LORSQUE LES VILLES PRENNENT DES RISQUES, ÇA PAIE

Temps de lecture : 6 minutes + vidéos
Mots clés : Mons, résilience, universités, transports en communs, mobilté, ville appaisée

Il y a des villes qui prennent des risques et cela paie, parfois il faut le rappeler dans le contexte actuel de transition, transformation, transgression à différentes échelles de la gouvernance urbaine. C’est le cas de Gand que je visite à peu près au moins une fois par an et ville sur laquelle j’ai aussi travaillé pendant 1 an avec mes étudiants en 2019-2020. Et à chaque fois je vois cette ville évoluer. Il y en a d’autres comme cela, Charleroi, par exemple, mais la force de Gand est de proposer aujourd’hui un contexte suffisamment cohérent que pour donner une vue d’ensemble des politiques lancées voici près de 10 ans. Et l’enjeu majeur est celui de la mobilité et de la convivialité : réduction de la mobilité en créant un énorme centre piétonnier, développement d’infrastructures en soutien à ces mutations : la grande halle, la bibliothèque, développement du logement étudiant en centre-ville, etc. Parallèlement, la ville a transformé son centre avec des boucles de mobilité ne permettant plus le transit sauf, bien sûr, au niveau du Ring.

vidéo : une explication de la mise en œuvre de la mobilité apaisée au cœur de Gand

Il me vient tout à coup cette envie de démontrer que c’est aussi possible en Wallonie ! Prenons le cas de Mons, ville pionnière de la rénovation urbaine dans les années 80 et qui est aujourd’hui dans une forme de stagnation due au développement du plus grand centre commercial périphérique de Wallonie et l’un des plus grands de Belgique avec plus de 100.000 m² (Grands Prés, IKEA et Retail stores). Sans nul doute, cela a transformé le centre-ville, mais comment cette ville n’a-t-elle pas réagi alors que la dynamique de Mons 2015 Capitale culturelle européenne a permis de nouveaux développements culturels ? Plusieurs pistes de réflexion pour comprendre :

Il n’y a pas de centre culturel à Mons

Il est assez étonnant qu’il n’y ai aucun lieu rassembleur culturel tel que fait office la bibliothèque de Gand . Un lieu où on peut s’asseoir, lire des journaux gratuitement, boire un café, louer un livre, jouer aux jeux vidéo. En d’autres termes, un tiers-lieux ! Un espace hybride plein de potentiel développé par les gens eux-mêmes. Des espaces comme les abattoirs, la fondation 2015 pourrait servir à cela…

Les abattoirs, Mons. Arch. Matador.

Le centre-ville n’est pas apaisé.

Dans le cadre de mon travail à l’université, j’encadre des étudiants de master en architecture. Pendant l’année académique 2018-2019, nous avons travaillé avec mes étudiants sur la question de la ville créative. La vingtaine d’étudiants aux tempéraments très différents sont tous arrivés à la conclusion que le centre-ville de Mons, c’est-à-dire le cœur historique, devait devenir piéton. L’exemple de Gand est assez significatif en ce sens : alors que les experts s’imaginaient que le transfert modal en vélo passerait à 35% d’ici 2030, en fait il est de 35%… aujourd’hui et grâce à la piétonisation complète du centre-ville. cette expérience est la démonstration que la volonté politique fait choc de changement. et complétons que c’est payant : le bourgmestre en fonction a été réélu!

Dans le cas de Mons, si le cœur historique est piétonnier jusqu’à son Ring, c’est la première couronne qui doit être organisée en boucle. L’un des effets collatéraux sera le questionnement de l’usage autre que la voiture pour aller amener ses enfants à l’école avec pour effet secondaire, une meilleure accessibilité du centre-ville qui est encombré tous les matins… avec les pics de pollutions continus alentour de ces écoles.

Notons que nos étudiants avaient également proposé la transformation de tous les espaces dédiés aux voitures en lieux de convivialité, shops, etc. L’exemple de la réouverture du canal à Gand démontre que ce n’est pas une utopie.

Le commerce doit se régénérer, mais pour cela il a besoin d’un nouveau logiciel.

