COMMENT DONNER CE « PETIT SUPPLÉMENT D’INTENSITÉ » A CHARLEROI ?

quartier du Barcode à Oslo, MVRDV, 2003

Temps de lecture : 10 minutes
mots-clés : Olso, Aker Brygge & Tjuvholmen, Barcode, Bjorvika, urbanité, intensité urbaine, voyage, typomorphologie

Chers lecteurs,

Les vacances sont propices à quelques réflexions, en voici une qui est le résultat d’un voyage de plus de 3 semaines dans 5 pays Allemagne-Danemark-Suède-Norvège permettant de prendre un peu de recul face aux contraintes quotidiennes qui nous obligent parfois à porter quelques oeuillières. L’objectif sans prétention de ces quelques lignes est le débat, la réflexion, l’ouverture, les idées.

Introduction

Une ville est un ensemble d’éléments physiques et humains « qui fait que la ville est une ville » (F. Choay). Lorsqu’elle nous présente sa définition de l’urbanité, elle pourrait apparaître quelque peu absconse : ce qui fait qu’une ville est une ville…. oui et après ? À travers cette expression quelque peu sibylline se cache la complexité urbaine qui fait qu’une ville comme Bruxelles n’est pas comme Charleroi qui n’est pas comme Manchester qui n’est pas comme Glasgow et j’en passe. Les recettes ne servent à rien. Par contre, s’inspirer de ces expériences urbaines doit nous permettre de réinterpréter les expériences urbaines où nous vivons.

Hier les urbanistes étaient formés avec des règles d’aménagement : Philippe Panerai, grand prix d’urbanisme en 1999, proposa ses réflexions au sein de la faculté d’architecture et d’urbanisme (UMONS) sur ce sujet grâce à la chaire Francqui et au travers de son fameux livre « de l’îlot à la barre », fondement de sa pensée. Aujourd’hui, de nouvelles théories urbanistiques telles celles de Thierry Paquot replaçant l’individu au centre de la vie urbaine est au centre de toutes les réflexions. C’est la fameuse urbanité de Françoise Choay qui revient au galop. Outre-Atlantique, ces mêmes questions sont posées à travers le développement de la ville créative (Richard Florida, Charles Landry), mais aussi, sous une tout autre forme, à travers le New Urbanism, le premier n’ était pas opposé au second.

En résumé, l’urbanisme post seconde guerre mondiale proposait la reconstruction sous des formes urbaines d’îlots ouverts, semi-ouverts (Christian de Portzamparc) ou fermés comme langage urbain. Quelques décennies plus tard, les années 1980 ont vu naitre petit à petit le développement de théories moins architecturées pour se concentrer sur l’ « habiter », faisant apparaitre des formes urbaines plus souples et temporelles comme les tiers lieux. On notera au passage que la ville « smart » ne fait qu’amplifier ces phénomènes. Aujourd’hui, et toujours par analogie à la cuisine, on a parfois l’impression d’une soupe , un bloubiboulga de Casimir, tellement les axes théoriques et leurs applications concrètes s’entrecroisent ou s’entrechoquent.

La bonne recette

Sans aucun doute, le concept de ville créative fonctionne bien pour les mégapoles et métropoles. Si pour les premières, la dimension de la ville est évidente, les métropoles sont plus enclines à une quantité de définition variables en relation avec leur territoire, leur taille, leurs formes urbaines.
En réalité, le paradoxe est que toutes les théories s’accumulent sans pour autant se démentir. Chaque ville est un cocktail complexe pouvant s’inspirer de certaines grandes « lois » et principes d’aménagements sans pour autant s’y conformer strictement.
Finalement, ce qui fait la différence, c’est la particularité de chaque ville et les solutions apportées pour régler ou valoriser ces particularités. le sel… ou le piment dans la recette.

Organisation spatiale du quartier Aker Brygge à Oslo, SPOOL, 1998

Charleroi ?

La question est également posée pour les villes wallonnes et plus particulièrement Charleroi qui, rappelons-le, est la seconde agglomération wallonne après liège. Son poids démographique et économique est essentiel avec une population d’agglomération qui représente près de 9% de la Région wallonne. Aujourd’hui, il faut reconnaitre que la ville est en transformation, c’est une ville en chantier comme des villes telles Bilbao au début des années 2000 ou encore Bordeaux dans les années 2010. Il reste encore au moins une décennie pour commencer à récolter les fruits de ces changements. Mais ne dit-on pas qu’une ville sans grue c’est une ville qui se meurt ?

