UTILISATION DES VÉHICULES ÉLECTRIQUES EN AFRIQUE, UTOPIE OU PRAGMATISME?

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mots-clés : Afrique, VT, VE, pollution, transformation, économie, Éthiopie, 2030
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En bref : nous résumons ici un article intéressant sur l’analyse de l’électrification de la mobilité en Afrique… Histoire de tordre le cou à certaines idées préconçues !

Chers lecteurs,

Le site internet de The Fix City est basé sur les travaux des experts spécialisés dans le monde des questions urbaines et rattachés au World Ressources Institute (US) qui a pour doxa « Ce dont le monde a besoin, c’est d’une grande transition. Et l’IRG a la recherche, les partenariats et la portée mondiale pour aider à faire les choses correctement ». Chaque année, il fait un récapitulatif de ses meilleurs articles. Nous avons pris un peu de retard depuis la fin de l’année, mais voilà qui est réparé. Le site renvoie à de nombreux articles, nous vous laissons le loisir de le visiter et les lire : TheCityFix’s Top 10 Blogs de 2024. Nous allons, toutefois, nous arrêter à un seul article : Utilisation des véhicules électriques à travers l’Afrique, par Japheth Kipkirui et Amos Mwangi, publié le 27 mars 2024

« Nos voitures thermiques vont en Afrique »

Le port de Cotonou, au Bénin, est une des principales entrées africaines pour les VO venant d’Europe. source JournalAuto, 2018

Le continent africain est habituellement le lot de phantasmes, entre autres sur l’envoi des « vieilles caisses » vers le continent et depuis l’Europe. Certes, il y a un réel commerce entre les deux continents et il suffit de visiter les garages du quartier des abattoirs à Bruxelles pour le comprendre, toutefois, nous sommes loin des chiffres lancés à la tête des lecteurs Facebook, particulièrement des pages anti-climat, anti-écologistes, antisystèmes, etc.

Chaque année, entre 3 et 4 millions de voitures d’occasion sont exportés d’Europe vers l’Afrique et le port et hub principal de ce commerce est le port d’Anvers, mais c’est à Bruxelles que se concentre une grande partie des activités liées à l’achat, la revente et la préparation de ces véhicules. Ce chiffre est à mettre en parallèle avec le nombre de voitures en circulation en Europe : 257.000.000 de véhicules (chiffre 2023, Eurostat). En d’autres termes, le marché « africain » représente 1,5% du parc automobile, alors que la progression des immatriculations entre 2018 et 2018 est de 6.3%, essentiellement lié au développement du nombre de véhicules par ménages dans les pays de l’Est.

« Nous sommes les seuls à imposer les VE « 

Dans le même temps, l’Afrique est étonnante et innovante. C’est le cas en Éthiopie où les VT sont interdits à partir de…2024 ! Pour rappel, l’Europe vise les 2035, la Californie entre 2030 et 2035, l’es USA (avant Trump) pour 2035-2040 et la chine sera en 2040…. bien qu’aujourd’hui 90% des voitures vendues en chine sont déjà électriques.

Les ambitions audacieuses de l’Éthiopie visent à atteindre 500.000 véhicules électriques importés d’ici 2030. Cette croissance exponentielle est d’autant plus remarquable que le pays ne comptait que 1,2 million de véhicules immatriculés pour une population de 126 millions d’habitants avant le lancement de cette initiative. Si la tendance se maintient, les véhicules électriques pourraient représenter près de 30% du parc automobile éthiopien d’ici la fin de la décennie, un taux de pénétration comparable à celui de pays bien plus développés économiquement.

On est même intrigué par cette politique volontariste, mais qui semble beaucoup plus pragmatique : selon le CEO de Dodai, une entreprise africaine active dans l’électrique, « si on attend que l’infrastructure soit prête, cela prendra des décennies », justifiant ainsi l’audace de l’Éthiopie, qui est devenue le premier pays à interdire l’importation de voitures à essence et diesel. » (Africanews, 3 octobre 2024). Le gouvernement soutient cette révolution avec des incitations fiscales, dont un taux de 0 % de droits d’importation pour les véhicules électriques, une décision stratégique pour stimuler le secteur. Sasaki souligne également l’impact économique positif : « En passant des véhicules à essence aux véhicules électriques, vous pouvez réduire de 95 % les coûts d’exploitation. » Toutefois, à ce jour, seuls quelques garagistes sont capables dans la capitale éthiopienne de fournir l’expertise nécessaire.

Néanmoins, l’analyse approfondie de la politique éthiopienne devrait faire réfléchir les Européens : le Premier ministre Abiy Ahmed, lauréat du prix Nobel de la paix en 2019, est le fer de lance de cette initiative. Depuis son arrivée au pouvoir en 2018, il a multiplié les projets ambitieux en matière d’écologie, allant de la construction du plus grand barrage hydroélectrique d’Afrique à des campagnes massives de reboisement. L’interdiction des véhicules thermiques s’inscrit dans cette lignée, témoignant d’une volonté politique forte de positionner l’Éthiopie comme un leader de la transition écologique sur le continent africain. (L’Éthiopie à l’avant-garde de la mobilité électrique : une transition audacieuse, mais semée d’embûches, 12 septembre 2024). Derrière cette surprise, des objectifs très économiques apparaissent. Contrairement aux apparences, la motivation première de cette politique n’est pas environnementale, mais économique. L’Éthiopie, comme de nombreux pays en développement, fait face à une pénurie chronique de devises étrangères. En 2023, le pays a dépensé plus de 6 milliards d’euros en importations de carburant, une somme colossale pour une économie encore fragile. Yizengaw Yitayih, expert au ministère des Transports et de la Logistique, explique sans détour : « Le décret doit d’abord nous aider à rationaliser nos dépenses en devises étrangères » (ibid.). En effet, en forçant la transition vers l’électrique, l’Éthiopie espère réduire drastiquement sa dépendance aux importations de pétrole, libérant ainsi des ressources précieuses pour d’autres secteurs de l’économie. Si l’aspect économique prime, les bénéfices environnementaux de cette transition ne sont pas négligés. L’Éthiopie, qui tire déjà 96% de son électricité de sources hydroélectriques, voit dans cette politique une occasion de capitaliser sur ses ressources naturelles tout en réduisant son empreinte carbone. Le grand barrage de la Renaissance sur le Nil, inauguré en 2022, joue un rôle central dans cette stratégie. Avec une capacité de production actuelle de 1 550 mégawatts-heures, extensible à 5 000 MWh à terme, ce projet pharaonique fournit une électricité verte et bon marché, estimée dix fois moins chère qu’en France. Cette abondance d’énergie propre et peu coûteuse est un atout majeur pour soutenir la transition vers la mobilité électrique.

