (jusqu’en 2023), créée par Tal Hanan, s’est présentée comme étant principalement constituée d’une équipe d’anciens militaires israéliens, lesquels se sont spécialisés dans le renseignement et l’influence, grâce au dénigrement de personnalités, le sabotage d’élections, la construction de récits inventés, la propagande, la manipulation de l’opinion publique (et en particulier des choix électoraux), « aux dépens de l’information et de la démocratie » selon les journalistes enquêteurs. Pour ce faire, le groupe utilise des logiciels espions et malveillants, ainsi qu’une plateforme logicielle « intelligente » baptisée Advanced Impact Media Solutions, ou Amis, capables de créer, diffuser et gérer de faux profils, de faux comptes en ligne et de fausses informations sur les réseaux sociaux : une « ferme de robots informatiques » et un « catalogue de plus de 30 000 profils automatisés de fausses personnes […] utilisés par Jorge pour poster en rafale des commentaires sur les réseaux sociaux, faire monter une polémique » et notamment pour manipuler les résultats de processus électoraux. Le groupe a été décrit par différents journaux en février 2023, après une opération d’infiltration qui a eu lieu à Tel-Aviv en 2022, conduite par des journalistes israéliens et français, dans le cadre du travail d’un consortium de journalistes d’investigation coordonné par Forbidden Stories. Selon les données disponibles, l’organisation « Team Jorge » est active dans l’industrie de la désinformation depuis au moins 2015. Elle se targue d’avoir manipulé trente-trois élections présidentielles dans le monde, dont beaucoup en Afrique, avec vingt-sept cas des résultats positifs pour ses clients. Les journalistes infiltrés se sont fait passer pour des clients potentiels, intermédiaires d’un dirigeant africain désireux de décaler, voire de faire annuler, des élections, et ils ont pu filmer leurs interactions avec Tal Hanan – le chef du groupe « Team Jorge » et ancien agent des forces spéciales israéliennes. Il a lui-même décrit et expliqué une partie du fonctionnement interne de l’organisation6 et fait une démonstration de l’efficacité de ses outils informatiques.wiki, 05 mars 2023.
Il fut beaucoup question de ce team ces dernières semaines, justement parce que les journalistes d’investigations ont révélé cette entreprise… qui vous manipule. Je vous convie de rejoindre ce lien de Forbidden stories (fondation journalistiques pour traquer de manière indépendante certains sujets délicats et ayant déjà à son palmarès les Projet Pegasus, Daphné, Cartel, Mining secrets, etc.) et traitant aujourd’hui de l’objet Jorge : Story killers : au cœur de l’industrie mortelle de la désinformation
Le team Jorge a pour but de déstabiliser un pays, un gouvernement, modifier le cours de élections, etc. Cela doit vous rappeler Cambridge Analytica et son influence sur les élections américaines, le Brexit ou encore Tobago. Je vous renvoie à cet exceptionnel documentaire sur Netflix qui traite de cette question en profondeur : the Great Hack, l’affaire Cambridge Analytica, 2019 et qui nous fait découvrir l’envers du décor avec une des actrices repenties de cette entreprise.
Une amélioration du modèle, encore plus sournois
Le team Jorge a encore amélioré le modèle par la création de profils d’avatars sur les réseaux sociaux qui sont des vrais profils… d’IA. Ces profils ont une fausse vie, un faux métier, des faux liens, des faux amis (qui sont eux-mêmes faux, mais pas que). c’est tout ausis valable pour les pages, etc. Un jour, ces profils au nombre de quelques centaines publient en même temps la même information. Cette information est également relayée par des journalistes payés pour le faire. L’objectif avoué sort de la bouche d’Alexander Nix, ancien patron de Cambridge Analytica :
Les choses n’ont pas forcément besoin d’être vraies, du moment qu’elles sont crues.
L’objectif avoué (extrait de forbidden stories) : Plusieurs rendez-vous ont eu lieu avec « Jorge », trois en ligne puis un dernier dans ses bureaux. L’occasion de discuter longuement avec l’ancien sous-traitant de Cambridge Analytica et d’assister à ses démonstrations en live. « Nous fournissons un service, principalement du renseignement et de l’influence. Ce sont nos compétences de base », explique-t-il en guise de préambule. En dehors de ces « capacités technologiques », « Jorge » peut aussi « construire un récit », qu’il s’agira ensuite de propager. Et de se vanter : « 33 campagnes présidentielles, dont 27 ont été couronnées de succès ». On notera au passage que cela vous coûtera environ 5 à 6 millions d’euros pour reporter une élection en Afrique, mais ne soyons pas en reste, l’Europe n’est pas épargnée, par exemple (extrait de forbidden stories):
- Au Royaume-Uni, à l’automne 2021, les avatars AIMS s’en prennent vertement à l’agence de sécurité sanitaire britannique. Son tort ? Avoir ouvert une enquête sur un laboratoire accusé d’avoir fourni environ 43 000 faux résultats négatifs de test Covid à ses patients. Le groupe propriétaire de ce laboratoire a réfuté tout lien avec « Jorge », arguant n’avoir jamais eu vent de son existence.
