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mots-clés : mobilité, territoire, Wallonie, stratégie, villes créatives, classes sociales, créative city, mobility, Wallonia, Politics, country.
Chers lecteurs,
Nous restons toujours dans la célébration de la mobilité en ce prémisse du mois de septembre et nous allons aujourd’hui parler des mutations de mobilités du travail au travers d’une étude menée récemment en Île-de-France.
Contexte
Nous vous parlons très régulièrement du modèle des villes créatives, développé par des experts universitaires comme R. Landry ou R. Florida. Cette théorie de globalisation des enjeux urbains au travers des très grandes métropoles et autres villes mondiales présente de nombreuses déficiences sociales (Seattle is dying and then ? , 10 septembre 2019). Toutefois, il faut également reconnaitre que ce modèle fonctionnait très bien pour générer de la richesse urbaine.
Du point de vue de la mobilité, les cadres se rapprochent des centres-ville et les métiers de services à la personne ou techniques se déplacent en périphérie (les cœurs des villes sont truffés de gens intelligents, 9 octobre 2019), non par envie de la ville « au plein air », mais bien du mécanisme reconnu de la réduction de valeur des logements en fonction de la distance. Un mécanisme toutefois à nuancer dans des mégalopoles comme San Francisco où le loyer moyen est de 4.000 euros pour un petit appartement en centre-ville (2020) et contribue à « éjecter » les cadres traditionnels (vs Startups technologiques) (pourquoi rester dans une ville aussi chère de SF quand on peut partir avec son ordinateur dans la Sierra Nevada, 19 mai 2020).
Une situation qui amène à un nouveau paradoxe que peu de gens s’imaginent : les transports en commun urbains sont devenus des transports utilisés majoritairement par des cadres, les chiffres parisiens le confirment : 50% de cadres utilisant les transports en commun pour aller travailler. Ils en sont les premiers utilisateurs.
Usage des transports en commun
La densité du réseau parisien est un atout pour le transfert modal. L’étude démontre une croissance des transports publics en 10 ans. Toutefois, il faut encore une fois nuancer :
L’arbitrage entre voiture et transports publics pour aller travailler reste principalement déterminé par le lieu de travail : 70 % des actifs travaillant à Paris s’y rendent en transports en commun et seulement 15 % en voiture. Pour les actifs dont le lieu de travail se trouve en grande couronne, c’est strictement l’inverse : 18 % vont travailler en transports en commun et près de 70 % en voiture. En petite couronne, la situation est plus contrastée : dans les Hauts-de-Seine, qui bénéficient d’une desserte en transports en commun très dense, notamment sur les grands pôles d’emploi, la moitié des actifs vient y travailler en transports en commun, contre un tiers en voiture. C’est l’inverse dans le Val-de-Marne. Pour les actifs travaillant en Seine-Saint-Denis, les usages sont plus équilibrés entre la voiture (45 %) et les transports publics (42 %).
A l’analyse, on constatera donc que la distance au travail est un facteur déterminant pour un choix modal. Or, comme déjà précisé ci-devant, les employés et ouvriers sont renvoyés de plus en plus loin vers la périphérie urbaine, faute de moyens pour acheter un logement en agglomération.

Note de synthèse BSI, Thomas Ermans, Céline Brandeleer, Michel Hubert, Kevin Lebrun et Florentine Sieux, 2018
Modèles de taxations pervers
Dans le même temps, les villes développent de plus en plus une approche restrictive d’accès par les automobilistes… sauf a avoir de grands moyens et de s’offrir la dernière E-Tron GT de chez Audi ou la célèbre Tesla. Des véhicules définitivement plus chers que leurs ainés à moteurs thermiques. On notera d’ailleurs que l’avant-garde électrique ne vient pas des marques low cost, mais bien prémium.
Les modèles de taxation actuels et à venir semblent tous s’orienter sur la restriction de la mobilité individuelle et nous en avons déjà parlé sur ce blog. Les taxes de type « au kilomètre », normes restrictives selon les certifications EURO 1, 2 , 3… 6 donc des véhicules propres, mais plus chers (pour rappel 65% du marché des immatriculations en Belgique est lié au marché de l’occasion).
Bref, la ville restreint légitimement son accès aux véhicules polluants, mais paradoxalement, ce sont les travailleurs les moins nantis qui en subissent la plus forte imposition.
Enjeux
La vile de demain sera technologique et écologique. Une transition couteuse pour la rendre plus vertueuse face aux enjeux climatiques et réduire son entropie. Ajoutons à cela la nécessité de produire localement et nécessitant un rééquilibrage de la ville créative, dédiée aux cadres et riches habitants, vers une ville plus mixte. Dans ce contexte, la question de savoir si tout le monde pourra vivre en ville pour répondre aux enjeux de mobilité « propre » se pose. Nous en doutons… dès lors, la ville et son influence en couronne nécessitera des investissements massifs en transports en commun, non pas pour son cœur de ville souvent assez bien desservi, mais bien son agglomération.
Malheureusement, ce type d’investissement (pensons au rêve du tram-train est-ouest dans le Brabant wallon) est loin d’être dans les cartons publics, car beaucoup trop couteux. Or, la cohésion sociale sera probablement à ce prix sauf à accepter des territoires de première zone et les autres de seconde zone. Il apparaitrait de nouvelles formes de ségrégations territoriales liées aux conséquences de la concentration urbaines des activités et que l’on soit riche ou pauvre en mobilité.

Conclusion
La mobilité de demain se concentre souvent aujourd’hui dans les villes belges et particulièrement les villes wallonnes, au rattrapage du manque d’investissement dans les transports en commun. L’arrivée des BHNS et extension de lignes de tram pour les deux grandes villes de Lièges et Charleroi le démontre. Toutefois, le retard initial ainsi que le manque de stratégie régionale ferrée (avec une SNCB coincée dans les imbroglios politiques régionaux) posent évidemment question pour la suite de l’évolution des besoins de mobilité sociale et économique. La Belgique a élaboré une stratégie de dilution du territoire depuis le début de la révolution industrielle, elle est aujourd’hui confrontée au défi d’une concentration raisonnable pour les 15 années à venir, soit le temps pour passer d’une politique de mobilité individuelle diluée à celle d’une politique multimodale concentrée.
A défaut, les moins nantis seront ceux qui paieront le plus cher… leurs manques de moyen à vivre en agglomération ou en centre-ville.
Merci de votre lecture
article source : Navettes domicile-travail : les cadres grands bénéficiaires du recentrage des emplois
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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