Mon questionnement à travers la traversée des villes du nord de l’Europe, de Hambourg à Oslo, est de savoir si ces travaux actuels étaient suffisants pour enclencher une dynamique vertueuse à l’échelle non seulement du centre-ville, mais tout autant de l’ensemble de l’agglomération ? Nous sommes en droit d’en douter si la question fondamentale de Charleroi est de trouver une nouvelle forme d’urbanité. Explications. Jadis, Charleroi et ses plus de 20.000 habitants (ancienne commune intra Ring et un peu plus au nord) étaient bouillants de vie, car elle regroupait toutes les activités centrales de commerce, services, etc. malgré sa petite taille. En outre, il y avait une perméabilité avec les communes avoisinantes : Marcinelle, Montignies-sur-Sambre, Lodelinsart, Dampremy, etc. la ville n’était pas très dense, et son centre-ville encore moins avec la plaine des manœuvres et ses bâtiments administratifs. Mais il y avait une masse critique extra ring plutôt habitée et qui alimentait le centre ville à pied ou en tram.

avenue Paul Pastur, futur BHNS, source TEC

Aujourd’hui le plan du Baumeester est de densifier les axes de transports autour du tram et du BHNS. On pourrait rêver d’un investisseur tel le baron Empain qui urbanisa l’avenue Brugmann au début du 20e siècle. Toutefois, ce serait oublier qu’à la même époque Bruxelles doublait de population en moins de 30 ans. L’idée est pourtant judicieuse dans un tissu urbain peu dense et pour une ville qui fait la taille de la ville de Paris en superficie… mais avec 10 fois moins d’habitants et un territoire encore peu attractive. Quelques part, la recette est juste mais les ingrédients n’y sont pas.

https://travelless.tumblr.com/post/161959666298/the-metro-of-gotham-city

Par ailleurs et fait unique en Europe, dans les années 1970, le centre-ville de Charleroi s’est vu créer un nouveau rempart (sa deuxième enceinte après le démantèlement de la forteresse espagnole au début du 20e siècle). Certes, il y a bien des autoroutes qui traversent certains centres-ville ailleurs, mais jamais qui l’entourent de manière aussi serrée : à peine plus de 3 km. Cette ceinture, le « petit ring » pour les connaisseurs, se complète d’une tranchée matérialisée par la superposition du train et du viaduc routier, et pour partie également un tramway aérien. Ces remparts offrent un regard sur la ville assez extraordinaire, tel un chemin de ronde pour les nostalgiques, un voyage suspendu au-dessus de la ville pour les plus futuristes (Métropolis ou Gotham City).

Quelles que soient les intensions de transformation de la lecture de cet espace, on citera le projet Décathlon qui propose des espaces sportifs au niveau du viaduc), la morphologie de l’espace reste et restera bien une barrière, un rempart.

Décathlon , Charleroi centre, arch : L’atelier de l’arbre d’or.

Vers un urbanisme médiéval ?

Une des caractéristiques urbaines des villes est définie par la densité. Pour comparaison, Charleroi offre 2.200 habitants au km², Olso 3.200 hab/km² soit des villes extrêmement peu denses face aux Paris (20.700 hab/km²) et Mumbai (20.964 hab/km²) et moins denses villes de Londres (5.518) ou Tokyo (6.000). Toutefois, et pour être exhaustif, on précisera que d’autres villes sont moins denses : Pékin (1.300) ou Memphis (898) pour exemple.

Ces données ne signifient pas grand-chose si on ne compare pas la dimension de la commune par rapport à sa densité. En effet, certaines villes ont fusionné plusieurs communes et s’étendent parfois très loin du centre-ville. C’est par exemple le cas de Pékin qui présente une densité globalement faible, mais un territoire gigantesque couvrant autant du bâti que des territoires agricoles. Ainsi, la densité du centre-ville de Pékin rejoint mieux son importance en tendant vers plus de 25.000 habitants/km² en son cœur.

Densité urbaine de Pékin, GIS via Google Erath, source KML : https://cdn.burb.tv/_f/o/00/09/76_districts-pop-density-Graph.kml
ibidem.

À l’échelle de Charleroi, sa typo morphologie spécifique avec un très petit cœur de ville et des remparts alentour doivent poser la question de la durabilité de son urbanisme si une urbanité vitale ne vient pas s’y accorder. Ce qui fait qu’une ville est une ville est aussi sa vie, avec ses habitants, ses services etc.. Des actions sont menées pour tendre vers une redensification de la ville, mais sa typologie ( 1/3 du cœur de ville est la propriété des pouvoirs publics : hôtel de ville, palais des expositions, palais de justice, parcs, espaces publics, écoles, universités, administrations, commerces, etc.) ne devrait pas permettre de retrouver un équilibre rendant la ville animée à toute heure du jour et de la nuit si nous perpétuons les typomorphologies actuelles. Se pose alors la question du comment ? Et nous allons nous inspirer d’Oslo pour ce faire, une ville endormie qui n’a pas échappé à une compétition urbaine qui fait rage à l’échelle mondiale depuis le début des années 2000 et sur base du modèle de Bilbao : architecture, culture, nouveaux quartiers, etc. une compétition urbaine qui nous rappelle celle des villes moyenâgeuses au travers de la nouvelle identité tribale qu’Alain Minc exposait en 1993 dans son livre prémonitoire « le nouveau moyen-âge » et qui sied tant à la classe créative de R. Florida. Pour un territoire qui avait parmi l’une des plus grandes villes (Bergen) membres de la ligue hanséatique, c’est tout compte fait un simple retour à l’histoire.
La ville est une « petite ville » typique du nord de l’Europe avec une ville-agglomération de 850.000 habitants. Outre le renouvellement urbain traditionnel des villes ces 20 dernières années, Oslo a focalisé son développement à travers le réaménagement de ses docks, les célèbres « Waterfront » avec une ville qui est installée en bout d’un grand Fjord, le seul au sud de la Norvège et de cette longueur (près de 100 km pour rejoindre la mer).

Aker Brygge & Tjuvholmen (SPOOL)

Google Earth, 2020

Dans une ville coincée entre eaux et collines, sériée par des activités non déplaçables (un port), le choix s’est porté sur le développement d’une densité phénoménale de 50.000 habitants au km², soit 900 logements sur moins de 5 ha pour le quartier Tjuvholmen en extension du quartier Aker Brygge plutôt dédié aux activités mixtes, commerces et bureaux (dont les bureaux de Google…).

Bjorvika Barcode (MVRDV)

source : MVRDV

Le second quartier concerne le quartier de la gare, un site coincé entre les voies de chemin de fer et le bord du Fjord qui a vu s’installer le célèbre opéra conçu par Snohetta. Le quartier est appellé communément le Barcode. Ce projet est un projet mixte de 220.000 m² (logements, bureaux, commerces et espaces culturels) sur une superficie de 3.5 Ha, soit une densité de 55.000 habitants au km² (2.000 habitants pour 380 logements).

Le projet Bjorvika dépasse la zone de la gare pour se prolonger le long du fjord, coincé entre collines, autoroutes et infrastructures ferroviaires. Dans cette zone, la densité est relativement plus faible de quelques milliers d’habitants et se situe entre 30 et 35.000 habitants/km².

maquette d’étude, MVRDV
Enb avant plan le musée Munch et les logements (25-30.000 hab/km²), derrière le quartier « Barcode » conçu par MVRDV (2003)

Que retenir des deux exemples d’Olso ?

La typo morphologie des nouveaux quartiers denses répond à une identité médiévale. En effet, la densité est un processus initié au moment des villes médiévales, concentrées sur peu d’espaces car devant être protégé par les remparts. On notera que des villes ayant maintenu leurs remparts sont souvent plus denses que d’autres. Pour exemple, la ville de Binche (à peine 32.000 habitants aujourd’hui) était la ville la plus dense de Belgique après Anvers et avant… Bruxelles, au basculement du 20e siècle. La raison était simple : cette petite ville n’était pas encore sortie de ses remparts avant l’arrivée de la révolution industrielle… même à la fin du 19e siècle). La densité urbaine est donc un facteur de morphologie. Dans le cas d’Olso, les quartiers sont coincés par des remparts artificiels et naturels : la mer, les sites industriels, les voies de chemin de fer, etc.) et complémentairement, la ville d’Oslo n’avaient pas nécessairement d’énormes possibilités de développement urbain eu égard à sa structure urbaine très peu dense sauf alentour du quadrilatère historique.

