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mots-clés : Transition, économie, RSE, ESG, bilan carbone, Belgique, mobilité, LEZ, Data center, données, IA.
En bref : les élections belges semblent amener vers un gouvernement plus favorable aux entreprises. Certes, mais si cela se fait au détriment des politiques environnementales, la compétitivité de nos entreprises va décliner. On vous explique pourquoi.
Chers lecteurs,
Les élections en juin 2024 a permis de présenter des coalitions claires et nettes tant du côté flamand que wallon avec une orientation très marquée à droite. Une partie des électeurs se sont tournés vers la droite avec un message clair : « arrêtons ou faisons une pause écologique ». Certes, de prime abord cela semble logique pourtant contre intuitif, car aujourd’hui l’écologie devient le moteur de l‘économie et nous allons vous expliquer pourquoi à travers quelques exemples actuellement vécus dans nos domaines du travail et de recherche.
L’enjeu économique de demain : trouver de l’énergie renouvelable pour alimenter les calculateurs d’IA.

Voici quelques jours, Microsoft a informé la presse que son développement passerait par un contrat avec une société privée (Constellation) qui allait réactiver le réacteur 1 de Three Mile Island en Pennsylvanie pour 2028. Pour rappel, si ce nom vous est connu c’est parce que le plus grand incident nucléaire aux USA s’est déroulé en 1979 avec l’unité 2 qui depuis est à l’arrêt (Backgrounder on the three-Mile Island Accident, U.S. NRC, 28 mars 2024). L’unité n°1 était à l’arrêt depuis 2019 et sera réactivée pour fournir exclusivement de l’électricité à… Microsoft. Selon l’article du MIT Review (Why Microsoft made a deal to help restart Three Mile Island, Casey Crownhart, 26 septembre 2024), ce contrat couvre une période de 20 ans ! Un contrat qui dévoile un des plus grands problèmes de la révolution numérique en cours : les besoins en énergie et qui ramène à rouvrir des centrales nucléaires qui étaient en cours de fermeture. La raison est double :
- En premier lieu, les énergies renouvelables sont de plus en plus compétitives, mais ne font actuellement que compenser les besoins actuels.
- En second lieu, les besoins en énergies pour faire travailler les IA sont exponentiels. Pour comprendre ces besoins, il faut évaluer les besoins journaliers en énergie pour open AI : l’équivalent de 700.000 $/jour.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule centrale nucléaire américaine qui reporte sine die sa fermeture, d’autres projets sont en cours.
Dans le même temps, Les GAFAM misent tout sur l’IAG et espère dans le même temps aider à prolonger la date de fin du monde. En novembre 2023, Microsoft publiait un manifeste sur les enjeux de l’IA pour résoudre les questions climatiques (Accelerating Sustainability with AI: À Playbook ) et Sam Aktman vient de sortir son manifeste pour une IA heureuse voici à peine quelques jours : The Intelligence Age, 23 septembre 2024. Nous ne pouvons aujourd’hui présumer de ces annonces messianiques très controversées, entre autres avec Microsoft qui fournit l’ensemble de ses services pour les entreprises pétrolières (Microsoft’s Hypocrisy on AI, Karen Hao, 13 septembre 2024). Toutefois, nous avons une garantie : L’IA de première génération, celle que nous utilisons aujourd’hui est une IAG très gourmande. Il se peut que demain des IA locales, dans votre ordinateur ou smartphone fonctionne avec moins d’énergie. Toutefois, l’entropie des données nécessaires au fonctionnement des modèles est bien là et demain, l’enjeu énergétique sera essentiellement lié, non pas à votre plein d’électricité pour votre voiture, mais bien à la batterie qui fera fonctionner votre IA qui, elle-même devra se connecter aux data centers capables de répondre aux sollicitations de plus en plus complexes selon les nouvelles capacités développées par Open AI ou d’autres.
Dans le même temps, le développement économique des territoires ne se pense plus aujourd’hui sans l’IA. À tout ou à raison, c’est un fait, car nous sommes entrés dans une structure globale du monde, ne serait-ce que pour penser la réduction entropique de notre monde. L’adage veut Think global act local, c’est aussi vrai pour l’économie de demain avec des IA globales qui travaillent avec des super calculateurs, complétés par des Data Centers super puissants qui peuvent communiquer les données nécessaires pour votre modèle local d’IA. John Lovelock, fondateur de la pensée systémique « Gaia » avait vu juste, mais peut-être n’avait-il pas imaginé le transfert de Gaia vers un modèle appelé « Datasphère » (Stéphane Grumbach, 2019) à tout ce qui nous entoure ne serait qu’ensemble d’éléments définis comme des données. Et les lois de l’information (S. Shanon, 1949) prédisent une entropie sans fin.

