VOITURES ÉLECTRIQUES : LE DILEMME DE L’INNOVATEUR POUR LES CONSTRUCTEURS EUROPÉENS

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mots-clés : VE, VT, innovation, politique, Europe, fake news, conservatisme

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En bref : les acteurs des réseaux sociaux en Europe s’activent beaucoup contre les voitures électriques. Derrière ce conservatisme local, les constructeurs européens sont pris entre le marteau et l’enclume. certains disparaitrons, comme Kodak.

Chers lecteurs,

Nous avons largement parlé des acteurs des différentes Fakenews sur les VE en proposant tout et son contraire d’infos liées aux « horreurs » des VE :

Mais aussi des conditions sociales et techniques :

Ce relevé non exhaustif des publications sur mon blog met en évidence deux choses : la première, c’est que je ne suis pas tendre envers la transformation de la mobilité, car celle-ci risque déjà d’affecter le quotidien des gens. la seconde, c’est que je considère que l’évolution de la mobilité est multifactorielle et que la transformation de l’énergie qui donne du « carburant » pour avancer n’est qu’un paramètre parmi d’autres. Dans ce contexte, force est de constater un manque réel de discours adapté de la part des responsables politiques. D’autre part, je tente souvent de déconstruire les Fakenews ou le surplus d’informations sériées qui alimentent continuellement les pages FB, Réels TikTok, etc., sur les réseaux sociaux.

Dans ce contexte, nous allons parler aujourd’hui un peu de stratégie et de la complexité de la situation pour les constructeurs européens, qui sont pourtant leaders sur le marché automobile de qualité en Europe et dans le monde.

De la poule et l’œuf

Dans un article de deux auteurs américains (D. KEITH, Professeur adjoint de dynamique des systèmes au MIT et C.R. KNITTEL, Professeur d’économie appliquée et directeur du Centre de recherche sur les politiques énergétiques et environnementales, MIT) publié dans The Conversation (version UK en 2017) précisaient un problème de base pour la transition VT > VE « En fin de compte, le passage des véhicules à combustibles fossiles aux véhicules électriques est un problème classique entre œufs et œufs. ». En d’autres termes, on a besoin des deux encore pour quelque temps.

Et si les experts scientifiques ont finalement tranché sur le fait que c’est la poule qui est arrivée avant l’œuf, aujourd’hui, nous avons deux œufs de la poule de la mobilité qui pose de nombreuses questions. Une question plus globale qui est la progression du nombre de véhicules immatriculés en Europe, mais une régression dans les pays de l’Ouest européen. Ainsi la revue en ligne (sponsorisée pour le lobby automobile belge) GOCAR, précisait le 5 décembre 2024 que Les ventes de voitures toujours dans le rouge vif en Belgique, signalant que l’on connaît les chiffres de vente des véhicules pour le mois de novembre 2024. Et comme pour octobre, ils ne sont pas bons du tout. La chute des ventes de voitures particulières atteint encore les -15%. Ce constat pourrait laisser croire que la voiture privée est en perte de vitesse, mais pourrait aussi être d’autres raisons. Hypothèses :

  • En premier, les VE sont plus chers que les VT. C’est un fait : le surcoût est évalué aujourd’hui à 40 %. Selon les études, il s’élève à 40 % du coût d’une nouvelle R5 de chez Renault comparativement à son équivalent thermique, en considérant un salaire constant. Bien évidemment, les portefeuilles ne sont pas de puits sans fond. Pour autant, faut-il retrouver aux VT ?   Car on constate également que les VT sont de plus en plus technologiques et   donc nécessitent aussi 20% à montant égal pour être acheté.
  • Deuxièmement, les modes de vie évoluent et de moins en moins de personnes apprécient de perdre 1 heure de leur journée dans des embouteillages. Certes, pour ceux qui en ont les moyens, les véhicules haut de gamme facilitent la vie avec des systèmes de conduite automatisée, mais ce type de véhicule est à minima hybride et, le plus souvent… des véhicules full électriques.

