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mots-clés : VE, Pharmakon, paradgime, développement, territoire, durabilité, prix, autonomie, EV, sustainability, country, range, price
Chers lecteurs,
Depuis de nombreuses années, j’anticipe le risque de l’avènement des véhicules électriques dans la société et surtout notre quotidien des gens. Il semble qu’à la lecture de quelques articles en fin d’année 2022, mes prévisions semblent de plus en plus se confirmer.
Définition du concept de Pharmakon
Avant d’aller plus loin, expliquons le titre choisi : le Pharmakon, c’est quoi ?
Le concept est philosophique et a pris toute son essence dans la modernité actuelle. En Grec le pharmakos est « celui qu’on immole en expiation des fautes d’un autre ». Il est la victime expiatoire dans un rite de purification largement utilisé dans les sociétés primitives et dans la Grèce antique. Le mot a fini par prendre en grec, à l’époque classique, la signification de malfaiteur1. Afin de combattre une calamité ou de chasser une force mauvaise et menaçante, une personne, parfois revêtue de vêtements sacrés, ou un animal était choisi et traîné hors de la cité, où il était parfois mis à mort. Cette victime sacrificielle, innocente en elle-même était censée, comme le bouc émissaire hébreu, se charger de tous les maux de la cité2. Son expulsion devait permettre de purger la cité du mal qui la touchait, d’où l’ambiguïté du terme grec qui, au neutre (φάρμακον, phármakon), pouvait signifier aussi bien « remède », « drogue », « philtre », que « poison » ou « venin ».
Bernard Steigler mit à jour ce concept avec l’École de philosophie d’Epineuil-le-Feuriel en traitant des ruptures technologiques actuelles et de ses conséquences sociales si on ne les accompagne pas (Ars Industrialis).
Par extension, le Phamakon est à la fois un remède et un poison. Pour la voiture électrique, c’est un remède à un modèle polluant qu’est la voiture thermique, mais c’est aussi un poison, car il modifie profondément la liberté de mobilité, tant pour des raisons techniques de recharges limitées que par le fait que « tout le monde ne peut pas acheter une voiture électrique ».
Prédictions
J’ai le plaisir de vous renvoyer à quelques articles qui m’ont permis de cheminer sur la question de la voiture électrique dans notre société, ses risques et conséquences :
- Le litre à 2.00 euros, what else ? Cela n’est pas qu’une question de portefeuille et voilà pourquoi c’est un problème. ( 8 mars 2022)
- La transformation des modes de déplacements s’accélère… par défaut. (29 novembre 2021)
- Hydrogène ou électrique, ma voiture balance (18 novembre 2021)
- Re-blog : le jour où la dernière voiture thermique a été vendue en France ( 20 octobre 2021)
- L’avenir des véhicules autonomes ou ode à une certaine lenteur. (30 septembre 2021)
- Faut-il être riche pour rouler en voiture électrique ? ( 14 septembre 2021)
- Mobilité et taxation : quels seront les grands gagnants de demain ? ( 31 août 2021)
- La mobilité de demain : vers des mutations urbaines profondes, le cas des BHNS. ( 23 août 2021)
- RE-blog : Pourquoi sera-t-il si difficile de réduire les émissions carbone des voitures et des camions ? (6 juin 2021)
- RE-blog : le casse-tête des infrastructures de recharges (en ville et sans garage), 10 décembre 2017)
- Etc.

Aujourd’hui
Je pressentais qu’au fur et à mesure de l’évolution du marché, celui-ci allait se crisper de deux manières :
- La première concerne les gens qui désirent réellement changer de véhicule thermique par un véhicule électrique. Aujourd’hui ce sont essentiellement les patrons de PME, ou cadre des flottes en leasing. Vu le nombre important d’immatriculations ces dernières années, le nombre d’utilisateurs augmente de manière exponentielle… et les retours d’expériences aussi. Tels les pionniers de la voiture thermique à la fin du 19e siècle, les pionniers de l‘électromobilité sont aujourd’hui confrontés aux multiples contraintes de l’électrique. Mais au contraire du 19e siècle où on était passé d’une calèche qui roulait à 15 km/h, on avait avec la voiture, un moyen de mobilité différent et plus performant. Avec la voiture électrique, c’est tout autre, car personne ne se préoccupe de changer l’approche de la voiture électrique : une ode à la lenteur et un mode de déplacement qui nous déplace au lieu que ce soit nous qui déplacions la voiture d’un point a vers un point b. bref, même les vendeurs sont encore dans l’ancien logiciel (et les constructeurs tout autant), avec la volonté de continuer à démontrer un certain plaisir, la vitesse, avec des accélérations fulgurantes… mais qui réduisent votre autonomie de moitié. Aujourd’hui, seul Mercedes semble avoir compris ce tournant en proposant des voitures immersives et particulièrement avec leurs prototypes de voiture « salle de concert » avec les acteurs de la haute-fidélité et du cinéma en dolby atmos.