Dans ce contexte, et avec du pétrole bon marché uniquement jusqu’en 2050 (après ce sera des forages profonds ou en très haute mer…), l’investissement en énergies renouvelables est donc essentiel : non seulement pour compenser un pétrole qui coûtera de plus en plus cher, mais aussi pour créer des surplus à la consommation privée et industrielle afin d’alimenter les data centers capables de répondre à ces besoins. Nous vous avons parlé récemment dans un autre article de ce blog, de la place privilégiée de la France avec ses centrales nucléaires pour offrir un accueil chaleureux aux data centers des acteurs de la Tech (Pourquoi la France pourrait-elle tirer son épingle du jeu européen dans le domaine de l’IA… Grâce au nucléaire ?, 30 septembre 2024). Dans le même temps, la Belgique est au carrefour du réseau de transfert de données le plus dense au monde, inscrite dans le quadrilatère Londres-Paris-Amsterdam-Francfort. On comprend alors mieux pourquoi Google investit si massivement en Belgique.
Le premier enjeu belge est donc de maintenir cette compétitivité et donc, non seulement de produire de l’énergie, mais aussi vert ! en effet, aucun GAFAM ne pourra se permettre d’acheter de l’énergie carbonée, c’est leur choix, cela devrait être aussi un choix essentiel des gouvernements respectifs.
Le second enjeu économique de demain ? le Scope 2 des PME qui travaillent pour les multinationales.

Toujours dans le domaine du développement durable, nous sommes actuellement confrontés à des demandes de plus en plus fréquentes de PME qui travaillent avec des multinationales pour analyser leur impact carbone. Pourtant, ces PME ne sont pas impactées directement par les législations européennes afin de réduire l’empreinte carbone des entreprises (Scope 2 des ESG/RSE). Globalement, toutes les multinationales doivent garantir une réduction drastique de leur empreinte carbone d’ici 2030, mais le marché anticipe ces questions et de plus en plus, les financements bancaires sont liés à la preuve (avec des chiffres !) de ces actions et plans des grandes entreprises. Le DNSH, un outil de mesure de l’impact environnemental des investissements de la BCE) est par ailleurs déjà appliqués en Wallonie pour tous les financements publics ! le scope 3 a pour objectif de mesurer non seulement les efforts des grandes entreprises, mais également vise à comptabiliser l’impact des sous-traitants. Et c’est là où les PME sont impactées (Scope 2). Le niveau 2 relève uniquement des efforts des entreprises sur les impacts qu’ils maitrisent en interne. Forcée ou volontaire, la transition est en marche et s’accélère. C’est pour cette raison aujourd’hui qu’investir dans le développement durable et la transition est la meilleure manière de garantir la survie et le développement des entreprises en Région wallonne et, plus largement en Belgique.
Dans ce contexte, il faut toutefois analyser l’impact du scope 2 dans les PME. Le plus souvent, 3 volets essentiels sortent du lot :
- Le premier concerne la réduction des consommations d’énergie dans les bâtiments, y compris les processus industriels (machines, etc.) Dans ce dernier cas, la numérisation et le monitoring sont essentiels … Tient-tient, de nouveau des données pour réduire l’entropie des activités.
- Le second est lié à la mobilité : de nombreuses entreprises subissent actuellement une mobilité bien trop dépendante des voitures. Si la politique belge n’a jamais osé le regroupement des travailleurs autour de leurs entreprises, nous en précisions les raisons dans notre article Le litre à 2.00 euros, what else ? Ce n’est pas qu’une question de portefeuille et voilà pourquoi c’est un problème (8 mars 2022), cette question va réellement se poser à moyen et long terme d’ici 2050. Des mutations qui nécessitent d’être anticipées, entre autres avec un investissement massif dans les transports en commun… tout ce qu’on ne fait pas à Liège depuis le coup d’arrêt de l’extension du tram.
- Le troisième n’est pas inscrit dans notre domaine de compétence, mais mérite d’être relevé : il est question de la qualité de vie dans l’entreprise. Notre bureau d’étude reçoit de plus en plus de candidatures d’ingénieurs et collaborateurs qui veulent être heureux au travail beaucoup plus que gagner un max, avec une entreprise qui a des valeurs éthiques fortes et aussi… environnementales. Nos jeunes collaborateurs n’ont pas nécessairement de voiture. Dans le Hainaut, c’est un basculement lent, mais profond. À Bruxelles, c’est déjà une évidence et en Flandre, un fait.