Et le reste de l’Afrique ?

C’est là que l’article de The Fix City nous propose une vision plus large qui montre que la transformation de la mobilité thermique vers l’électricité n’est pas un enjeu de bobo-écolos, mais bien un enjeu mondial de santé publique et de mobilité durable, extrait : Malgré la contribution minimale des pays africains aux émissions de gaz à effet de serre (GES), elles sont parmi les plus touchées par les effets négatifs des gaz à effet de serre sur le changement climatique. Et les villes africaines qui connaissent une croissance rapide, qui n’ont pas la capacité économique et institutionnelle de s’adapter, sont souvent les plus touchées. Les villes africaines sont confrontées à des impacts climatiques, tels que la détérioration de la qualité de l’air (contribuant à plus de 383 000 décès par an sur tout le continent), les inondations, la chaleur extrême et la rareté de l’eau. Des chiffres à comparer avec les 253 000 décès recensés en Europe (chiffres 2021) selon un rapport de l’Agence européenne de l’environnement (AEE) et publié en novembre 2023. Soit plus d’un demi-million de morts/p/an à comparer avec les 1.8 million de morts du COVID en 2020 (selon l’OMS). En d’autres termes, depuis le COVID en 2020 et 2021, il y a eu autant de morts du Covid que des particules fines dans les continents euro-africains. Ces particules fines sont issues de deux causes majeures : la mobilité et le chauffage.

2023 Agence Afrique

Face à ce défi, alors que l’Afrique est le continent qui contribue le moins au réchauffement climatique, les VE ne sont pas en reste pour transformer les modes de déplacements : Au cours des cinq dernières années, de nombreux gouvernements africains se sont réveillés des possibilités qu’offre l’électrification des véhicules, qu’il s’agisse d’améliorer la qualité de l’air urbain, de réduire la dépendance à l’égard des carburants importés, d’améliorer la fabrication automobile locale ou d’atteindre les objectifs d’atténuation du changement climatique. Plusieurs pays subsahariens se sont même fixé des objectifs d’électrification axés sur l’augmentation de la part des VE dans les immatriculations annuelles des véhicules. Le Rwanda, le Ghana, le ZambiaKenya, le Cap-Vert, la zambie et d’autres pays mettent en place des politiques globales en matière de mobilité électrique ou mettent en œuvre des réglementations et des incitations autonomes.

Le plus intéressant dans ce qui se passe en Afrique est que le marché est bien différent de celui des pays de l’Hémisphère nord et donc des initiatives originales apparaissent pour répondre au plus près du marché : « de nombreuses start-ups se sont concentrées sur l’électrification des types de véhicules populaires dans les villes africaines, comme les minibus et les motos à deux et trois roues, ont prospéré. ».

L’Afrique aurait peut-être quelques pistes à proposer aux Européens et à divers étages de la résilience économique :

  • Répondre aux besoins : construire des véhicules adaptés au marché
  • Anticiper, être pionniers : l’Afrique n’est pas au niveau pour les charges et techniques électriques. Toutefois, certaines autorités ont décidé de passer le cap. C’est un choix discutable pour certains, mais il offre au moins l’opportunité de ne pas tergiverser et, comme souvent, l’économie n’aime pas l’incertitude.
  • Utiliser le changement pour favoriser les entreprises locales : l’Afrique n’a pas encore les moyens de s’acheter des VE, mêmes Chinois. Les pays africains comptent sur le développement local des entreprises qui développeront leurs propres marchés. Ainsi, la valeur de la transformation du marché sera captée partiellement par l’économie locale.

Au-delà de ces transformations économiques du marché de l’automobile, l’élément le plus signifiant des politiques africaines est sans nul doute le potentiel naturel du continent qui transparait dans les différents politiques initiées depuis quelques mois ou années : l’Afrique est riche de ses minéraux (pour les batteries), mais aussi de son soleil et ses ressources hydrauliques dans le climat tropical et équatorial où il pleut toute l’année. La volonté des responsables politiques est de réduire drastiquement leur dépendance à des pays tiers, comme ceux du Moyen-Orient ou les USA (aujourd’hui premier exportateur de pétrole au monde avec les gaz de schiste). La Chine a également compris cela en contournant complètement la recherche sur la mise en œuvre des VT et en passant directement au VE et sur les terres rares, sans oublier leur développement massif des énergies renouvelables (Energies renouvelables : la Chine à l’origine des deux tiers des projets solaires et éoliens dans le monde, The Guardian, 11 juillet 2024).

Seul semble rester un continent qui rechigne à faire de même : l’Europe, qui n’a pourtant pas de pétrole…

Bonne et belle journée à vous.

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Pascal SIMOENS Ph.D, Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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