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mots-clés : Futurocité, donnée, smart cities, Wallonie, baromètre, 2022, smart region
Chers lecteurs,
Le début de l’année est toujours le temps des bilans, un voici un : la gestion de la donnée en Région wallonne et à l’échelle des communes.
En tant que membre de Futurocité ASBL je vous propose la lecture du dernier survey sur la gestion des données des communes en Région wallonne. Futurocité est un « activateur de territoires numériques et inscrits dans la dynamique smart Région de Digital Wallonia« , Elle réalise un travail de collecte des usages dans les communes wallonnes depuis 2018 et s’appelle le baromètre de la culture de la donnée. Publiés en octobre, nous allons quelque peu revenir avec une analyse critique sur les réponses récoltées. Pour une analyse et lecture simple, chaque point est défini par un titre, vous pouvez piocher par titre qui vous interpelle le mieux :
Qui répond ? Quels types de villes ?

Le baromètre montre que 37% des 262 communes wallonnes ont répondu. C’est un taux très faible qui montre le manque de professionnalisation de la gestion de la donnée par les villes. Si les grandes villes (+ de 50.000 habitants s’en sortent très bien (8/9), le taux s’effondre à – de 50% des villes entre 20 et 50.000 habitants https://www.futurocite.be/activites/enquete-culture-de-donnee/barometre-de-la-culture-de-la-donnee-edition-2022… Qui sont pourtant le cœur du tissu urbain wallon et belge.
C’est quoi un smart City manager ?

La Région wallonne soutien la digitalisation des villes par la création du poste de smart City manager. Toutefois, les communes travaillent plutôt par opportunité de subsidiation que par réel projet de développement du numérique. En effet, seulement 6% des répondants sont smart City manager dans la ville, certainement les grandes villes. Dans les villes plus moyennes, la majorité des réponses viennent du directeur général ( 26% ou du responsable informatique (21%)) alors qu’il a été maintes fois démontré qu’un des freins au développement de la ville intelligente est la direction par silo. Les villes pionnières et s’adaptant le plus vite aux changements de paradigme numérique (Open data, communautés d’énergie, etc.) sont les villes qui ont désigné une équipe à part entière, dirigée par un gestionnaire de la donnée (data officer) et dont le statut s’approche de celui du directeur général/directeur financier. Il rend des comptes au Collège et au Conseil, pas à l’échevin ni au Bourgmestre. On notera également que les responsables RGPD est très présents (16%), soit l’homme/femme à tout faire alors que son rôle important doit être cantonné à la question délicate et essentielle de la protection des données, loin des questions de mobilité, d’énergie, de citoyenneté, de territoire, etc.
Toutefois, tout n’est pas perdu, nous avons 6% de répondants qui sont les « responsables de la donnée ». Ouf !
Open data données, etc. what ?

66% des communes n’ont pas d’inventaire de leurs données. Et 80% n’envisagent pas d’en avoir un dans les années à venir, d’ailleurs plus de 50% d’entre-elles n’ont pas de gouvernance définie sur ces questions. À ce résultat se pose la question suivante : une commune peut-elle envisager un budget sans être dans l’obligation de planifier ses travaux ? La réponse est non et toutes ont un plan pluriannuel d’investissement. Dans le même temps, comment mesurer les besoins réels des communes dans un contexte où l’après-élection de 2024 sera sous le signe de l’austérité budgétaire régionale ? Les communes vont ainsi se retrouver à devoir compter chaque euro dans un monde qui nécessite énormément d’investissement, ne serait-ce que parce qu’à partir de 2030, les banques prêteront seulement aux communes qui auront démontré que leurs objectifs de développement et de sobriété durables sont quantifiés. La taxonomie européenne (6 juillet 2021) obligeant les banques à évaluer les financements en fonction de l’impact environnemental sera là pour le rappeler.
Et pour répondre à cet enjeu, les villes doivent travailler avec ce qu’elles ont (elles ont déjà beaucoup de données, mais non structurées) et l’agréger pour donner du sens. Car aujourd’hui, de nombreuses communes investissent pour améliorer leur bilan carbone, toutefois elles sont le plus souvent incapables de mesurer leurs efforts dans le temps faute de gouvernance de la donnée.
Par ailleurs, à l’heure où tous leurs citoyens et citoyennes ont un smartphone, la question de l’efficacité des services publics nécessite aussi de mettre en place de nouvelles stratégies de diffusion et d’échange des données. Gouvernance, on vous dit !
Sécurité des données et IT… mon amour.

En 2022, 82% des communes ont un système de backup contre 79% . Bref, on peut se demander ce que font les 18% de communes restantes ? Gageons que la Région wallonne mettra un peu d’ordre dans ces lacunes, car non seulement cette situation est critique, mais en plus, le manque de stratégie de sécurisation des données (ici le B.A-BA) démontre le risque de collecte des données sensibles des citoyens. C’est d’autant plus critique que lorsqu’on demande aux communes répondantes (qui ne sont que 37%, et donc le taux de hack est bien plus important que les seuls 18% susmentionnés), on perd encore 13% pour atteindre seulement 69%.
Dans le même ordre d’idée, seulement 61% des communes ont un système d’identification personnalisé d’accès aux données internes de la commune, en d’autres termes 4 communes sur 10 permettent à n’importe qui dans la commune d’accéder anonymement (ou presque) à des données qui pourraient être sensibles. Les grincheux me diront : on a des mots de passe pour certains dossiers et l’état civil est protégé par des protocoles spécifiques. Pour le second, je me souviens d’une réunion au ministère de l’Intérieur où les (très bons) informaticiens attachés au SPF proposaient la mise en place d’un protocole Blockchain pour la sécurisation des données sensibles des populations… alors que dans le même temps, j’allais dans ma commune renouveler mon passeport en scannant mes empreintes à partir d’un ordinateur tournant sur Windows 98. Nous étions en 2018…
Bref, la sécurité ce n’est pas un logiciel ou une personne qui va régler le problème. C’est une chaine de systèmes qui doivent tous être sécurisés et à tous les étages et lorsqu’on constate que seulement 27% des communs répondants ont mis en place une stratégie/politique de sécurité, on attend le prochain hack généralisé qui bloquera, si pas le pays, au moins la Wallonie. Car c’est de cela qu’il est question : usurpation d’identité, disparition des données (certificats de BVM, données de permis d’urbanisme, etc.).
Ce qui rassure un peu…

