Voici quelques semaines, un nouvel article sur la composition d’un plan d’une école existante passé à la moulinette par un algorithme donnait l’image de formes organiques séduisantes. De nombreux collègues dans le monde la construction se sont emballés sur cette, soit-disante, avancée. Mais qu’en est-il réellement ?
L’article posté par Joël SIMON, Evolving Plans, relève dès le départ les limites de l’exercice : le paramétrage des plans est fait sur base de plans existants et, parallèlement, de l’encodage des données de flux supposé des personnes utilisant le bâtiment, le tout complété par un algorithme organique veillant à ramener les espaces aux chemins les plus cours au travers des liens de plus petite distances.
En d’autres termes, nous en sommes encore loin d’une architecture conçue par une A.I. comme initialement présenté, mais bien dans une conception paramétrique comme de nombreux architectes le font depuis longtemps et de manière analogique, par expérience, et plus récemment, grâce aux logiciels tels que Grasshopper.
Plus précisément, nous sommes dans l’approche du design génératif qui crée de nouvelles formes à partir d’un patron préexistant et des données complémentaires qui transforment ce patron.
Or, l’architecture est tout autre dans ses modèles de conception. Mieux, l’architecte reste encore aujourd’hui la machine la plus performante pour intégrer des métadonnées complexes pour un site (relief, voisinage, orientation, conditions climatiques …), un contexte local (prescriptions urbanistiques, enjeux territoriaux …), un programme (nombre de pièces, niveaux …), un maître d’ouvrage et des usagers. Sans compter la capacité de résilience du projet à travers le temps, un élément fondamental dans une époque où les changements de tout ordre sont d’actualité. Et, de fait, imaginons les palais palladiens de la renaissance. Qu’est-ce qui peut faire que ces bâtiments soient encore pertinents aujourd’hui ? Peut-être parce qu’ils lient à la fois le contexte, des règles de construction simples (donc facile à réparer) et un plan d’une flexibilité extraordinaire face aux évolutions de la vie. Toutefsoi, ne nous leurrons pas, l’informatique et l’optimalisation des bâtiments par les données paramétriques sont déjà une réalité, telle que définie dans cette vidéo Autodesk (générative Design : co-creating with A.I.)
Toutefois, il faut encore parler ici d’optimalisation plutôt que de conception. Mais revenons à l’architecture paramétrique : de nombreux projets existent déjà et je n’en citerai que deux pour mieux faire comprendre les approches actuelles en architecture (et non exhaustif !).
Le premier projet est le Brickell City center dans le Down Town de Miami. Ce projet développé par Swiss Properties est l’un des plus grands projets immobiliers de Miami et inclus du commerce, des bureaux, des logements, etc. Nous allons surtout nous attarder ici sur le centre commercial conçu par Arquitectonica (Miami) et sa filiale Arquitectonica Geo pour les espaces publics et jardins. Ce centre commercial correspond aux canons de demain des centres commerciaux, au sens conceptuel : ce n’est plus une box fermée mais bien une rue couverte, intégrée dans le tissu urbain existant ou refaçonné. Mais à Miami, avec les conditions climatiques spécifiques à un climat tropical, la question de la couverture de toiture doit répondre aussi à un enjeu majeur de régulation des vents, soleil, etc. C’est ici que s’insère la conception paramétrique avec le « ruban climatique » développé par l’équipe de conception qui a été paramétré pour répondre à l’ensemble de ces contraintes. Il en découle une structure anamorphique selon l’endroit où la toiture se situe.
Le second projet est le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) situé à Lyon et dont les architectes sont le bureau bruxellois Art&Build. L’intérêt de ce projet est dans la gestion de la protection solaire pour une cour intérieure circulaire… et donc orientée autant au nord qu’au sud, Est et Ouest. Les architectes ont choisi un métal découlé en forme de feuilles/fleurs et qui se déploie selon son échauffement au soleil et à la lumière. Une action qui implique de travailler à la fois sur les alliages, la forme, la durabilité. Tout cela étant paramétrisé par ordinateur et puis développé en POC (Proof of concept).
Ces deux projets montrent aujourd’hui le niveau de conception assistée par les programmes de paramétrisation pour les architectes. D’autres recherches plus élaborées dans les processus de conception suivi s de réalisations correspondent aux recherches, entre autres, de l’Institute for Computational Design and Construction à Stuttgart et incluant, dans le processus d’élaboration, la nécessité de l’intégration des technologies de fabrication comme la robotique, les drones, etc.
C’est probablement là que la conception pour les architectes est en pleine révolution, car la conception architecturale, telle de développée par des bureaux comme Zaha Hadid Architects a démontré (et continue avec Patrick Schumacher issu de l’ICDC de Stuttgart) que l’architecture peut prendre de nouvelles formes grâce à la technologie et son intégration dans le concept de mise en œuvre. La première œuvre fut le Musée Guggenheim à Bilbao avec l’utilisation du logiciel Cathia (Dassault), ce fut au milieu des années 1990. Depuis, le travail est lent, mais inéluctable et ce n’est pas la première fois dans l’histoire de l’architecture que les paradigmes conceptuels changent: la construction des cathédrales n’a pu être réalisée que grâce à l’insertion du métal dans les pierres afin de les liaisonner et les ancrer, l’Art nouveau a permis (bien avant le CIAM) l’usage de l’acier (toujours) pour rendre le plan libre, aujourd’hui, ces mêmes matériaux en béton, bois, acier, briques prennent de nouvelles formes, car les ordinateurs contribuent à mieux connaitre les limites des structures imaginées par les architectes.
Alors, cet article que vous avez peut-être lu pendant les vacances est-il juste ? En partie oui, car il démontre que le travail avec les ordinateurs n’est pas seulement un travail d’encodage, mais bien un travail de partage. Non, car il est biaisé dès le départ, car orienté par l’algorithme organique qui a prévalu dans la conception des plans et revendiqué par ailleurs par leurs concepteurs.
Voilà qui devait être dit.
Pascal SIMOENS, Urban Planner & architect, Smartcities expert.