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mots-clés : Covid-19, digitalisation, work, IA, dématérialisation, Forum économique mondial, world Economic Forum, 2020, report, october
Chers lecteurs,
Le 7 avril 2020, je proposais à votre lecture l’article Confinement à long terme ? Sur ce blog complété par une suite Confinement à long terme et crises : partie 2, le 9 avril. Il rencontra un vif succès de lectures sur base d’une analyse prospective : les emplois allaient s’effondrer dans les années à venir, pas tout de suite, mais bien des années durant.
Quelques mois plus tard, je constatai que cette prise de position avait dérangé en argumentant « la santé d’abord » dans le cadre de la Xième vague pandémique, mais également au travers d’un présupposé du maintient des travailleurs face aux avis catastrophique (dont le mien) , voire d’une paradoxale pénurie de travailleurs (cfr. soins de santé).
Visiblement, mes lecteurs (heureusement pas tous) et moi ne sommes pas toujours sur la même longueur d’onde et c’est heureux. Aujourd’hui et presque 2 ans après la publication de l’article, faisons le point pour essayer de nous réconcilier.
Ce n’est pas l’instant qui compte, mais la tendance
Si mes propos furent abrupts tel le confinement lui-même, aujourd’hui on constate déjà la mutation profonde du travail qui va nous faire entrer dans une crise de la pauvreté et pour longtemps, explications : derrière l’empressement de la plume pourfendant le confinement strict alors que finalement d’autres modèles non confinés ou semi-confinés ont démontré tout autant de pertinence (je m’appuie uniquement ici sur le nombre de morts total par pays) que les modèles essentiellement asiatiques et européens (les USA ont réagi de manière très variable selon les États) qui ont bloqué leur économie… ma réflexion appuyais sur mon expérience des mutations nuémriques dans la société et étudiées depuis plus de 10 ans maintenant.

Si les épidémies de pestes pouvaient être jugulées en Europe par les confinements médiévaux, nous en parlions dans notre article les épidémies ont toujours transformé les villes, quel vaccin aujourd’hui ( 11 juin 2020), cette manière d’agir avait du sens pour un territoire peu dense (pour rappel, l’Europe comptait 40 millions d’habitants au 15e siècle pour + de 400.000.000 aujourd’hui)[1] aux ressources naturellement abondantes. Aujourd’hui, il en est tout autrement avec un monde qui vit à crédit. Alors imaginez une économie à l’arrêt ne permettant plus d’alimenter en bien et services… impossible, voire dangereux faisant énormément plus de morts. Bref, même si les principes sont identiques, il semble que nos gouvernements aient choisi une solution du moyen-âge au temps des intelligences artificielles dans un contexte fondamentalement différent. Une situation que ne pouvaient qu’emmener des transformations rapides des systèmes, comme tout phénomène de choc largement étudié sur les territoires et en psychologie : choc et résilience. Le choc ne nous fera jamais revenir en arrière, il nous transforme et durablement. La question est ensuite : cette transformation prend-t-elle un bon chemin de campagne ou une autoroute ?
L’analogie au territoire est intéressante pour ce sujet, car elle nous explique que, sans accompagnement aux changements, les territoires s’effondrent naturellement par mutations complètes et progressives des usages. C’est le cas du littoral des Landes (France) avec l’érosion des plages qui nécessite une complète reconfiguration du littoral et son fonctionnement malgré les enjeux économiques de la pression touristique. D’autres territoires tentent de résister « jusqu’au bout » pour finir par s’effondrer très rapidement. Plus près de chez nous, c’est le cas de la Wallonie qui s’est acharnée à maintenir une sidérurgie moribonde pendant plus de 30 ans… et finalement constater la fermeture complète de toute la phase à chaud avec à la clé des milliers d’emplois perdus sans possibilité de reconversion simple.
Ce contexte posé, quels seraient la tendance et l’instant qui nous concerne ? L’instant est le déclencheur : la pandémie et le confinement. La tendance est la numérisation de l’économie et sa dématérialisation. Cette numérisation de la société et son économie n’est pas neuve, mais le confinement a accéléré les choses comme jamais : voilà le choc. Nous avons fait le choix pour le titre de cet article de reprendre une phrase de Saadia Zahidi, directrice générale du Forum Économique Mondial, publiée dans le rapport « the future of jobs » (20 octobre 2020). Une publication prophétise de nombreux éléments qui tels un tsunami sont déjà enclenchés aujourd’hui, début 2022 (!). Nous avons attendu 1 an pour décortiquer ce rapport avec vous pour y déceler d’ores et déjà quelques exemples concrets. Une prise de recul qui démontre le chemin en marche rapide. Nous discuterons ensuite de ses conséquences.
Quelques exemples et extraits de ce rapport (le lien est en fin d’article pour téléchargement):
- Introduction, Page 3 : les blocages induits par la pandémie COVID-19 et la récession mondiale connexe de 2020 ont créé des perspectives très incertaines pour le marché du travail et accéléré l’arrivée du futur du travail. Le rapport 2020 sur l’avenir du travail vise à faire la lumière sur : 1) les perturbations liées à la pandémie jusqu’à présent en 2020, contextualisées dans une histoire plus longue des cycles économiques, et 2) les perspectives attendues pour les emplois et les compétences liés à l’adoption de la technologie dans les cinq prochaines années. Malgré le degré élevé d’incertitude actuel, le rapport utilise une combinaison unique de renseignements qualitatifs et quantitatifs pour élargir la base de connaissances sur l’avenir des emplois et des compétences. Il rassemble les points de vue des chefs d’entreprise – directeurs généraux, directeurs de la stratégie et directeurs des ressources humaines – qui sont en première ligne pour prendre des décisions concernant le capital humain, ainsi que les données les plus récentes provenant de sources publiques et privées, afin de créer une image plus claire de la situation actuelle et des perspectives pour les emplois et les compétences. Le rapport fournit également des informations détaillées sur 15 secteurs industriels et 26 pays avancés et émergents.
On notera que le degré d’incertitude a fortement chuté avec l’arrivée de la vaccination massive des pays occidentaux.
- Short-term shocks and long-term trends, Page 9, : Fin 2019, l’avènement progressif de l’avenir du travail – dû en grande partie à l’automatisation, à la technologie et à la mondialisation – semblait poser le plus grand risque pour la stabilité du marché du travail. Le premier semestre de 2020 a été marqué par une perturbation supplémentaire, importante et inattendue des marchés du travail, avec des répercussions immédiates sur les moyens de subsistance des individus et les revenus des familles. La pandémie de COVID-19 semble creuser les inégalités existantes sur les marchés du travail, inverser la progression de l’emploi enregistrée depuis la crise financière mondiale de 2007-2008 et accélérer l’arrivée de l’avenir du travail. Les changements annoncés par la pandémie de COVID-19 sont venus s’ajouter aux changements à long terme déjà déclenchés par la quatrième révolution industrielle, dont la vitesse et la profondeur se sont donc accrues. En réaction au risque pour la vie causée par la propagation du virus COVID-19, les gouvernements ont légiféré sur la fermeture totale ou partielle des activités commerciales, provoquant un choc brutal sur les économies, les sociétés et les marchés du travail. De nombreuses entreprises ont fermé leurs bureaux physiques et ont été confrontées à des limitations dans la conduite des affaires en présentiel.
À la lecture de ce point, on serait tenté de penser que les métiers dits « essentiels » ont été protégés puisque ceux-ci n’ont pas ou peu été impactés par les fermetures et modifications d’activités liées aux contraintes du confinement. D’autre part, on s’imagine que les travailleurs de bureaux se sont facilement adaptés à leurs nouvelles conditions de travail. Nous ne traiterons pas ici des questions psychologiques, mais plutôt des questions liées à cette nouvelle approche d’une entreprise télétravaillée comme norme. Nous allons rappeler l’histoire du patron de better.com ( Vishal Gard) qui a viré 900 de ses employés… par vidéoconférence Zoom le 1erdécembre 2020. Une méthode renforcée, voire acceptée depuis les règles de distanciation. Pour preuve, le CHR de Verviers a licencié 5 employés par SMS le 30 septembre 2020. Le système de dématérialisation est en marche et ses conséquences.
Arrêtons-nous un instant sur le cas de Better.com qui est une entreprise bancaire de banque d’assurance spécialisée dans les prêts hypothécaires. Cette entreprise s’est enrichie, non sans malice, sur les conséquences des Subprimes en 2008-2010 et correspond au type d’entreprise dont nous développons les conséquences de la dématérialisation dans l’article smart (and Not-So-Smart) uses of Incentives (27 octobre 2021) traitant du non-investissement d’un campus par le même type d’entreprise spécialisée dans le paiement sécurisé (Flyware) dans la ville de Kansas Ctity. Nous ne reviendrons pas non plus sur le cout des énergies qui ont explosé chez les employés devant chauffer chez eux leur habitation toute la journée pour travailler. À cet effet, je vous dépose ici un graphique que nous avions réalisé en 2017-2018 pour le pôle de reconversion à Charleroi s’occupant de la formation des profils complexes et précarisés. Leur bâtiment, construit dans les années 1950 comme beaucoup de patrimoines privés individuels, voire encore plus vieux et non rénové… risquait beaucoup sans rénovation lourde, particulièrement d’un point de vue énergétique. Notre seule erreur fut notre optimisme, pensant que la crise énergétique apparaitrait en 2023…

- Page 10 : Une nouvelle analyse menée par le FMI a estimé que 97,3 millions de personnes, soit environ 15 % de la main-d’œuvre des 35 pays inclus dans l’analyse, sont classées comme présentant un risque élevé de licenciement ou de suppression d’emploi dans le contexte actuel.