Ces trois déterminant de la réduction de l’entropie de l’entreprise sont fondamentaux et vous aurez constaté que la question environnementale est transversale et déterminante. Une question qui est posée à toutes les PME qui sont en sous-traitances des multinationales. Ces PME qui vont se conformer plus vite que d’autres au Scope 2 seront demain plus compétitives. Pour s’en convaincre, le graphe ci-dessous montre l’analyse de PME qui investissent dans le développement durable de leur entreprise et leur efficacité. En Amérique du Nord. Une étude déjà ancienne, mais qui a ouvert le chemin dans la compréhension de la synergie entre durabilité et rentabilité.
Le troisième enjeu ? La transition vers une mobilité durable

Nous vous en avons touché l’essence de la question dans le deuxième point du scope 2. Pourtant, il semble que les gouvernements déjà en place et futurs freinent aux 4 fers pour faire entrer en vigueur les LEZ. Des décisions électoralistes étonnantes lorsqu’on sait, par exemple, que la région Bruxelloise risque de devoir s’acquitter d’une amende de 19.000.000 d’euros en prolongeant l’autorisation des véhicules polluants. Mieux, que penser de la capacité de plus de 300 agglomérations de plus de 200.000 habitants qui ont déjà appliqué les LEZ (zone de basse émission) ? À la lecture du second volet de cet article, on peut se demander si reculer n’est pas un risque majeur de décrochage économique dans le processus des villes créatives (connaissance + numérique + qualité de vie) dans le monde (The new Generation of Smart Cities : the state of art (Part1), 19 août 2019). Nous avons déjà pris les exemples de villes comme Montpellier ou Valence pour expliquer ces nouvelles approches de mobilité permettant, dans le même temps de faire accepter les LEZ ( Il est temps de changer de mobilité : une révolution des mentalités, de Mons à Charleroi pour un instinct de survie, 29 novembre 2022).
Dans le cadre de la Wallonie et la Belgique plus généralement, ces questions de mobilité sont essentielles pour que le terreau d’emploi dans les villes puisse être alimenté par les travailleurs et cols blancs de l’ensemble du territoire. En effet, et même avec des politiques très volontaristes, la concentration des villes n’est pas pour demain. En cela, le développement des transports en communs, lignes de bus express, nouveaux BHNS, RER, métro ou tram ne sont pas seulement des lubies écologiques, c’est le fondement d’une économie résiliente et prête à affronter 2050. Peut-être est-ce utile à le rappeler aux gouvernants d’aujourd’hui ? Car moins de voitures et plus de transports en commun, c’est autant d’énergie non dépensée pour répondre aux besoins de l’économie de la connaissance qui se nourrir de l’IA. La boucle est ainsi bouclée.
Conclusion

Avec cet article, nous voulions attirer l’attention sur la complexité systémique dans laquelle les économies régionales sont entrées face à la transition environnementale de l’Europe et du monde. Car ce n’est pas seulement L’Europe qui change, c’est bien le monde avec la Chine qui s’est fixé l’objectif de neutralité carbone en 2060, les USA entre 2050 et 2055 et l’Europe 2050. Et si, finalement, ce n’était pas une difficulté, mais bien un avantage compétitif que de vouloir être pionnier ? Toutefois, comme les pionniers de la sidérurgie, il faudra accepter de transformer nos territoires, nos paysages et notre manière de penser.
Bonne et belle journée à vous.
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Pascal SIMOENS Ph.D, Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB. This post is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International License.

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