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Mots clés : CityLab, San Francisco, Streets, partage de l’espace public
La question du partage de l’espace public est devenue un enjeu au travers des transformations comportementales des gens après le confinement, car chaque crise sanitaire comme celle que nous vivons actuellement a des conséquences sur nos manières de vire et de penser les villes (les épidémies ont toujours transformé les villes, quel vaccin pour aujourd’hui ?, 11 juin 2020). En effet, d’une part les gens se sont réapproprié un espace apaisé et le confort qu’il procure sans voitures (pour rappel, le confinement à réduit de 90% le trafic courant des premières semaines), mais également, et dans le cadre de la sortie de confinement, les déplacements individuels (et pas nécessairement en voiture) ont explosé. Le vélo est certainement le grand vainqueur de cette transformation des usages (comment le Covid permet le transfert modal vers des déplacements plus écologiques ? L’exemple américain… et quelques questions, 22 avril 2020).
Plus largement, la question du partage de l’espace n’est pas un sujet nouveau et se retrouve dans de nombreux plans de développement urbains (RE-Blog : Coronavirus : we’re in a real-time laboratory of a more sustainable urban future, 14 mai 2020). Toutefois, les choses se sont accélérées et la question devient aujourd’hui un sujet important et pose aussi quelques questions.
La première de ces questions est la manière dont les villes se sont approprié cette opportunité… sans nécessairement en considérer les conséquences réelles dans le quotidien des utilisateurs urbains, qu’ils soient usagers doux ou conducteurs. Pour exemple, à Bruxelles, de nouvelles pistes, planifiées de longue date ont été avancées dans leur exécution… avec un chaos d’usages lié à des espaces de livraisons maintenus, mais où les automobilistes (souvent de bonne foi) se sont engagés sans issue, générant ainsi de nombreuses confusions (p.e. petite ceinture tangente au quartier européen). Cet exemple nous fait penser à ces images des années 30 où les piétons, les calèches, les voitures et les trams se croisent dans un brouhaha indescriptible, par ailleurs, période terriblement mortelle pour l’usager faible.
Si l’époque dont il est question ne pouvait éviter cette transition, celle d’aujourd’hui pourrait être bien mieux maitrisée et le problème actuel est peut-être qu’on met la charrue avant les bœufs. Certes, le temps est compté, mais nous avons aussi des outils suffisamment performants que pour garantir la cohabitation de tous les modes de transports tout en permettant un transfert du « tout à la voiture » à celui d’une palette de transports, allant du train à la trottinette. Pour étayer cette approche, nous vous convions à regarder la vidéo de CityLab (Boomberg) qui explique les mêmes problématiques que celle énoncée pour Bruxelles, démontrant à la fois que les transformations sont inéluctables, mais aussi que le chaos règne actuellement en maitre… malgré toutes les belles intentions de départ.
Notre contribution est donc selon nos compétences en smart City et outils numériques et se décline sur une approche pragmatique de la situation : premièrement, si les technologies sont à notre disposition, elles ne sont pas accessibles. Deuxièmement, tous les outils ne sont pas encore disponibles, comme une voiture totalement autonome (par exemple). Il est avant tout question de temporalités et d’anticipation, c’est ici l’urbaniste qui en parle…

Un processus
Ce processus qui s’inscrit dans le temps a pour objectif de capitaliser toutes les actions dans un objectif final de remettre la voiture à sa place, c’est-à-dire un objet de déplacement nécessaire lorsqu’on ne trouve pas d’alternative. Et dans le cas de la Belgique, territoire très mité et étalé, ce besoin est loin d’être remplaçable par d’autres moyens de transport. Cette réflexion nécessite également de concentrer les actions dans les villes suffisamment denses pour les raisons sus mentionnées. De Bruxelles à Liège, en passant par Anvers, Charleroi, Gand, Mons, Namur, Louvain, Hasselt …
Nous commencerons donc par la mise en place d’outils de gestions de la donnée :
- Les vélos partagés, trottinettes, etc. sont tous des objets connectés. Ces données devraient être Open Source. Ces données partagées devraient l’être avec les données GPS des véhicules et un échange entre les différents systèmes permettrait une meilleure compréhension des flux, mais aussi de la présence des vagues de déplacements dans les villes. Les outils de type « coyote » proposent aujourd’hui une multitude d’informations tout au long du trajet. Il est temps, car la technologie nous le permet, de déployer des interactions informationnelles bien plus avancées.
- Pour développer ces interactions, l’enjeu de la 5G est essentiel. Il est impossible de faire communiquer tous ces outils de mobilités avec les technologies de transferts de données actuels, particulièrement la 4G.