Il en découle un choix urbain très dense qui a eu pour conséquence, vu les faibles espaces disponibles, la création d’espaces publics étroits par rapport à la hauteur des bâtiments, tant pour Barcode que pour Tjuvholmen. C’est là où les enjeux d’urbanité deviennent intéressants : la population d’Oslo s’est fortement battue contre le projet Barcode, non pas pour sa densité, mais bien pour la construction de bâtiments hauts dans le cadre d’un paysage urbain plutôt horizontal. Toutefois, ces combats sont révolus et aujourd’hui ces différents projets sont acceptés et intégrés dans la vie des habitants qui profitent de nombreux espaces aménagés et conviviaux à taille humaine, piétons et constituées de venelles courbes et tordues selon les orientations et vues des bâtiments. Bref, un nouveau monde médiéval urbain… et cela dit, qui n’aime pas les vieilles villes et leurs rues sinueuses?

La densité renforce l’urbanité : Cela peu paraitre accessoire, mais dans une ville où la densité moyenne est de 1.542 hab/km² dans un pays où la densité est de moins de 14 habitants au kilomètre carré, se retrouver avec 35 à 50.000 habitants au km², soit une densité 2 fois plus élevée qu’à Paris intramuros est potentiellement traumatisant. Cependant, le tissu urbain engendré par cette densité a généré des expériences urbaines qui se rapprochent de celles déjà vécues (médiévales), permettant de mieux accepter les enjeux.

Pistes pour Charleroi ?

Si nous nous basons sur l’hypothèse que la ville doit se densifier pour atteindre un niveau d’urbanité suffisant pour devenir attractif et que la morphologie du cœur de ville est composée essentiellement de services publics, le solde des terrains encore disponibles doit être imaginé pour recevoir une très haute densité d’habitat et de mixité des fonctions. D’autant que la ville est ceinturée et que les remparts contemporains resteront, avec ou sans voitures électriques. Voici quelques années, j’avais supporté le projet des Hièrcheuses en précisant que la densité était nécessaire pour la ville de Charleroi et que la densité diffuse pouvait compenser la faible densité initiale du centre ville. Toutefois, la question de l’urbanité n’était pas traitée comme telle. Mon expérience récente d’Olso peut tout autant être comparée à celle de Copenhague ou de Hambourg, toutes deux des villes relativement peu denses et développant des quartiers de très haute densité comme une nécessité à une bonne recette d’urbanité.

Dans le même ordre, des pistes peuvent déjà être soulevées à travers divers projets pour Charleroi en centre-ville :

Projet Effiage, arch. RGPA GIE.
  • Le projet des 5 tours de la Sambrienne dont la densité ajoutée au quartier de la Broucheterre va certainement générer des transformations immobilières pour l’ensemble du quartier, en complément du district créatif.
  • Le master plan du remplacement du stade de foot est une opportunité sans pareil pour densifier le centre-ville en privilégiant les logements et services tout en liaisonnant le centre-ville au centre commercial ville 2 (extra-muros)
  • Le quartier de la gare nécessite une densité de logements le long des quais, la première tour « Effiage » est un début, mais il faut aller plus loin et plus vite avec un quartier de moyenne densité qui pourrait se développer à côté de la gare et au-delà du ring.
  • Le projet Left Side va dans le bon sens : 40.000 m² de bureaux + 380 logements sur un peu plus de 3 ha, soit une densité de 30.000 hab/km²
  • sans oublier le projet des « twins » de Rivers Towers dans le quartier inter-béton qui fut une erreur par le refus de permis.

Conclusion

Notre approche ne se veut pas scientifique au sens littéral du terme, mais plutôt sensible : on ressent bien le doute qu’il y a aujourd’hui à croire que tous les projets en cours puissent vraiment faire émerger une nouvelle urbanité à Charleroi et donc une nouvelle dynamique. Non pas que les choix sont erronés, mais plutôt trop pragmatiques. Les problèmes du ressenti d’insécurité en cœur de ville sont liés au manque de cette urbanité « parce que peu de gens vivent en ville ». Or, le cœur de ville est bloqué par ses remparts contemporains qui ne disparaitront pas de sitôt. D’autres formes d’urbanismes doivent donc être pensées pour un basculement. Il n’est donc pas nécessairement question de bâtiment haut, mais bien de densité, d’intensité urbaine, de perméabilité… qui inévitablement aura aussi un impact sur les formes urbaines comme le montre les quartiers d’Oslo qui, sauf « Barcode », sont des quartiers très denses s’inscrivant dans la ligne du paysage de la ville et amenant à de nouvelles expériences urbaines dignes des villes médiévales italiennes, françaises ou allemandes. Une autre manière de faire de la ville.

Merci de votre lecture.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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