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mots-clés : Charles III, New Urbanism, modernism, Krier, Leon, architecture, urban planning, village, rural, social
Chers lecteurs,
J’en avais parlé à la mort de la Reine : le prince Charles, aujourd’hui Roi Charles III (il viendra peut-être un jour à Charleroi ? ), a toujours été contre les modernistes. C’est même un instigateur important de la diffusion du modèle urbain du « New Urbanism » défendant un retour à l’architecture traditionnelle.
Le modèle « New Urbanism »…
Dans le cadre de mon article sur les questions de démocratie, pouvoir et architectures ( Le style architectural a-t-il une incidence sociale ? , 2 avril 2020) je mettais en exergue la place du New Urbanism dans le modèle trumpiste américain et tentant de la sorte de montrer que le style architectural n’est pas qu’une question de goût ou de couleur.
… et Charles III
Le nouveau roi d’Angleterre est aussi un fervent défenseur de l’écologie, pas n’importe laquelle. En effet, il défend une opposition fervente entre la ville (qu’il déteste) et la campagne. Une campagne qui répondrait à tous nos problèmes…dans un monde où il n’y aurait que 2,5 milliards d’habitants. Un dernier point important dans un contexte où aujourd’hui de plus en plus de personnes s’érigent en défenseurs de la régulation politique des naissances. Un eugénisme nouveau sous le couvert d’une forme de bien pensence écologique. On notera qu’il est plus facile de s’imaginer réguler les naissances lorsqu’on est riche plutôt que pauvre avec, derrière cette pensée une nouvelle forme de racisme contre les africains.
Pourquoi je vous parle de cela ici, dans un article sur l’urbanisme ? Parce que cette forme d’idée est celle qui percole dans la sphère « New Urbanism » et comme précisé dans mon article du 2 avril, le New Urbanism est l’urbanisme des riches.
Poundbury
La revue d’architecture italienne DOMUS nous propose un très bel article de synthèse sur le village de Poundbury développée sur des terrains du prince Charles en 1984 et sous l’égide de l’architecte post moderniste mondialement connu : Léon Krier (Charles III the architect, and the ideal village of Poundbury, Stefano Tornieri, Roberto Zancan, 17 septembre 2022).
Les auteurs précisent : Krier était le bon allié pour concrétiser l’idée d’un néo-traditionalisme de la fin du XVIIIe siècle, tant dans l’apparence des bâtiments que dans l’aménagement urbain. L’occasion s’est présentée avec la construction de la ville de Poundbury, le village « idéal » construit sur le territoire du duché de Cornouailles près de Dorchester dans le Dorset. La ville s’est bien développée avec plus de 3.000 habitants et une belle mixité : Le plan de Krier tient la route, et son efficacité tient au facteur de densité et à ce sentiment de communauté également généré par l’uniformité esthétique du pittoresque théorisé par l’historien Nicholas Pevsner dans Visual Planning and the Picturesque , repris plus tard par le mouvement Townscape de Gordon Cullen et sur les pages de The Architectural Review , et enfin relancé dans le New Urbanism des années 1980 et 1990.

L’analyse critique de cette architecture et urbanisme est complexe mais quelques éléments transparaissent fréquemment :
- L’urbanisme « à l’ancienne », ça marche et plus particulièrement dans le sentiment d’insécurité. En effet, on se sens bien dans un espace qui est un espace reconnu comme séculaire… même si celui-ci est un fake contemporain. Des études menées par Ubisoft (2015) avaient démontré que le plan idéal proposé par une machine était un plan médiéval. Léon Kier avait bien compris cela en précisant son approche en définissant plus les pleins que les vides, en d’autres termes travailler à l’opposé d’aujourd’hui où tout plan d’aménagement est d’abord un plan masse de voiries et impétrants (modernité lorsque tu nous tiens !). les Hollandais l’on bien compris et des architectes comme MVRDV ont proposé de nombreux plans (souvent incompris) d’une architecture très contemporaines mais basée sur un paysage de masse et non de vides (l’école française depuis Hausmann).
- Cet urbanisme paysager a un revers : c’est l’urbanisme des riches car, dans le cadre du New Urbanism, l’architecture est un pastiche ancien qui coût cher, tant pour les matériaux naturels que pour les détails architecturaux décoratifs. En outre, c’est du façadisme avec des structures béton pour le gros œuvre… même si vous avez des colombages en façades. Bref, seuls les riches peuvent se le permettre. Toutefois, le prince Charles a lancé une société immobilière spécifique au logement social et Poundbury offre 35% de logements sociaux, soit bien plus que la plupart des communes belges (il faut le préciser). Toutefois, c’est ce qu’on appelle le « fait du prince ». Ce type de pensée urbanisme est aujourd’hui fortement réemployée dans le monde, des USA (très fans) jusqu’en Chine, mais exclusivement pour des personnes à revenus élevés… la modernité est bonne pour le reste de la population. Nous relevons dans notre premier article cité ci-dessus le projet en Californie qui, par son ampleur et son design a réussi à gentrifier tout un quartier.
- Il reste la question environnementale. Les architectes ayant participé au développement de l’extension de ville et village le reconnaissent : l’image typo morphologique ne suffit pas. Il faut dans le même temps repenser des modes de constructions dans leur système global et pas seulement en façade. Hors, la complexité des systèmes (bois + ventilations+ étanchéité à l’air, etc.) nécessitent de nouvelles formes d’architectures, y compris dans la réduction de la masse des constructions afin de réduire le bilan carbone global tant au moment de la construction que pendant la durée de vie des bâtiments (architecture solaire passive, grandes baies vitrées, protections solaires, etc.).
Bref, peut-être que le New Urbanism devra se convertir à un modèle de la jolie ville à une ville agile (« Faire autrement après » ? Quelques pistes? Comment? Petite contribution d’un urbaniste et architecte au débat, 22 mai 2020
Sans nul doute, le Roi Charles III sera d’accord sur ce point. Merci de cette lecture.
nota : sources images, Computer-generated image designed by Ben Pentreath © Duchy of Cornwall/Architecture in Motion
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.