- En parallèle à la 5G, les véhicules et autres modes doux peuvent directement communiquer entre eux, cela aura essentiellement l’intérêt de protéger les usagers les plus doux…
- Enfin, la cartographie des transformations des territoires urbains doit devenir instantanée, en temps réel. Il n’est pas question ici d’avoir un protocole commun, car c’est déjà le cas, mais plutôt de définir un cahier des charges transversal sur la manière dont les données sont transférées d’un service à un autre dès que les aménagements sont réalisés. C’est une forme de dataification des services avec une centralisation de la donnée et l’amendement systémique des outils déjà existants dès que la mise à jour est disponible. En effet, si les GPS sont maintenant mis à jour de plus en plus en ligne, il est crucial que cette mise à jour soit la plus rapide possible.
Finalement, pour cette partie négligée, mais fondamentale, l’enjeu est de proposer dès aujourd’hui des procédures permettant pour les 10 années à venir de prévoir un jumeau numérique de la ville et ses déplacements avec l’objectif d’avoir des véhicules totalement autonomes à l’aube de 2030, .

Ensuite, d’un point de vue aménagements, les stratégies ne peuvent être menées uniquement au travers de plans de mobilités qui, malgré leurs qualités, pèchent par le manque de gestion du temps (ce qui n’est pas leur but non plus !). C’est évidemment du ressort des responsables politiques que d’aller chercher les subsides, mais souvent les subsides n’est pas nécessairement en adéquation avec la progression des usages. On se retrouve ainsi dans des situations où des zones 30 sont mises en place sans aucun aménagement des espaces publics permettant aux automobilistes, mais aussi les modes doux, d’y retrouver leur nouvelle place. Le principe d’opportunité de subsidiations est bien connu en politique, mais parfois il peut être contre-productif face aux objectifs finaux des plans communaux de mobilité. De ce constat, quelques pistes :
- D’abord mailler le territoire : les aménagements doivent permettre à tous les usagers faibles de se déplacer de/vers le centre urbain. Si souvent ces usagers connaissent bien leur quartier/commune alentour du cœur de ville, le lien entre les deux est essentiel pour sécuriser et donc pérenniser les comportements. Les modèles « vélo routes » développés en Flandre et aux Pays-Bas est certainement une piste à renforcer ailleurs.
- Renforcer les axes de transports en sites propres, même lorsque ce n’est pas techniquement nécessaire. Nous pensons particulièrement aux axes du 17e et 18e siècle, ces fameuses lignes droites reliant, dans le sillon industriel wallon (par exemple) des villes et villages. Ces routes de l’occupation française sont des axes souvent de grandes largeurs et où souvent 3 bandes de circulations sont disponibles. Actuellement, les services de mobilité et des routes ont tendance à transformer la bande du milieu en parcours d’obstacles alors qu’il serait plus adéquat d’extraire une des bandes en zone de bus en site propre… également piste cyclable. L’objectif étant de rationaliser la lecture de ces espaces-routes de plus en plus complexes et donc dangereux pour des usagers doux qui sont « un élément parmis d’autre sur la route ». La mise en place de ces axes de bus rappelle également les anciens axes vicinaux. C’est une question à la fois de cohérence visuelle et structurée, mais tout autant la valorisation dans l’espace d’un mode de transport comme il l’était au début du 20e siècle (on y revient toujours…).
- Dans les centres-ville, il nous parait essentiel d’arrêter de colorier les rues avec des centaines de couleurs, logos, etc. « Un bon aménagement de l’espace ne nécessite pas de panneaux du Code de la route », nous disait un ancien prof d’urbanisme, et il a raison. La superposition d’informations ne garantit pas la sécurité. Nous renvoyons donc à la question de la dataïfication des espaces pour véritablement améliorer la sécurité des espaces publics et leur partage.
Discussion
À notre avis, c’est la croisée des aménagements avec les questions de la gestion des données qui nous permettra, dans les années à venir, de développer de nouveaux espaces dont les usages seront très complexes et diversifiés : voitures, bus, camions, trottinettes, vélos, patins à roulettes, skate … Tous ces modes de déplacements ont leurs propres qualités et améliorent le plaisir de vivre, travailler, s’amuser, apprendre en ville. Ils peuvent, ensemble, contribuer à la réduction de la pollution, c’est donc un bénéfice à tous les étages. Toutefois, rejeter l’un pour l’autre comme cela se fait actuellement avec les voitures n’a aucun sens eu égard à structure des territoires belges où le mitage et la dilution des densités sont phénoménaux. Et puis, évacuer la voiture, pour le vélo, ensuite le vélo pour le piéton, et ainsi de suite, cela n’a jamais fait avancer le débat. À défaut, l’omniscience des aménagements pour les voitures, conséquence d’une transformation depuis plus de 70 ans ne se résorbera pas d’un coup de cuillère à pot ! une transition qui peut être accompagnée par des aménagements de qualité pour les villes, mais également par la gestion des données comme médiateur de mobilité : informant les uns, protégeant les autres. Nous ne pouvons plus penser l’espace comme un silo fermé, mais bien comme un objet connecté, récoltant et distribuant les données pour améliorer non seulement la fluidité, mais également informant. C’est toute la complexité et le défi du MaaS : Mobility as a Service.
Belle journée à vous et merci de votre lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Curator. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geeks invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.