Le premier graphique sur la perte des emplois lors de la crise/confinement exprime par lui-même l’effet de choc. Le second parle de la résilience de ces pertes d’emplois où ce n’est pas l’épouvantail des métiers de première ligne qui sont visés, mais bien la classe des employés, la low middle-class qui est vouée à disparaitre, et cela à une vitesse accrue comme le décrit le rapport en page 16.
Et conséquences
Le rapport relève que 44% (page 16) des métiers sont transformables au télétravail, mais derrière ce chiffre, que se cache-t-il ?
Premièrement, 24% de travailleurs représentant un boulot transformable sont considérés comme « inaptes au changement », soit à court et moyen terme virés. Prenons deux cas spécifiques :
- Un.e secrétaire semble être un des jobs les plus évidents à transférer en télétravail. Les secrétariats en ligne des médecins et autres services médicaux le prouvent. Toutefois, qu’en est-il de l’accueil des personnes : ce sont les responsables du rendez-vous qui accueillent maintenant leurs invités. Si on considère que le traitement de texte est de plus en plus performant, les travaux de secrétariats définitivement digitalisés, que reste-t-il à l’humain d’autant qu’il est en télétravail ?
- Un.e ingénieur.e travaillant dans un bureau d’étude est tout à fait capable de travailler en télétravail. Toutefois, il.elle offre une plus-value importante dans sa capacité d’analyse que la machine a encore très difficile à égaler. Certes les logiciels de calculs sont de plus en plus présents, toutefois, la responsabilité humaine est encore le cœur de ce type de métier.
Tout le monde n’est donc pas installé à la même table de travail…
- Toujours page 16 : Une part plus importante des fonctions dans les secteurs de la finance et des assurances et de l’information et des services professionnels peut être exercée à distance, tandis que l’hébergement et les services de restauration, l’agriculture, le commerce de détail, la construction, le transport et l’entreposage offrent moins de possibilités de travail à distance: 47 % des travailleurs du secteur de l’hébergement et des services de restauration, 15 % du secteur du commerce de gros et de détail et 15 % de la main-d’œuvre. L’estimation du risque associé à l’emploi dans différentes sous-sections : 47% des travailleurs du secteur de l’hébergement et de la restauration, 15% de ceux du commerce de gros et de détail et 15% de ceux du secteur des transports risquent de se retrouver au chômage.
Arrêtons-nous un instant sur ces chiffres. Il apparait que les jobs les plus « à risque « de la transition numérique accélérée sont les jobs de première ligne qui sont actuellement encensés. Une situation qui pourrait sembler paradoxale et qui pourtant tombe sous le sens : ces boulots sont déjà digitalisés et la crise à renforcé cette nouvelle forme de commerce : qui n’a pas tenté/testé une livraison à domicile ou cash&carry au supermarché pendant le confinement ? Qui n’a pas déjà réservé son hôtel par internet ? Qui achète encore son ticket de transport en format papier ? Plus intéressant, nous y retrouvons l’enseignement (15%), mais comment pourrait-il en être autrement alors que la CFWB est passée de l’âge de la pierre numérique au « distanciel via Teams » ? Juste après, nous avons la santé… (14%) et l’exemple de la télémédecine en France est essentiel pour comprendre la transformation en cours.
Pour conclure
Il semble que nous proposions ici un tableau noir de la situation. Il est plutôt nuancé. Certes nos prédictions d’avril 2020 semblent confirmées tant par le rapport de 2020 du WEF que par les actes de 2021 (cfr, licenciements collectifs). Toutefois, un autre paramètre vient choquer ces prédictions : le manque de main-d’œuvre en Occident face à la dénatalité et, en parallèle, la diminution de la mortalité. La conjonction de ces deux phénomènes, complétée par la crainte de l’immigration, sera peut-être la solution qui sauvera l’emploi, car même si on n’en a moins besoin, on devra de toute manière en avoir un minimum. C’est le problème actuel rencontré dans les hôpitaux. Et la solution sera de digitaliser encore plus les services. Par contre, de raison, nous pensons pouvoir vous annoncer que dans moins de 10 ans (fin de la décennie) il n’y aura plus de caissières dans votre supermarché tout comme il n’y aura plus de caisses. Bref, la crise du Covid a accéléré le mouvement et la certitude est qu’on ne reviendra pas en arrière. ce mouvement rapide va laisser beaucoup de personnes sur le bas-côté, d’autant mieux que cela sera maintenant plus rapide. Nous parlions de plus d’un million de pauvres en Belgique, cet article tente à le démontrer après certaines hypothèses énoncée voici quelques temps.
Merci pour cette longue lecture.
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_m%C3%A9di%C3%A9vale
Lien vers le rapport du WEF : ici
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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