Et on oubliera en Wallonie que les contraintes sont « basiques » avec 2.000 bornes électriques pour véhicules contre 17.000 en Flandre… bref, impossible de rouler aussi facilement qu’avec une thermique. La voiture électrique est une contrainte, pire, un déclassement de la liberté. - La seconde est encore plus fondamentale : ça coûte cher. Certains constructeurs semblent continuer à espérer à arriver à produire des voitures électriques à qualité égale des voitures thermiques et au même prix, ce qui est impossible sauf à révolutionner la technologie des batteries. Donc, à minima, si vous achetez une voiture électrique à prix équivalent d’une voiture thermique, vous allez vous retrouver avec une voiture à l’autonomie divisée par 2 ou 3 en été… et 4 ou 5 en hiver. Un récent reportage sur TF1 résumait formidablement cette situation : sur un voyage de 600 km entre Paris et les alpes en période de grand froid, le premier conducteur roulait en Ferrari hybride (si, si, ça existe) et le second en Peugeot 208 électrique. Le premier est arrivé 6 heures plus tôt que le second… pour 600 km.

Le constat de ces deux crispations se retrouve dans la tendance du moment
Un premier article du trends Tendance, revue hebdomadaire belge dans le domaine entrepreneurial, titrait de manière explicite : Enquête: Les Belges sont de plus en plus réticents face aux voitures électriques (22 décembre 2022). Cet article relatait les résultats d’une étude de BNP Paribas Fortis signant que L’opposition aux véhicules électriques est particulièrement forte chez les personnes de plus de 55 ans et du côté francophone. Et de compléter L’enquête commandée par BNP Paribas Fortis montre que 47 % des personnes interrogées envisagent de passer à une voiture électrique ou hybride avant la fin de la décennie. Il y a un an, ce chiffre était encore de 52 %. Pas moins de 35 % des Belges déclarent qu’ils ne passeront jamais à une voiture électrique. C’est beaucoup plus que les 29 % qui ont fait la même déclaration en 2021. Une situation souvent ressentie par de nombreux acteurs travaillant dans le monde du VE.
BNP constate également la problématique du coût, mais pas que : Chez les particuliers, le prix d’achat relativement élevé de ce type de véhicules constitue le principal obstacle. Néanmoins l’autonomie, le temps de recharge et le manque de stations de recharge inquiètent également de nombreux Belges.
Au-delà de ce constat, et preuve que le logiciel n’a pas encore changé : « Les gens sont prêts à changer d’avis, mais seulement si cela n’a pas d’impact sur leur vie« , conclut M. Teunen. Or, la voiture électrique aura, qu’on le veuille ou non, un impact sur notre vie :
- Le fait que la voiture électrique devient un véhicule plus confortable au détriment de la vitesse remet en question la raison même d’avoir une voiture si on ne roule que 20 à 30 km /jour. Or Huit familles sur dix s’accrochent à leur voiture (à moteur thermique) comme moyen de transport, même si la distance jusqu’à leur lieu de travail ne dépasse souvent pas 20 kilomètres.
- Et sera-t-il raisonnable de continuer à acheter un véhicule beaucoup plus cher pour ne rouler que moins de 20 km/jour ?
La perte de mobilité sera un fait, sauf en milieu urbain comme les grandes villes de Charleroi et Liège avec leurs trams et bus à hauts niveaux de services. Pour ces raisons, les gens hésitent tout simplement de plus en plus à changer de voiture : L’enquête commandée par BNP Paribas Fortis montre que 47 % des personnes interrogées envisagent de passer à une voiture électrique ou hybride avant la fin de la décennie. Il y a un an, ce chiffre était encore de 52 %. Pas moins de 35 % des Belges déclarent qu’ils ne passeront jamais à une voiture électrique. C’est beaucoup plus que les 29 % qui ont fait la même déclaration en 2021.