- En 2020, ces mêmes avatars participent à une violente campagne de dénigrement contre l’homme d’affaires de hongkongais George Chang, propriétaire de 90 % du port de Panama.
- La même année, l’armée de bots « AIMS » vole au secours d’un ancien haut fonctionnaire mexicain, sous le coup d’un mandat d’arrêt international, Tomás Zerón. Ex-directeur de l’agence chargée des enquêtes criminelles au Mexique, de 2013 à 2016, Zerón est accusé d’enlèvement, de torture et de falsification de preuves dans l’enquête sur la disparition de 43 étudiants en 2014. Impliqué dans l’acquisition du logiciel espion Pegasus par les autorités mexicaines, il est aujourd’hui en fuite en Israël, qui refuse de l’extrader. Mais pour les bots créés par Jorge, ces accusations ne constituent qu’une campagne orchestrée à l’encontre d’un « innocent » par le « président corrompu » du Mexique, Andrés Manuel López Obrador. M. Zerón « n’est responsable d’aucune campagne en son nom et ne sait pas qui se cache derrière chaque commentaire sur les réseaux sociaux », explique son avocate Liora Turlevsky.
L’ensemble de ces technologies s’appellent AIMS, un outil global qui s’adapte à la demande. Et à la lecture des exemples que je viens de vous présenter (merci aux journalistes d’investigation), vous commencez peut-être à vous rendre compte que si vous avez vu passer l’image de l’UE microscopique face au reste du monde « qui allait sauver le monde en interdisant les VE » pourrait bien être une fake de manipulation des masses jouant sur les craintes dont je vous parlais au début.
Un biais cognitif
La puissance de cette machination s’appuie sur l’incrédulité des personnes : « si mon ami et mon amie qui sont des gens sérieux partagent cette publication, c’est que c’est vrai ». C’est le phénomène du « tiers de confiance ». Mais le tiers de confiance n’est pas infaillible et qu’il a des biais : ici on parle de la crainte de perdre ses acquis.

Team Jorge s’appuie aussi sur le fonctionnement même des réseaux sociaux qui travaillent par cercles de connaissances proches : les gens qui publient cette fake info sont tous dans le même cercle : des personnes cadres moyens/employés ou pensionnés, bien conscients que l’obligation des véhicules électriques sonne le glas de leur mobilité et leur confort de liberté. Une analyse juste et dont nous parlons au tout début de cet article, mais qui est un biais cognitif manifeste : on a envie de trouver des raisons « objectives » de contrer cette décision car elle nous fait peur.
Un effet boule de neige
Lorsque le seuil viral est atteint, il s’autoalimente : les médias majors commencent à s’emparer du sujet c’est entre autres le cas de cette image qui circule actuellement sur les réseaux sociaux à partir de la revue française AutoPlus, et nous avons également vu passer des nouvelles du même type (la Norvège va interdire les voitures électriques par exemple…) sur des sites belges. Ou encore, cet article Fin des moteurs thermiques en Europe en 2035 : que se passe-t-il ? publié dans le site obscur motor1.com qui est un producteur de données et non de contenu, les contenus étant à faible contenus et probablement réalisés à partir d’IA… sauf les articles servant à la manipulation.
Dans ce contexte, les influenceurs profitent des besoins financiers de la presse exsangue financièrement en fournissant des articles put-a-click, sachant très bien que la grande majorité des lecteurs ne liront pas plus loin que le titre.
Pour suivre…
Comme déjà précisé, nous proposons deux articles, ce premier a pour objectif de vous montrer comment apprendre à se méfier de ce qu’on partage. Personnellement, mon œil de chercheur a commencé à briller lorsque j’ai vu un nombre important de « vrais amis » sur Facebook publier cette image/intox alors qu’ils n’étaient pas dans les mêmes cercles d’amis; est ensuite survenu des articles incongrus des médias plus larges relayant l’info que la voiture électrique est une catastrophe. Certes, je vous avoue que je travaille sur le sujet de la transition automobile depuis de nombreuses années et en lien avec les question territoriales, y compris sur les alternatives comme l’hydrogène, ce qui m’a appris à comprendre la désinformation globale à ce sujet et de mieux appréhender le sujet des enjeux de la voiture électrique actuellement. Enfin, je vous rappelle que je suis chercheur sur l’analyse des réseaux sociaux. Le pire de cette histoire, c’est que c’est tellement bien ficelé qu’il est difficile de sortir le vrai du faux. Donc, il ne faut pas vous en vouloir…
En complément, je vous invite à suivre mon prochain article sur le sujet, il va déconstruire l’info qui est relayée et montrer qu’elle n’est absolument pas crédible, à tout le moins manipulée et biaisée.
Merci de votre assiduité à la lecture des articles de ce blog et n’hésitez pas à partager ou laisser un commentaire, notre objectif est de créer des échanges à travers les questions liées à l’urbanisme, la ville, l’architecture… et aujourd’hui de la mobilité, dans un monde digitalisé.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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