LE NOUVEAU SDT WALLON ET LA MOBILITÉ (1/4)

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mots-clés : Urbanisme, Wallonie, soutenabilité, schéma de développement territorial, enquête publique

Chers lecteurs,

Ce 20 juin, j’ai eu le plaisir de participer à l’une des nombreuses réunions d’informations relatives à l’enquête publique pour la mise en œuvre du nouveau schéma de développement territorial de la Wallonie. Rappelons que le précédent schéma a été approuvé par le gouvernement wallon en… 1999, soit plus de 23 ans. Dans ces conditions, on peut s’imaginer que ce nouveau document d’orientation de l’aménagement du territoire (et donc qui touchera tout le monde) sera encore en vigueur en… 2045. Je ne sais pas vous , mais moi j’aurai plus de 70 ans.

Dans ce contexte, je voulais vous faire part de mes réflexions vis-à-vis d’une thématique spécifique : la mobilité future en Wallonie. Une réflexion développée régulièrement dans mes posts et plus particulièrement, je vous conseille de lire celui-ci : Le litre à 2.00 euros, what else ? Ce n’est pas qu’une question de portefeuille et voilà pourquoi c’est un problème (8 mars 2022) qui permet de poser le cadre des 3 publications qui suivront celle-ci.

Car c’est bien une série dont il est question. J’aurai le plaisir de vous emmener dans le Hainaut, de Mons à Charleroi pour vous présenter une analyse critique et stratégique que ce nouveau SDT pourrait amener.

En attendant l’analyse, une mise en contexte

Le SDT est un outil généraliste, comme souvent à l’échelle des grands territoires. L’urbanisme de planification, tel que nous l’avons connu dans les années 1960-1980, est dépassé. Ce fut l’époque d’une planification locale, entre autres avec les plans de secteur, pensée à l’échelle globale. Les zones rouges du plan avaient la même valeur que l’on soit à Liège ou à Erquelinnes, Sprimont ou Aubange. Aujourd’hui, l’urbanisme se pense localement et Alain Minc avec son livre le nouveau moyen-âge (1994) ne me contredirait pas.

Toutefois, nous sommes également face à un paradoxe systémique : la question du climat ne se règle pas seulement à l’échelle locale, et des politiques régionales ou métropolitaines sont à mettre en place. Il en va de répondre aux enjeux de neutralité carbone en 2050.

Dans ce contexte, deux éléments sont prépondérants dans le projet de territoire :

  • L’étalement urbain et donc les questions de mobilité qui, à l’échelle de notre bilan carbone, représentent 35% de notre empreinte carbone collective.
  • La réduction de l’empreinte carbone des constructions qui, elle, représente 37% du bilan carbone total. Pour cette dernière, c’est d’autres réglementations qui impactent le territoire comme les règles DNSH.
  • Le dernier tiers est lié au reste des activités., entre autres économiques et qui sont déjà encours de réduction drastique, impulsée par les industriels eux-mêmes… il en va de leur survie économique.

Les enjeux de territoire et de gouvernance : où est la base open data ?

Pour une cartographie plus dataïfiée de la région wallonne et une meilleure gouvernance mais aussi objectivation des choix… ici la carte du bruit en région bruxelloise.

Pour répondre aux enjeux de mobilité et donc de réduction de l’empreinte carbone de la Wallonie, les pouvoirs publics ont proposé de concentrer l’habitat dans des noyaux : chaque ville ou village aura son noyau comme le montrent deux extraits des cartes disponibles pour toute la Wallonie. Toutefois, tous ne seront pas reconnus comme tels.

Ces noyaux ont été réalisés sur base d’éléments statistiques, mais précisons quand même qu’à l’ère de l’Open data et des outils de numérisation… tout a été construit de manière analogique. Un paradoxe pour des cartes qui devront être appliquées pendant au moins 20 ans ! La Wallonie a définitivement un problème avec le Nouveau Monde numérique et cela risque de nous couter cher, très cher. L’argument développé par la région est le suivant : nous ne voulons pas quelque chose de précis, ce sont les communes qui devront déterminer dans leur schéma de développement local les limites des noyaux de centralité. Certes, l’idée est généreuse, mais il faudra nous expliquer comment la jurisprudence s’appliquera lorsque la méthode technique de délimitation n’est pas définie de manière précise et au cordeau… grâce aux outils algorithmiques. Et précisons encore : travailler avec des algorithmes ne nécessite pas nécessairement de réaliser des cartes à la parcelle.

extrait de l’annexe 2 du SDT, en cours d’enquête publique, Binche et ses environs

Les communes devront donc, dans le cadre de la prochaine législature, définir de manière précise le ou les noyaux de leur commune… ou seront imposées à elles par la DGO4. Un flou artistique qui amènera une sérieuse empoignade. En effet, comment les 87 communes en décentralisation (sur 253 communes au total) vont-elles modifier leur SDC alors qu’il n’y a pas d’auteurs de projets ni d’urbanistes en suffisance pour faire ce travail ?

Bref, sur ce point-là j’ai parfois le sentiment qu’on a fait un projet du 21e siècle avec des outils du 20e siècle. C’est dommage, car le projet est pourtant généreux, mais risque de pâtir très rapidement d’un défaut de logiciel. D’autres acteurs comme Ethias ne s’y sont pas trompés : ETHIAS VA OFFRIR UNE PARTIE DE SES BASES DE DONNÉES AUX COMMUNES. POURQUOI ? (publié le 12 octobre 2022) Il serait peut-être grand temps que la CPDT intègre les questions du numérique dans leur approche et ne la cantonne pas à d’ADN (agence wallonne du numérique). #regarderplusloin

Les enjeux de mobilité et de territoire.

