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mots-clés : patrimoine, heritage, architecture, métavers, site Godin, Bruxelles, Tokyo, Nakagin Capsule Tower Building
Chers lecteurs,
La semaine dernière , je vous parlais d’un article sur ArrchDaily qui nous présentait une forme d’état de l’art instantané sur la question du Métravers. Dans cette analyse, un article a particulièrement été porté à mon attention et je vais vous expliquer pourquoi.

Nakagin Capsule Tower Building
La plupart des architectes de ma génération connaissent le Nakagin Capsule Tower Building situé à Tokyo et tellement délabré qu’il est en cours de déconstruction. L’auteur de l’article sur le projet de numérisation, Maria-Cristina Florian, précise que Le Nakagin Capsule Tower Building est considéré comme l’incarnation d’une vision architecturale audacieuse : celle de la croissance organique et de l’extrême flexibilité. La construction a été finalisée en 1972, mais le concept de métabolisme a compris le bâtiment comme étant dynamique, dans un état constant de flux. Les 140 capsules branchées sur le noyau central, haut de 14 étages, étaient censées être ajoutées, échangées ou remplacées tous les 25 ans. Cela reflétait les idées métaboliques des années 1960, qui considéraient la ville comme un concept dynamique en constante évolution, animé par des aspects transculturels influents. Une démarche qui ne devrait pas laisser indifférents nombre d’architectes actuels qui tentes avec diverses fortunes de réitérer ces principes s’inspirant de l’œuvre de Kisho Kurokawa.
Malheureusement, le bâtiment flexible s’est confronté à la limite de l’exercice. Les capsules n’ont jamais été remplacées ni entretenues et aujourd’hui ce bâtiment est une ruine, du moins l’était avant sa déconstruction (avril 2022).
C’est là qu’intervient le cabinet de conseil numérique japonais Gluon qui a prévu de préserver le Nakagin Capsule Tower Building : Le « 3D Digital Archive Project » utilise une combinaison de techniques de mesure pour enregistrer le bâtiment emblématique en trois dimensions et le recréer dans le métavers. La tour est actuellement en cours de démolition en raison de l’état précaire de la structure et de l’incompatibilité avec les normes sismiques en vigueur, ainsi que de l’état général de vétusté et du manque d’entretien. Cette solution se complète de tentatives de muséification par la récupération de certaines capsules.
La méthode est assez simple : un scan laser 3D, accompagné de mesures par drones et photographies HD : En combinant des données de balayage laser, qui peuvent mesurer avec précision les distances, avec des données photographiques prises par des appareils photo reflex et des drones, l’ensemble du bâtiment a été mesuré en trois dimensions pour créer des données fiables sur l’ensemble de l’espace réel. La trajectoire des rénovations par les habitants et l’aspect des bâtiments tels qu’ils ont changé au fil du temps sont également enregistrés. Ce qui devient plus intéressant est la méthode d’archivage numérique du bâtiment en générant un bâtiment basé sur des données de mesure détaillées et reconstruire le bâtiment virtuellement « dans son jus » et dans le métavers.
De Tokyo à Bruxelles
SI je vous parle de ce projet, c’est pour deux raisons :
La première concerne la question du patrimoine aujourd’hui dans un monde où chaque brique semble devoir être conservée par pure nostalgie. La seconde est que ce type de travail a déjà été mené voici plus de 10 ans à Bruxelles !
La valeur patrimoniale d’un bâtiment

La valeur patrimoniale d’un immeuble dépend de son histoire singulière et du contexte dans lequel il s’insère dans le milieu urbain, tel un bijou dans son écrin. Le déplacement d’objets de ce patrimoine n’a plus de valeur lorsqu’on parle d’architecture. La preuve est la maison du peuple de Horta à Bruxelles qui a été démolie et dont certains éléments patrimoniaux restants n’ont jamais retrouvé leur lustre. D’un autre côté se pose la question de la transformation continue de la ville qui nécessite, parfois, une démolition/reconstruction nouvelle. Et dans ce cas, comment préserver l’histoire d’un lieu sans en galvauder son avenir ?

Le site Godin à Bruxelles
En 2011, nous avons réalisé une étude patrimoniale pour le compte du gouvernement Bruxelloise afin de juger de la pertinence ou non du maintien de l’ensemble du site Godin à Laeken. Les enjeux étaient de taille : ne pas perdre un patrimoine tout en permettant à cette zone au nord de Bruxelles de se développer.
Il en résultat de l’analyse que deux bâtiments devaient absolument être maintenus sur un site d’entrepôt de 4 Ha. Ce qui s’appelait le Familistère de Bruxelles, basé sur l’architecture (mais simplifiée) du Familistère de Guise construit par Godin, et par ailleurs un bâtiment de 3 étages qui s’appelait l’indiennerie, terme utilisé pour un bâtiment qui avait servi à l’import-export des produits vers l’Inde au 18e siècle. Le site était quant à lui composé de bâtiments industriels banals pouvant être comparés à ce qui est aujourd’hui construit dans les zonings industriels en périphérie.
Toutefois, ces bâtiments étaient en symbiose avec le site et constituaient un ensemble. Face à ce constat, notre équipe (avec Art & Build, David Roulin) s’est astreinte à trouver des solutions innovantes : proposer le scannage 3D de l’ensemble du site incluant les bâtiments démolis et à conserver, photographier en haute définition tous les éléments, créer des archives visuelles et auditives par le passage et l’analyse d’experts en patrimoine industriel belge.
Il en résulte une base de données placée sur 2 disques durs avec viewer et lecteur audio-vidéo. En effet, l(‘évolution des supports avait été relevé comme problème à intégrer dans la pérennité des données stockées. Complémentairement, ces données furent mises à disposition des archives de la ville de Bruxelles, ce qui ne fut pas sans étonnement de leur part, étant confrontés à la question « qu’allons-nous en faire », habitués qu’ils furent à stocker du papier.

De Bruxelles à Tokyo
Plus de 11 ans après, l’équipe tokyoïte de Gluon propose une nouvelle étape en reconstituant l’œuvre architecturale dans le Métavers. Nous ne pensons pas que la pérennité de l’œuvre soit pour autant garantie, mais c’est une étape importante dans le jalon des questions du patrimoine.
Lecture de notre article sur la digitalisation du projet Godin :
Patrimoine et héritage social : la place du numérique, HIS3 Hyperheritage international Seminar, 2016
Heritage buildings and digital storage, 11CTV congress, Krakow, 2016
Merci de cette lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.