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Mots clés : architecture classique, gentrification, architecture contemporaine, politique
L’architecture a toujours été un moteur des discours politiques. Pour s’en convaincre, il suffit de comprendre les enjeux de la reconstruction de Berlin par Albert Speer, architecte d’Hitler, mais également concepteur de Germania, la ville nouvelle et capitale du nazisme mondial devant remplacer la vieille Berlin et basé sur la théorie des ruines. Sous le couvert de l’éradication des quartiers juifs, il y a aussi derrière ce projet pharaonique une démarche plus profonde tenant de lier le style architectural à une idéologie politique. Le Nazisme ne fut pas la seule expérience culturelle et architecturale de l’Europe à cette époque. L’exemple mussolinien et son architecture rationaliste, épurée et brutaliste démontrent également que tous les styles architecturaux peuvent entrer dans une idéologie politique, extrême ou non.

Patrimoine et méthodes
Il faut toutefois reconnaitre que l’architecture classique revient souvent comme « architecture du pouvoir ». C’est aujourd’hui le cas aux USA où le gouvernement Trump a décidé de développer des critères architecturaux pour la désignation des architectes devant construire pour l’état des bâtiments publics. Précisons par comparaison que l’Europe édicte également des conseils quant à l’élaboration de l’architecture, entre autres dans le cas de subsides environnementaux dans le cadre des fonds européens. Il y est précisé que lorsque de nouvelles pièces/éléments sont nécessaires, un projet doit utiliser une conception contemporaine ajoutant une nouvelle valeur et/ou une nouvelle utilisation tout en respectant les éléments existants. Sommes toutes, rien d’extravagant et ces textes reprennent l’esprit de la charte de Venise (1964) qui précise le concept d’« authenticité » au travers des interventions sur le patrimoine, complété par le texte de Nara (Japon) édité en 1994 qui reprend ce concept et le définit en relation avec les approches culturelles. Quoi de plus normal que ce texte a été édité au Japon, pays où le savoir-faire de la construction des temples en bois est plus important que l’architecture du temple lui-même, par ailleurs inchangé depuis des siècles grâce à ce savoir.

L’occident, au contraire du Japon, a préféré de tout temps la pierre, un matériau indestructible sauf par les guerres et les Rois. La destruction est donc un acte sacrificiel pour nombre des Occidentaux. Parallèlement, les guerres furent si nombreuses sur le continent européen que la Charte de Venise prend tout son sens en précisant que si tous les documents sont disponibles pour reconstruire un bâtiment à l’identique, il est préférable de le remettre dans son pristinct état, même si cela se fait grâce à des technologies modernes. Le plus bel exemple de cette approche fut le travail de reconstruction du pont de Mostar (16e siècle) en Bosnie-Herzégovine et détruit pendant la guerre de Yougoslavie (1993). Son arche en dos d’âne de 27 m de portée a été reconstruite grâce à l’ensemble des documents compilés au fil du temps : visuellement le pont est identique, dans les faits il fut construit dans les méthodes traditionnelles, ce qui n’exclut pas non plus l’usage de systèmes constructifs plus contemporains, mais invisibles (tirants aciers, résines …).

New Urbanism
Finalement, la « vieille architecture » rassure nos sociétés et le Prince Charles avec son New Urbanism est le chantre de ce mouvement très présent dans les pays anglo-saxons. Toutefois, ce type d’architecture angloromantique d’un passé perdu se côtoyait aux USA avce des actes plus contemporains… jusqu’à l’arrivée de l’administration Trump. Le projet remarquable de Tom Mayne (Morphosis) montre, si nécessaire que l’architecture contemporaine avait droit de citer aux USA. Aujourd’hui, le néoclassicisme est de mise.
Aujourd’hui, précise Lyod Alter dans son article US government goes after green modern design, will make architecture classical again, que le gouvernement américain veut faire le contraire de l’UE, en proposant une ordonnance qui rendrait obligatoire la conception classique. Cathleen McGuigan, de l’Architectural Record, écrit que le projet d’ordonnance soutient que les pères fondateurs ont adopté les modèles classiques de l' »Athènes démocratique » et de la « Rome républicaine » pour les premiers bâtiments de la capitale parce que ce style symbolisait les « idéaux d’autonomie » de la nouvelle nation (peu importe, bien sûr, qu’il s’agisse du style dominant de l’époque). La note préliminaire de l’administration américaine devrait remplacer la dernière note en date sur le « style architectural » datant de 1962… le rapport précise également que le bâtiment du FBI croqué par Morphosis (sans Francisco, 2007) et celui de la cour de justice dessinée du bureau Mack Scogin Merrill Elam Architects (Austin, 2012) n’ont aucun caractère. Si ce point nous vous laissons seuls juges au regard des photos…


Back to the past (for rich people only)
Alors que Daniel Patrick Moynihan a défini des lignes directrices pour l’architecture fédérale américaine en 1962, déclarant qu’un style officiel doit être évité et que la conception doit passer de la profession d’architecte au gouvernement et non l’inverse, l’administration actuelle va créer le Comité présidentiel pour la requalification de la beauté de l’architecture fédérale, afin de garantir que l’architecture se conforme aux styles classiques appropriés. Et Marion Smith, président de la National Civic Art Society dont le slogan emprunté à W. Churchill est « Nous façonnons les bâtiments et ensuite ils nous façonnent », précise encore que « c’est ce que veut le peuple« .
Un mouvement conservateur qui se décline aussi dans les bâtiments privés, particulièrement liés à la construction de logements et qui sévit à Los Angeles. Là encore les intentions sont louables, basées empiriquement sur les concepts du New Urbanisme : alignement des façades, densité, création de rues piétonnes ou à circulation plus douces, larges trottoirs. C’est le cas des projets de Geoff’Palmer (Real Estate) travaillant toujours dans le style Renaissance style appartement dans le Downtown de Los Angeles. L’article Los Angeles’Faiuxtalian Renaissnance : Oblitering Culture and Facilitating Gentrification publié dans The Urbanist le 05 mars 2020 conclu ceci : Geoff Palmer et Rick Caruso sont des exemples archétypaux de riches qui s’enrichissent et de pauvres qui s’appauvrissent, car tous deux avaient un point de vue sur la manière de vivre : être issus de familles dont la richesse est établie. Cet article suppute donc que le style architectural accompagne aussi les catégories d’habitants et dans le cas de L.A., les nouveaux logements de style Renaissance « Disney » dans le centre-ville fait remplacer un espace socialement mixte par des riches eux-mêmes attirés par ce type d’architecture. Une situation qui se retrouve également dans les villes et quartiers de banlieue anglaise ou américaine qui se sont fondés sur le new Urbanism porté par le Prince Charles.

Discussion
Pour en revenir à notre questionnement, nous voilà donc face à la question de la valeur d’une société et de son état de la démocratie en fonction de la qualité de l’architecture qui est proposée à la population. Si nous suivons les interprétations des auteurs mentionnés, l’architecture classique américaine renvoie à une régression culturelle. Trump en étant à l’avant-garde. A contrario, si l’architecture de Morphosis et d’autres sont des chefs-d’œuvre pour les initiés, qu’en pense les justiciables ? Dans un monde en pleine mutation, l’architecture classique ne serait-elle pas un moyen de réconcilier les citoyens avec leur état ? Le but de cet article n’est pas de donner une réponse, mais bien de placer une réflexion : l’architecture, qu’elle soit l’expression de la démocratie ou de la dictature est toujours un acte politique lorsqu’on construit un bâtiment public. Il nécessite donc un recul. Ce recul peut s’obtenir grâce à la qualité des concours réellement ouverts avec un jury extérieur aux décideurs politiques pour, en quelque sorte, diluer la décision vers la communauté. Enfin, cette communauté doit être ouverte et perméable aux expériences architecturales qui leur seront offertes afin de s’émanciper par la culture. Et la culture, ce n’est pas que le passé, c’est comprendre le passé, le comparer avec le présent pour y voir les futurs. Si nous regardons dans le passé sans expérimenter le présent, alors nous laisserons le pouvoir à certains pour reconstruire encore une fois Berlin.
Merci de votre lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Curator. Spécialiste Smart Cities et données urbaines, Université de Mons, Faculté d’architecture et d’urbanisme
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