Les responsables communaux sont bien conscients des enjeux et des risques. Le manque d’un leader gérant les données est reconnu comme l’élément le plus bloquant du développement d’une stratégie de ville intelligente sur les données. C’est assez normal que ce point apparaisse majoritairement puisque ce sont des fonctionnaires non désignés à cette question qui ont répondu au questionnaire de Futurocité. Ils sont également conscients que le numérique fait peur (« fortes réticences aux changements de la part des agents » juste à côté de « pas de gouvernance claire »).
Dans ce contexte, je rappelle toujours aux pouvoirs publics que « le problème des masques n’était pas un problème jusqu’au moment où il est devenu un problème au moment de la crise de la COVID ». En d’autres termes, ne pas prendre à bras le corps le problème de la gestion de la gouvernance et les processus de la maitrise des données, son ouverture et sa sécurisation, ne pose pas de problème jusqu’au moment de la crise. Et de la même manière que la crise pandémique était suggérée par les spécialistes de la biologie eu égard aux impacts de l’action humaine sur la biosphère, on ne pourra pas dire que les spécialistes des données n’auront pas prévenu le jour d’une crise majeure d’une ville (au mieux) plusieurs villes (au pire).
Open data, à quoi cela peut-il servir ?

Et bien, les responsables communaux sont assez alertes sur ces questions, démontrant au passage que ce n’est pas la méconnaissance du problème, mais bien le peu d’important qu’on lui porte, qui pose problème. En effet, à la question de la manière dont les communes perçoivent l’avantage des Open Data, les réponses sont très « intelligentes » :
- Une opportunité de donner accès à une meilleure connaissance du territoire (gouvernance, infrastructures, soutenabilité)
- La transparence (gouvernance et citoyenneté)
- La communication (gouvernance et citoyenneté)
- Une meilleure collaboration interne (gouvernance)
- L’amélioration de la qualité des données (gouvernance)
- Plus de participation citoyenne (citoyenneté)
- Innovation (gouvernance et citoyenneté)
- Attractivité (gouvernance, infrastructures, soutenabilité)
Mais tout n’est pas parfait, 24% considèrent cela comme une contrainte, 17% ne savent pas de quoi il s’agit et 16% n’y voient pas l’intérêt. Il devait certainement y avoir des communes qui en 1845 trouvaient que le chemin de fer était aussi une contrainte sans intérêt ou ne savaient pas de quoi il était question…
Toutefois, nous sommes encore loin d’une région « ouverte » comme par exemple la région grand Est français (champagne, Ardennes, Alsace) qui compte 7.500 jeux de données, 50 fournisseurs, 68 partenaires et 17 thèmes couverts) allant des maquettes de territoires à des ressources en mobilité ou population.
Et comment ?

Il est plutôt rassurant de constater que les villes qui se lancent dans l’Open data (15 sur 262 !) proposent des données structurées qui peuvent être réellement utilisées par d’autres acteurs. C’est le principe même de l’innovation numérique et mis en exergue dans le modèle S.M.A.R.T (Ben Letaïfa, 2015, 2018) où l’ouverture offre aux territoires de nouvelles opportunités de développement et de services qui renforcent indubitablement les villes. Nous renvoyons à la lecture de deux de nos anciens articles sur les villes créatives et intelligentes, entre autres sur la question de l’installation du HQ d’Amazon en Amérique du Nord et les critères de sélection des villes en concurrence pour mieux comprendre ces logiques nouvelles de développement urbain (Amazon HQ2 : What does it means about urbanity of cities in the digital era ?, 10 novembre 2017).
Conclusion

image : pavilllon de la citadelle, arch. Patrick Genard ©ÉdA – Florent Marot
La Wallonie et singulièrement les villes moyennes wallonnes devraient être les portes-drapeaux de la nouvelle ère digitale, non pas parce que c’est à la mode, mais bien parce que c’est vital pour son attractivité territoriale et sa capacité d’innovation qui n’est plus nécessairement dans les zonings technologiques, mais bien dans le fond d’un garage. C’est bien là que se trouve la plus-value des données : renforcer l’attractivité et créer le terreau de nouvelles applications pour l’ensemble de la population. Les communes wallonnes sont omniprésentes dans la vie de habitants, elles doivent répondre à ces changements de paradigmes, être résilientes.
Une résilience qui devrait aussi être un enjeu communal dans un monde où la neutralité carbone est à nos portes et celle-ci ne pourra être implémentée sans les jeux de données. Les données sont d’abord et avant tout, une nécessité de résilience des villes et communes face à ce qui nous attend pour les 30 prochaines années. L’Europe et la taxonomie carbone n’attendront pas 2050, elle est à notre porte en 2030. C’est d’autant plus vrai que la Wallonie est clairement à la traine face à des pays et des régions similaires. Il faudra faire des choix qui ne seront pas électoraux, mais bien de protection des populations pour construire un avenir plus protecteur.
Merci de cette lecture critique, mais que j’espère constructive. Il n’y avait pas d’autres ambitions.
Pascal SIMOENSArchitecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB