Penser différemment les ZAE en Wallonie

 

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Les zonings industriels sont un enjeu majeur de développement au sein de la Région wallonne (Belgique), territoire au cœur de l’Europe et proche de l’ensemble des ports d’Anvers, Amsterdam et Rotterdam et au cœur des réseaux routiers ou ferrés les plus denses  d’Europe (axes Amsterdam Marseille et Londres-Berlin). La particularité de la Wallonie face à ses voisins est certainement d’offrir encore des sites suffisamment étendus pour recevoir des entreprises de logistique, grandes consommatrices de surfaces.

Toutefois, le mikado parcellaire oblige souvent les intercommunales de développement à demander de nouveaux sites à viabiliser. Nous nous retrouvons ainsi face à une fuite en avant qui aurait tendance à laisser, voir délaisser, l’ensemble des surfaces préexistantes avec pour conséquence aujourd’hui que de nombreuses zones industrielles fondées avant les années 90 se retrouvent désuètes, sans âme, perdant de leur attractivité. Un paradoxe puisque, parallèlement, les actions politiques ont pour but de développer les PME qui ont légitimement besoin de zonings tels que ceux-là, avec des parcelles de moindre dimension, souvent mieux situées le long d’axes de transports et proches des villes de plus petites dimensions ou bien historiquement situées en frange urbaine.

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Le site de Caterpillar Belgium encore en activité, Gosselies.

 

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Le site de Jumet, face à l’ancien aéroport de Charleroi, conçu dans les années 1970

Il se pose donc la question de l’avenir de ces zonings délaissés face aux nouveaux développements qui pourraient être aussi appelés « toujours plus fort, toujours plus loin, toujours plus joli ». Pour ce dernier point, l’appel aux paysagistes et urbanistes se fait rare, mais reconnaissons que même les économistes les plus obtus des intercommunales sont aujourd’hui conscients que le beau est un bon markéting pour attirer les entreprises dans un contexte de plus en plus compétitif et transfrontalier.

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Le site de Paris-Orly-Rungis tel que présenté aujourd’hui, outre l’arrivée des transports en communs, un travail majeur sur les espaces publics et les espaces de friches reconfigurés, outre une densification des activités mixtes

Dans ces conditions, que faire alors des zonings désuets qui ont plus de 40 ans maintenant ?

Icade, développeur immobilier français de premier ordre s’est penché sur la question dans le cadre d’une opération pilote à Paris-Orly-Rungis[1] et s’appuyant sur le concept « Coach your growth ».

De quoi s’agit-il ?

Icade était face à un problème similaire aux zonings susmentionnés, à savoir espaces désuets à rénover, strictement fonctionnels (on cherche les trottoirs…), sans services aux entreprises, etc. Dans ce contexte et au lieu de formuler des solutions simplifiées à défaut de perdre définitivement l’attractivité du site et voir les entreprises se sauver, Icade a décidé de lancer une vaste enquête auprès de ses occupants, “Le projet Coach Your Growth est né d’un constat, nous explique Benoît Barillier, celui que nos parcs d’activités devenaient vieillissants. Une transition s’est opérée entre les parcs d’activités industrielles des années 60-70, ainsi que la tertiarisation des années 2000. Nous avions donc besoin d’adapter l’offre immobilière et d’intégrer des transformations pour la vie des salariés, car les locataires allaient partir.” ( Benoît Barillier, Directeur Asset Management pour Icade pour ce site de Rungis). La démarche fut inspirée, car Icade n’a pas seulement répondu aux besoins qui étaient relativement simples et projetant une simple demande de remise à niveau du site.

 

En effet, en émergea un projet d’offre de services complémentaires aux besoins sollicités afin d’améliorer sensiblement l’offre et, surtout, faire en sorte que le site physique devienne support de redéploiement des entreprises avec le parc qui s’est en effet transformé peu à peu, avec une intervention sur les espaces en attente de reconversion, souvent des friches foncières pour lesquelles Icade attendait d’avoir des projets d’immeubles à développer. Ainsi a été créée la place du village, configurée comme un espace public fédérateur pour le parc, des services de restauration, mais aussi une smart room et un smart desk, des espaces partagés à disposition des entreprises locataires pour avoir des lieux où organiser des réunions, des événements. Un autre espace a été aménagé qui offre un espace de détente aux salariés : il s’agit de la place des découvertes. Un entrepôt de 10 000m² a été détruit pour sa mise en place, puis une dalle béton a été créée pour aménager cet espace public où différents mobiliers urbains invitent à la détente. Le lieu nous donne une atmosphère particulière avec ses différents conteneurs aménagés en restaurant, salon de beauté, concept-store de créateurs, mais aussi salle collective pour les salariés et espace zen pour des cours de yoga ou de méditation. Des espaces libres d’accès pour l’ensemble des salariés des entreprises locataires du parc de Rungis d’Icade. C’est donc une mini-ville qui s’est créée in situ, renouvelant des friches (eh oui, il y a déjà des friches sur les zonings, c’est le cycle naturel de l’économie qui veut cela).

L’urbaniste que je suis pourrait objecter que renforcer ces zonings industriels , c’est déforcer un centre-ville proche et que ce type de solution innovante ne peut se mener qu’à l’échelle des espaces métropolitains et non de villes moyennes dont les centres-ville sont malades ou en convalescence: par exemple Mons, La Louvière, Seraing, Herstal…

En outre, il reste actuellement toujours difficile de développer des fonctions d’accompagnement des bureaux ou industries au sein des ZAE wallonnes, bien que le nouveau CoDT offre de meilleures opportunités. Et puis, allez demander à une intercommunale de vendre un terrain en ZAE pour y construire un restaurant, une crèche et un magasin bio de circuits courts et vous verrez les réponses. Bref, ce n’est pas dans les mentalités, ni des services d’urbanismes, ni des développeurs économiques institutionnels.

Pourtant, l’enjeu est de taille et renvoie à la pérennisation des entreprises de type PME qui sont le tissu fondamental de la nouvelle économie (entre autres collaborative). De même, cette nouvelle économie nécessite également des profils d’emplois, jeunes, qui sont également beaucoup plus exigeants sur leurs lieux de travail et l’environnement direct : transports en commun, qualité des échanges, etc. Icade l’a bien compris et a proposé mieux que ce que les entreprises demandaient en proposant des lieux supplémentaires : resto et bars, mais également lieux de rencontre, espaces à investir par diverses activités, espaces de rencontre, espaces de coaching, lieux de vies et d’échanges (un investissement de 10.000.000 d’euros pour 18.000 emplois, soit +/- 555 €/p/travailleur) .

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Mais revenons à l’urbaniste : cette approche nouvelle s’inspire grandement des notions de tiers-lieux et sur l’évolution des comportements sociaux par communautés.

La première inspiration, liée aux tiers-lieux: Je vous ressors ici la définition que j’en faisais dans le livre 100 notions pour l’art numérique, sld. de Marc VEYRAT, collection 100 notions, les éditions de l’immatériel en 2015 :

Les interfaces numériques créent de nouvelles dimensions appelées tiers-lieux. Ce sont des espaces, dont la localisation est réelle ou virtuelle, qui peuvent être augmentés par des informations ou réaffectés grâce aux technologies. Ces tiers-lieux permettent s’approprier autrement la ville et ses lieux architecturés.  La définition de tiers-lieux est intimement liée à l’apport des technologies de l’information et des la communication (TIC) dans la ville. Les outils numériques, désormais mis à disposition de chacun, que permet une appropriation innovante des espaces de la ville. L’individu connecté (Wi-Fi, 3G, 4G) devient un acteur urbain géographiquement omniscient. Cette nouvelle forme de cartographie urbaine mentale est un processus inédit qui définit de nouvelles dimensions de l’espace urbain, hors du format normatif de la carte et du plan. Il est alors question d’un nouvel apprentissage de la dimension urbaine qui ouvre les portes de la création de nouveaux espaces superposés, réels, virtuels ou les deux. Cet apprentissage de la nouvelle cartographie sémantique des villes passe par la création d’espaces hybrides, tant physiques qu’utilitaires, pour atteindre l’ultime pluri- dimensionnalité de la superposition des espaces réels et virtuels en un même lieu. Une première approche urbaine réelle consiste à créer ou à se réapproprier des espaces délaissés, mis en évidence par les technologies connectées telles que Google Maps, Bing et Openstreet qui offrent une égale accessibilité à n’importe quelle rue. Dans les quartiers urbains, les espaces résiduels peuvent ainsi être localisés et investis d’usages réels et/ou virtuels. Autre approche, définir plusieurs espaces (et donc plusieurs usages) sur un même lieu. Des études expérimentales sont en cours pour un centre commercial construit à Bruxelles sur les ruines d’un site industriel historique. Ce projet prévoit la superposition de la trame commerciale avec celle des bâtiments historiques virtualisés. Selon l’usage et dans un même lieu, l’utilisateur pourrait à la fois profiter du centre commercial et d’une visite virtuelle du site historique. La ville et l’architecture se trouvent ainsi dédoublées par les nouvelles technologies. Qu’ils soient réels ou virtuels, les espaces définis par les tiers-lieux offrent une nouvelle vision l’urbanité, en plusieurs dimensions.