Dans le même temps, la taxation des voitures thermiques va continuer à augmenter et c’est sans compter que les gens vont avoir de plus en plus de difficultés à se déplacer à cause des LEZ (Law Émission Zone). Ainsi, même avec la voiture thermique on ne pourra plus se déplacer sauf en milieu rural et ce sera par défaut (pas de recharge ni de transports en commun).
Enfin, précisons que la Belgique est très particulière dans ce contexte social explosif : le mitage de ses territoires depuis des siècles et renforcé depuis l’après seconde guerre mondiale va laisser sur le côté de la route une kyrielle de personnes : sans mobilité, car avec un véhicule thermique et sans transports en commun pour aller en ville.
Les années à venir sont sombres pour les pauvres à venir, c’est-à-dire une grande partie de la nouvelle classe moyenne : employés, ouvriers qualifiés, etc. Tous ceux qui ont profité de cette croissance unique dans l’histoire humaine après la guerre. Le réajustement social de l’évolution sociale des générations qui prenaient avant 2 siècles pour passer d’une catégorie à une autre va se voir rétrograder en 30 ans, le temps qu’elle aura mis pour grimper les échelons.

Alors, pourquoi un Pharmakon ?
Parce que ces mêmes catégories de population sont celles qui sont en première ligne du réchauffement climatique. Et donc, toutes les actions pour réduire le risque d’augmentation de la température terrestre de 1.5°C sont bonnes à prendre pour protéger les très faibles et les faibles qui ne s’en rendent pas encore compte (la nouvelle classe moyenne fraichement élue depuis 1 génération). Le choix de la voiture électrique n’est donc pas absurde. Cependant, ce déclassement climatique est encore peu appréhendé et donc, personne ne désirera faire des concessions. La question reste posée : qui/que va-t-on bruler ? Les voitures thermiques de l’ancien temps carboné ou les habitudes sociales qui perdurent ?
Et cette question n’est pas anodine, Cthulhus, pseudo d’un journaliste de jeux-vidéo.com raconte dans un article édifiant sa vie avec une voiture électrique célèbre et avec un oiseau bleu (enfin, presque). Il précise : Ceci est un retour d’expérience sur la voiture électrique au quotidien et l’impact sociétal qu’elle entraîne. Je suis propriétaire d’une voiture électrique depuis plus d’un an et l’avenir est inquiétant. Incivilités ou autres agressions verbales sont de plus en plus nombreuses envers les électro-mobilistes. Je tente ici d’analyser ce phénomène inquiétant. Son article Violence verbale, colère… Depuis que j’ai une Tesla, ma vie est un enfer publié le 25 décembre 2022 qui laisse face à la question qu’il se pose : pourquoi les voitures électriques dérangent certaines personnes ? Les discussions peuvent alors monter dans les tours allant de simples joutes verbales sur les réseaux sociaux ou discussions à l’apéro aux insultes, railleries voire agressions et vandalismes. Voilà ce qui peut être le quotidien de certains électro-mobilistes. (…) C’est un nouveau problème sociétal qui commence à prendre de l’ampleur dont le combat devrait voir son paroxysme à l’horizon 2035, date à laquelle les voitures thermiques neuves ne seront plus autorisées à la vente…
Pourquoi la voiture électrique fait peur ?
Il propose deux raisons :
- Le prix
- L’autonomie
Bref, les états poussent à acheter plus cher et moins bon. Cela peut frustrer. Et de conclure que la complexité de la voiture électrique fait que ces dilemmes sont de plus en plus quotidiens.

Discussion
Cette problématique va empirer dans les années à venir. Y a-t-il un remède ? Peut-être, arrêter de comparer le VE à la voiture thermique ? Ces deux modes de déplacements sont différents, tant dans leur conception technique : la voiture électrique est un gros ordinateur sur route ; que dans la conception du confort : elle va permettre de ne plus conduire la voiture et donc de faire autre chose. Si nous faisons autre chose, le temps dans la voiture n’est plus comptabilisé de la même manière.
Ce sera un premier pas, sans oublier ceux qui en rêveront, mais ne pourront plus se déplacer qu’avec des modèles hybrides du type, car-sharing ou, plus simplement les transports en commun qui deviendront, paradoxalement, les véhicules plus rapides pour se déplacer d’un point a à un point b.
Le sujet est loin d’être épuisé…
Merci de cette lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
Très bel article.
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