Toutefois, l’objet de notre analyse dans les 3 posts à venir aura plutôt l’objet de la mobilité face aux enjeux de centralité. Et pour cadrer ce travail, je vous propose de définir les enjeux à travers un interview d’Aurélien BIGO qui a soutenu en 2020 sa thèse sur le sujet « Les transports face au défi de la transition énergétique. Explorations entre passé et avenir, technologie et sobriété, accélération et ralentissement ». Sa thèse vise à approfondir les moyens pour atteindre l’objectif de neutralité carbone dans le secteur des transports en France d’ici 2050. Il a travaillé en 2021 sur les scénarios de prospectives Transition(s) 2050 de l’ADEME. Il est désormais chercheur indépendant et associé de la Chaire énergie et prospérité. Le chercheur est récemment l’auteur du livre avec Isabelle Brokman Voitures, Fakes or not ? aux éditions Tana (25 mai 2023) et qui tente  

Cette question énergie, mobilité et prospérité est essentielle pour les territoires wallons qui ont subi une urbanisation en ruisseau depuis les noyaux de centralités (on parle aussi de mitage) depuis plus de deux siècles (cf. Mon article en lien plus haut sur le litre à 2 euros).

L’auteur a résumé son analyse dans un article/interview (ici le lien vers l’intégralité) sur la plateforme Novéthic, en voici l’essentiel :

Est-ce qu’on peut dire que dans votre livre, vous défendez le passage à la voiture électrique ?

Je défends le côté électrique plus que la voiture ! L’électrification est indispensable pour atteindre nos objectifs climatiques, car les alternatives ne sont pas à la hauteur. L’hydrogène est beaucoup plus coûteux, moins efficace du point de vue énergétique et il est produit aujourd’hui largement à partir d’énergies fossiles. Pour d’autres modes de transport, il fera peut-être partie de la solution. Quant aux carburants de synthèse, il faut en fait quatre à cinq fois plus d’électricité pour faire rouler un véhicule par rapport à un véhicule électrique, car il faut produire de l’hydrogène bas carbone et le combiner avec du CO2 capté dans l’atmosphère, deux procédés gourmands en énergie. Les biocarburants d’aujourd’hui entrent en concurrence avec les usages alimentaires et ne sont pas très vertueux du point de vue climatique. Le véhicule électrique s’est donc imposé dans le débat scientifique et politique.

Mais dans votre livre vous expliquez que transformer le parc automobile n’est pas suffisant ?

L’augmentation de la demande de transports, donc les kilomètres parcourus, est le principal levier qui explique la hausse de nos émissions. Se questionner sur les distances parcourues est donc essentiel. Il faudrait idéalement ne plus investir dans les projets de nouvelles autoroutes, de contournements routiers, de voies rapides, etc., qui ne font qu’augmenter les distances parcourues.

Les politiques publiques ont tendance à favoriser l’augmentation du trafic tout en cherchant à le rendre plus vert. Ils soutiennent par exemple l’achat de voitures électriques pour renouveler le parc. Mais ces aides sont-elles bien calibrées pour transformer les usages ? Si on ajoute à l’équation la question de l’accès aux ressources nécessaires pour produire ces véhicules électriques, la pollution, la consommation d’espace par la voiture qui pourrait être utilisé pour des activités sociales ou de la végétation, etc. On se rend compte que le véhicule électrique ne résout pas tous nos problèmes.

Ne risque-t-on pas d’opposer les métropoles et les territoires ruraux ?

Il est naturellement plus difficile de trouver des alternatives à la voiture dans les milieux ruraux que dans les grandes villes. En ville, la proximité favorise la marche ou le vélo et les transports en commun sont d’autant plus efficaces qu’il y a une densité importante de population et de déplacements.

Les investissements pour les mobilités alternatives ont été concentrés sur ces métropoles, de même que les politiques de mobilité longue distance, qui concernent surtout les trajets entre métropoles. Mais d’autres solutions de mobilité peuvent répondre aux problématiques des zones moins denses. La voiture est potentiellement une solution efficace, à condition qu’elle soit remplie avec cinq personnes. Pour les mobilités individuelles, il existe des véhicules plus sobres, intermédiaires entre la voiture et le vélo : les voiturettes, les microvoitures, les vélomobiles, les vélovoitures, etc. Il y a une grande diversité de véhicules, souvent peu connus, qui peuvent s’adapter à la diversité des besoins.

Bref…

… lors de la réunion publique, Yves Hanin, professeur à l’UCL et directeur de la CPDT rappelait que l’enjeu démographique de la Wallonie est le vieillissement de la population. Précisant que les personnes âgées sont celles qui densifieront les centres villes et libérant les habitats plus périphériques pour les jeunes. Une vision un peu simple des problèmes comme j’ai pu l’expliquer dans les posts :

En effet, rien ne dit que les jeunes hyperconnectés viendront remplir les villages qui devront attendre 10 ou 15 ans pour recevoir la fibre optique, ni que ceux-ci auront les moyens d’acheter une voiture électrique et isoler le bâtiment de grand papa ou grande maman qui est une passoire énergétique G.

Suite à l’épisode 2 : Mons (qui sera publié la semaine prochaine)

Bonne et belle journée à vous.

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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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