Ces hypothèses seraient-elles suffisantes pour réduire structurellement la vente des véhicules privés et utilitaires légers ? Probablement pas. La troisième raison, les deux premières n’étant pas exhaustives, nous semblent être la question de la peur du changement et surtout de l’incertitude véhiculée par les « anti-écologies » qui ont trouvé dans la voiture électrique le bouc émissaire parfait.

Quelques certitudes et incertitudes

L’Europe n’est pas une île exclue des évolutions mondiales. Notre article de mars 2025 avec l’évolution des véhicules électriques en Afrique montre que, même sur le continent qui semble le plus improbable pour développer les VE, ceux-ci s’installent réellement et pour des raisons géopolitiques évidentes de balance commerciale. Que les voitures soient européennes ou chinoises, peu importe, l’enjeu est de réduire le risque d’approvisionnement de matières premières transformées : le pétrole. Dans ce contexte, les politiques européennes vacillent grâce aux populistes qui alimentent le troupeau en défendant le VT. Un modèle voué à disparaître, soit par sa pollution, soit par l’augmentation des coûts des matières premières transformées, qui vont s’envoler dès que le marché artificiellement maintenu par la guerre en Ukraine s’effondrera, entraînant une forte réduction de la production de pétrole par le Moyen-Orient. On notera également la présence des Chinois sur le marché qui, s’il ne vend pas de voitures en Europe ou aux USA, les vendra en Afrique (et fournira les stations de recharges en prime).

Toujours en Europe, le taux de pollution et de mortalité qui suit les VT est tel que la population va, sans aucun doute, un jour se rebeller contre les conducteurs. Une situation spécifiquement urbaine : les habitants des grandes villes revendiqueront, pour les élections, une diminution drastique du nombre de voitures en ville. Dans un premier temps, les VT seront interdits (c’est déjà le cas avec les restrictions des normes Euro 4, 5 et enfin 6). Ensuite ce seront les VE. Ce n’est pas les votes intempestifs du Parlement bruxellois qui changeront le Kronos de ces choix très « urbains », qui font écho à une nouvelle féodalité urbaine : tu vis en ville, tu as des services, tu vis en dehors, tu paies à l’entrée pour ces mêmes services (ton ticket de métro ou de bus, à minima). Enfin, n’oublions pas non plus que si le parlement européen, qui est aujourd’hui très à droite, venait à déplacer l’interdiction de vente des VT au-delà de 2035, le marché automobile est supporté par les ventes professionnelles.

Or, la CSRD et double comptabilité est de plus en plus applicable aux grandes et petites entreprises. On ne parle pas ici de pollution, mais bien de financement des entreprises, des multinationales et des PME qui devront intégrer dans leurs mobilités diverses l’impact carbone dans leur bilan. Le carbone coûte de plus en plus cher… Il en résulte aujourd’hui une transformation globale du marché avec 48% des immatriculations en UE qui sont soit des VE, soit des véhicules hybrides (Hybrid & electric cars make up 48% of new registrations, Eurostat, 13 décembre 2024)

Bref, les voitures électriques ne sont pas que des joujoux de bobo friqués, mais bien le haut d’un iceberg qui exprime la transformation en profondeur de notre économie, des villes et des habitants des villes. Et ça tombe bien, la Belgique est un des pays les plus urbanisés sur Terre.

Les incertitudes sont très faibles dans le domaine du développement des voitures électriques. L’une d’entre elles est le type de batterie. Il faut reconnaitre que les VE ne sont pas un optimum d’efficacité d’autonomie. Il y a d’ailleurs un paradigme absurde dans les technologies actuelles : plus la batterie offre une grande autonomie, plus elle est lourde et donc consommée. Plus elle est lourde, plus la voiture doit développer des chevaux moteurs importants et donc des moteurs électriques plus grands… Qui consomment plus. Aujourd’hui, aucune technologie ne propose de batteries légères et « long range ». Toutefois, à y regarder de plus près, plus de 85% de la population route 15.000km/an tout au plus, soit… 41 km/jour, alors que les plus petites batteries de voitures full électriques proposent 250km d’autonomie par grand froid. Il y a de la marge pour tomber en panne en pleine campagne belge où on trouve un village tous les 3.5 km.