Actuellement, le commerce dans la rue piétonne historique est déliquescent. Il y a pourtant, chaque matin, 45.000 étudiants qui débarquent ou vivent dans la ville. C’est sans compter les enseignants, etc. Toutefois, essayer de retourner vers le passé est inutile. De nouveaux commerces, liés au shoppertainement doivent être développés dans les axes commerciaux en déclin. Quelques exemples fonctionnent et devraient en inspirer d’autres, non pas pour refaire la même chose, mais bien pour comprendre que l’offre de service est la clef pour le commerce local et indépendant de demain. En outre, imaginez les 45.000 étudiants à pieds dans la ville… car ils n’ont pas d’autres alternatives.

le Markthal, Rotterdam. Arch. MVRDV

Notons au passage que les mutations gantoises ne sont pas sans failles : la gentrification est bien présente et l’embourgeoisement aussi. Mais je fais partie de ceux qui considèrent que la ville est un éternel recommencement et e mutation continue. La gentrification fait partie des ces mutations et la question est plutôt de savoir si la ville est suffisamment accueillante pour pour tout le monde plutôt que de maintenir les pauvres à certains endroits et les riches à d’autres.

Allez chercher les habitants du Borinage

L’ensemble des responsables politiques borains et montois s’accordent sur la nécessité de remettre en place un transport en commun structurant entre la ville et son agglomération. Des études ont été menées, les ingénieurs ont des doutes sur la rentabilité. Peut-être serait-il judicieux de lancer (enfin) une étude économique sur l’apport d’un BHNS ou d’un Tram dans l’économie du territoire, de l’offre de service et de mobilité permettant de mieux atteindre les nouveaux emplois dans un territoire malheureusement encore fortement touché par le chômage ? Les enjeux de la ville de demain seront la mobilité partagée tout autant que la qualité de vie. Les espaces wallons ont été pensés par le monde économique et les politiques comme des territoires mités jusqu’à l’os afin de maintenir les populations dans leurs villages plutôt que de les concentrer en ville. C’est la conséquence de choix de la révolution industrielle afin de garder un contrôle social sur les populations: diluer pour contrôler. Et cela a marché exception faite de quelques grèves dans les années 1960 et 1980. Une période qui, justement, voyait les transports en commun fermer les uns après les autres. Le dernier tram en Hainaut a été bouclé en 1991, la ligne 89 La Louvière Binche-Anderlues. Aujourd’hui, le transfert modal devient une survie : enjeux climatiques, enjeux économiques avec le coût de l’essence et des véhicules électriques. Une alternative structurant le territoire n’est donc plus seulement un choix économique, c’est un instinct de survie.

À défaut, le Borinage va s’éteindre à petit feu consumant au passage la ville régionale de Mons.

A contrario, l’ensemble des habitants du Borinage pourraient retrouver le cœur de Mons grâce à un transport performant comme les trams traversant le cœur de la ville de Gand. Comme disait Steve Jobs : think Different.

La capitale picarde se convertit à l’électromobilité. Depuis le 11 mai dernier, 43 bus, 100% électrique circulent sur les lignes de bus à haut niveau de service ( BHNS) appelées Némo.  Une première en France. source : https://www.environnement-magazine.fr/mobilite/article/2019/06/12/124807/nemo-premier-service-bhns-electrique-amiens

Alors voilà, ce petit post me taraudait depuis longtemps. Il n’a pas la prétention habituelle de contextualisation théorique, il se veut local, tranché et volontaire. La discussion est ouverte. Mais ce qui est certain, c’est que la poule aux œufs d’or qu’est l’université dans la ville ne pourra survivre que si la ville elle-même survit. Et à y regarder de plus près, il ne faut jamais dire jamais : le campus et la dynamique de Charleroi sont des sirènes que personne ne peut refuser. À terme les cartes seront rebattues avec la fusion des hautes écoles et dès l’université pour constituer un pôle de plus de 60.000 étudiants dans l’ensemble du Hainaut (Université Condorcet, ça sonne pas mal, non ?). Peut-être y aura-t-il un Pôle I à Mons et un pôle II à Charleroi (n’y voyez aucun mauvais jeu de mots). A très long terme, l’agglomération montoise de 200.000 habitants perdra la main face à celle de Charleroi et ses 380.000 habitants, c’est mathématique; sa seule chance pour éviter cela, c’est de devenir ambitieuse et vertueuse… comme Louvain-la-Neuve, l’histoire et le patrimoine en plus.

Le futur campus de la cité des Métiers. Le bâtiment Gramme (ULB/UMONS) au fond à gauche). aménagement espaces publics : Bas Smets, arch. bâtiment Gramme : Metzger + Archipel

Merci de votre lecture.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Curator. Spécialiste Smart Cities et données urbaines, Université de Mons, Faculté d’architecture et d’urbanisme

sources :

le site du BHNS de Charleroi
Fondation MONS2025
Schéma Directeur pour l’aménagement de la RN 51 entre Quiévrain et Mons, ULiège

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