 

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la folie Pokémon Go de 2017 continue encore actuellement à travers le monde… de l’ubiquité des identités et des usages.

Quant à la seconde évolution majeure, elle est celle qui devrait maintenant inspirer tous les développeurs dans le cadre d’aménagements urbains : elle est la question des communautés différenciées selon les usages. De fait, grâce (ou à cause) des réseaux sociaux, nous avons nous-mêmes créé de nombreuses identités qui parfois s’entremêlent, mais pas forcément toujours. De ce fait, les territoires physiquement identitaires sont de plus en plus marqués. Attention, il n’est pas question ici de parler de quartiers protestants ou catholiques comme en Irlande du Nord, ou de quartiers chinois, italiens, sikhs … à Londres. Un modèle anglo-saxon qui n’est pas très approprié pour nos contrées plus latines. Il est question de parler de lieux différents mais qui correspondent à une identité pour une même personne : l’identité du lieu de travail, des loisirs, urbain, etc. Une identité qui est en réseaux et ne se limite plus à son cercle d’amis ou de collègues, nous avons aussi envie de rencontrer nous collègues de travail élargis au site dans lequel nous travaillons et avec qui nous sommes en lien avec LinkedIn, Twitter ou Facebook. En d’autres termes, le besoin insatiable de se retrouver IRL (in Real Life) avec les gens que nous rencontrons dans les réseaux sociaux.

Certaines personnes objecteront que si les employés passent plus de temps sur leur lieu de travail, ils en passeront moins en ville. Certes, c’est en partie vrai, mais aujourd’hui n’avons-nous pas des vies beaucoup plus chargées qu’avant pour nos parents et grands-parents ? Bien sûr que si. Elles sont intenses et l’exigence de l’homo numericus est de vivre pleinement chacune de ces expériences… y compris au travail et donc dans le quartier où il travaille donc dans le ZAE.

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Plan de secteur de l’aéroport de Bierset, DGO4, 2018

Il est donc grand temps que la Région wallonne se penche sur cette problématique à défaut de se retrouver, avec les intercommunales, face à une équation impossible : des entreprises industrielles qui recherchent de nouveaux sites de production plus conviviaux alors que les anciens sites deviennent des friches bien que souvent mieux situées à la lisière des agglomérations, donc plus urbaines (mobilité, accessibilité, etc.).

Finalement, gouverner c’est anticiper. Il serait donc peut-être temps que la Région wallonne et les opérateurs de terrains (au sens premier du terme !) se posent la question du cadastre temporel de leurs sites c’est-à-dire l’âge de leurs infrastructures et des entreprises qui y sont installées ainsi que de la moyenne d’âge des travailleurs dans les sites ; de libérer de la contrainte du plan de secteur en considérant les ZAE comme des zones d’urbanisation à par entières, avec les mêmes besoins et usages que les zones d’habitat qui permettent, elles, le petit artisanat et enfin, de donner du travail aux urbanistes et sociologues, seuls capables d’appréhender les nouveaux besoins des travailleurs… avant de devoir investir dans la rénovation lourde des ZAE des années 50 à 90.

 

 

Pascal SIMOENS, Urban Planner & architect, Smartcities expert.

 

Sources :

Cet article s’est basé sur l’analyse et certaines images du blog Lumières de la ville et de l’article de la rédaction à Rungis, Icade réinvente le parc d’activités en créant des lieux de vies pour les salariés, publié le 19 juillet 2018

Plaquette de présentation de Paris-Orly-Rungis(Icade)

[1] Paris-Orly-Rungis est le premier parc tertiaire privé du sud de Paris. Il compte 18000 emplois et accueille plus de 220 entreprises, cependant, le parc ne possédait que peu de services et de lieux de vie pour les salariés venant chaque jour sur le site.

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