La question des batteries s’évapore dans les brumes de l’incertitude : leur durée de vie. Les batteries VE ont une durée de vie finie et subissent progressivement une dégradation, un processus de changements chimiques et physiques qui réduisent leur capacité à maintenir une charge au fil du temps. En conséquence, les performances de la batterie diminuent avec l’âge, ce qui soulève d’importantes questions pour les acheteurs potentiels de véhicules électriques neufs ou usagés concernant la longévité de la batterie, la durabilité de leurs composants et les options lorsqu’il atteint la fin de sa vie. Cette question est légitime puisque la durée de vie des véhicules pour les premiers propriétaires est de 6 à 8 ans en moyenne et en France, l’âge moyen de l’achat d’une première voiture neuve est de 51 ans ! En d’autres termes, si on achète une voiture neuve ou d’occasion, on espère qu’elle sera encore de bonne qualité.

D’une part, les VE sont conçus comme les VT avec une durée de vie de 15 à 20 ans. Les piles VE sont généralement considérées en fin de vie lorsqu’elles descendent en dessous de 70 à 80 % de leur capacité d’origine.

Cependant, les progrès de la technologie des batteries suggèrent que de nombreux VE maintenant maintiennent leurs performances bien au-delà de ce seuil de capacité, de sorte que l’utilisation de ce critère pour déterminer la fin de vie des batteries lithium-ion pourrait bien devenir obsolète à l’avenir. De nombreux constructeurs automobiles offrent des garanties pour une moyenne de huit ans ou 160 000 km, mais les données du monde réel montrent que les batteries durent souvent beaucoup plus longtemps. Tesla en fait la malheureuse expérience, car, avec intelligence ils avaient prévu le recyclage de leurs batteries de voitures pour les batteries d’habitation (un problème important lié aux black-out répétés dans les USA ruraux). Malheureusement, la production de batterie d’habitation ne suit pas la demande faute de matière première recyclée… Parallèlement, on développe d’autres modèles de batterie. Cela devrait donner confiance aux pionniers afin de changer de mode de transport privé à 4 roues, car ce sera encore meilleur la prochaine fois.

Une autre incertitude insinuée dans l’esprit de nombreux conducteurs qui n’ont jamais testé une voiture électrique est la difficulté de réserve de batterie et ainsi « la peur de tomber en panne ». On ajoute à cela le risque de tomber en panne pendant l’hier. Ces craintes s’appuient sur le début de l’histoire des VE (2010-2012) où les stations de recharges étaient difficiles à trouver. Aujourd’hui cette question n’en est plus une d’autant que les planificateurs intégrés à la voiture gèrent cela merveilleusement bien.

Enfin, l’incertitude est alimentée par de nombreux groupes de pression climatosceptiques et souvent extrémistes. Peu de gens font la différence entre ces groupes et de vrais utilisateurs. Mieux, ces groupes sont instrumentalisés par des lobbys qui fournissent plus de mèmes qu’un boulanger pour le dimanche matin. On notera au passage l’importance russe dans ce jeu de dupe, la Russie ayant un intérêt certain à maintenir sa rente énergétique à long terme pour continuer sa politique guerrière.

Le dilemme de l’innovateur

Le titre de l’article traite du dilemme de l’innovateur, définition :

Le « dilemme de l’innovateur » (ou Innovator’s Dilemma) est un concept introduit par Clayton M. Christensen dans son ouvrage éponyme publié en 1997. Ce dilemme explique pourquoi des entreprises établies et prospères peuvent échouer face à des innovations de rupture, malgré leur gestion efficace et leur capacité à répondre aux besoins de leurs clients existants.

Définition

Le dilemme de l’innovateur survient lorsque des entreprises établies, concentrées sur l’amélioration continue de leurs produits ou services (innovations incrémentales), négligent des technologies ou des modèles économiques émergents (innovations de rupture) qui ne correspondent pas initialement aux attentes de leurs principaux clients. Ces innovations de rupture, bien que souvent moins performantes au départ, ciblent de nouveaux marchés ou des segments délaissés, finissant par surpasser les technologies dominantes et bouleverser le marché.

Raisons principales : Focus sur les besoins actuels des clients

Les entreprises établies tendent à concentrer leurs ressources sur l’amélioration des produits pour satisfaire leurs clients les plus rentables. Cela les pousse à ignorer les opportunités dans des segments moins lucratifs ou émergents.

Rentabilité à court terme

Les innovations de rupture ont souvent des marges plus faibles au départ, ce qui les rend moins attractives pour les grandes entreprises, focalisées sur la maximisation des profits à court terme.

Risque d’investissement

Investir dans une technologie émergente ou un marché incertain peut paraître risqué, surtout lorsque les produits existants continuent de générer des revenus importants.

Rigidité organisationnelle

Les structures et processus internes des entreprises établies, optimisés pour leur activité principale, rendent difficile l’adoption de modèles innovants.

Quelques exemples célèbres :

  • Kodak: Malgré avoir inventé la caméra numérique, Kodak a négligé cette technologie pour protéger son activité principale de films argentiques, ce qui a conduit à son déclin face à l’essor de la photographie numérique.
  • Blockbuster: Blockbuster a sous-estimé l’impact du streaming vidéo proposé par Netflix, préférant se concentrer sur la location de DVD en magasin.

Des pistes de solutions pour surmonter le dilemme : créer des entités indépendantes, adopter une perspective à long terme, explorer les besoins non satisfaits… Et surtout ne pas écouter les conservateurs.

Le dilemme de l’innovateur souligne l’importance pour les entreprises de constamment réévaluer leurs stratégies pour s’adapter aux transformations du marché et aux nouvelles technologies. Les constructeurs automobiles européens ont particulièrement hésité dans les années 2010-2020 face à la voiture électrique. Malheureusement, les investissements automobiles se prévoient à 10 ans minimum. D’un autre côté, des entreprises comme BMW on voulut investir dans l’Hydrogène, sans aucune chance de percer pour les raisons énoncées dans un de nos articles en amont de celui-ci. Mercedes a fait rêver en voulant proposer une version différente de ses classiques berline. Des voitures extraordinaires (j’en conduis une) , mais qui ne peuvent contenter l’ensemble de sa clientèle plutôt conservatrice. Ajoutons à cela de fausses informations divulguées directement ou indirectement à toute personne désirant changer de véhicule… On comprendra mieux pourquoi les véhicules chinois sont en train d’envahir le marché : ils n’ont pas eu le dilemme de l’innovateur, ils ont directement innové dans l’électrique, laissant la thermique aux autres. Le constructeur BYD espère devenir le 3e constructeur au monde, les Japonais fusionnent… les Européens ne savent pas où donner de la tête, car les politiques versatiles de l’Europe et des villes (ZFE) ne permettent pas de développer une politique claire en matière de production automobile. Or, les investissements sont colossaux et ces tergiversations risquent de tuer certains ténors de l’automobile avec un marché local qui les aura torpillés dans leur choix stratégique.


EQE, design sketch

Il est encore temps pour sauver l’économie automobile européenne, d’autant que le nombre de voitures privées va diminuer dans le temps eu égard aux nouveaux besoins et comportements des nouvelles générations ainsi ‘une démographie qui risque de s’effondrer d’ici 2050 : moins d’habitants, moins de conducteurs, moins de voitures. Toutefois, pour la sauver, il faut tracer un chemin clair vers une transition douce vers la voiture électrique. La question n’est pas pour ou contre, c’est une question de survie… dans un monde en pleine transformation, n’en déplaise aux conservateurs. Ou bien tout le monde a peut-être envie de rouler en voiture chinoise ? Perso, je préfère mon AMG… électrique.

Bonne et belle journée à vous.

Pour complément :

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Ph.D, Architecte et urbaniste, data Scientist, expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB. Complémentairement, je suis membre du bureau et trésorier du Conseil francophone et germanophone de l’ordre des architectes, baron au sein du Conseil national de l’Ordre des architectes.

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