24 DÉCEMBRE 2040 : VEILLE DE NOËL À CHARLEROI, VILLE TRANSFORMÉE

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mots-clés : Villes créatives, commerces, centre-ville, mobilité, shoppertainement  
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Article rédigé avec l’aide de l’IA : oui

En bref : un petit récit de Noël et d’anticipation. Partie 2 de 2, le premier récit est en lien au bout de l’article.

Le 24 décembre a toujours eu quelque chose d’irréel. Une journée qui n’obéit plus tout à fait aux règles ordinaires. Il est un peu plus de dix heures quand je quitte notre appartement, en plein centre de Charleroi. Les enfants sont déjà dehors. En congé scolaire, ils ont rejoint leurs amis quelque part entre la place, la rue commerçante et la station de métro. Je ne sais pas exactement où ils sont — et c’est précisément ce qui me rassure. En 2040, je vis dans une ville où les enfants peuvent disparaître sans danger, parce que l’espace public les accepte.

Je m’appelle Julien, j’ai déménagé à Charleroi depuis le nord de la France en 2020… C’était il y a 20 a vingt ans. Je n’ai plus de voiture depuis des années. Pas par idéologie, mais par évidence. Le métro est à deux minutes, le BHNS traverse toute l’agglomération avec une régularité presque ennuyeuse grâce aux sites propres, et surtout, tout ce qui compte se fait à pied. La ville a cessé d’être une succession de distances à franchir ; elle est redevenue une suite de situations à habiter et à vivre.

La rue est déjà pleine. Pas saturée. Pleine de gens, de voix, de gestes. Une densité humaine agréable, telle que décrite par Jan Gehl : « assez de monde pour observer, pas assez pour se sentir oppressé ». Les commerces ont ouvert tôt. Certains fermeront tard ce soir non pas par obligation économique, mais parce que la veille de Noël est devenue une expérience collective.

Je traverse la place verte. Nous sommes dans une « ville intelligente et créative ». Les illuminations ne sont plus seulement décoratives, elles réagissent à la présence humaine : la lumière devient plus chaude quand les gens s’arrêtent, plus diffuse quand les enfants courent. Les vitrines racontent des histoires, souvent numériques, parfois interactives. Le digital n’a pas remplacé le commerce ; il l’a épaissi. Je m’arrête devant la boutique de Claire, installée ici depuis quinze ans. Elle vend des objets du quotidien, mais artisanal « local » et aucun n’est banal. Elle m’a dit un jour :

Avant, je vendais des produits. Aujourd’hui, je vends du temps, le Chronos et le kairos réunis.

Elle m’explique souvent que son chiffre d’affaires a augmenté précisément quand la ville a ralenti. Plus de clients « par hasard », plus d’achats non planifiés des touristes aussi avant de prendre leur avion. Les bancs devant sa vitrine ont été décisifs.

Un banc, c’est un déclencheur commercial, dit-elle en souriant. Quand quelqu’un s’assoit, il regarde. Quand il regarde, il entre.

Claire se souvient très bien des années 2020. Des commentaires agressifs sur les réseaux sociaux. Des habitants de la périphérie qui dénonçaient la « fin du centre » sans jamais y mettre les pieds.

Ils voulaient une ville qu’on traverse, pas une ville où l’on reste, me dit-elle. Et traverser n’a jamais fait vivre un commerce.

Ces râleurs existent toujours. Ils commentent encore. Mais aujourd’hui, ils viennent en ville comme on vient dans une destination. Parkings-relais, métro, BHNS. Certains le reconnaissent : ils n’avaient pas compris que la vraie accessibilité n’est pas une question de vitesse, mais de désir.

bsy project, london, en cours

Je continue à marcher. Les enfants surgissent devant moi, excités. Ils viennent de participer à un parcours de Noël ludique, une sorte de jeu urbain mêlant réalité augmentée, énigmes locales et commerces partenaires. Cela me rappelle les Pokémon Go… Ils ont gagné des points, pas des réductions. Des expériences. Un chocolat chaud offert, un atelier improvisé, une histoire racontée dans une librairie. La gestion du centre-ville et l’association des commerçants ont fait un train d’enfer ! Le numérique est partout, mais jamais envahissant. Une application indique l’affluence des rues, propose des détours plus calmes, signale un événement spontané. Rien n’est obligatoire. La ville fonctionne même sans écran. Le digital accompagne, il ne dirige pas.

À midi, les restaurants sont pleins. Pas seulement de consommateurs pressés, mais de familles, de personnes seules, de groupes improvisés. Une ville en bonne santé est une ville où l’on peut être seul sans être invisible. Le commerce ne repose plus uniquement sur le rendement au mètre carré, mais sur la qualité du temps partagé. Je retrouve Pascal, docteur en urbanisme, un de ceux qui ont porté la transformation de Charleroi. Il déteste qu’on parle de « miracle urbain ».

Il n’y a rien de magique, me dit-il. On a juste arrêté de penser la ville comme un problème à résoudre.

Il m’explique que le tournant décisif n’a pas été technologique, mais culturel. Accepter que la ville ne soit pas toujours efficace. Autoriser les détours, les pauses, les usages imprévus.

Jan Gehl disait : d’abord la vie, ensuite les espaces, enfin les bâtiments. On a inversé l’ordre pendant des décennies.

Il a fallu qu’il invite les pouvoirs publics en 2027 pour que les mentalités changent. D’abord à Pontevedra, une petite ville de 100.000 habitants en Galice et qui a interdit la voiture en centre-ville. En fait, elle n’a pas interdit la voiture, mais elle a fait en sorte que la ville soit inutile avec celle-ci. Pas de stationnement en bordure de la route (mais bien des stationnements souterrains), des élargissements de trottoirs avec l’urbanisme tactique, etc. En 20 ans, la ville a gagné 10 000 habitants, principalement des jeunes familles. Ensuite, il les a amenés à Copenhague où la mobilité centrée sur l’expérience des piétons est développée depuis 1970. A Charleroi, nous avons en plus le métro et le BHNS a été pensé comme des supports, pas comme des finalités. Ils libèrent l’espace public au lieu de le contraindre. Le commerce a suivi naturellement.

Quand les gens restent, ils consomment. Ce n’est pas idéologique, c’est empirique.

L’après-midi avance. Les enfants passent d’un endroit à l’autre. Ils connaissent la ville mieux que nous à leur âge. Ils savent où attendre, où jouer, où se réfugier quand il pleut, entre autres la galerie Bertrand, qui est devenue « the place to be ». Une ville où les enfants sont manifestement présents est une ville qui a retrouvé sa propre estime de soi. En fin de journée, je croise un ancien voisin de la périphérie. Un ancien râleur. Il est venu avec sa famille.

On a raté quelque chose, me dit-il. On pensait défendre le commerce, mais on défendait surtout notre confort.

La rue reste animée à la tombée du jour, même si tout le monde se prépare au repas de la soirée. Les commerces ferment progressivement. En rentrant chez moi, je repense à ce que Charleroi est devenue. Une ville qui rivalise avec Glasgow, Berlin ou Essen — non par imitation, mais par singularité. Une ville un peu rugueuse, industrielle dans son ADN, mais profondément humaine. Une ville où le commerce n’est plus un indicateur de survie, mais la conséquence directe d’un espace public réussi.

Ce soir, veille de Noël 2040, la ville ralentit doucement. Et je comprends que le véritable succès de Charleroi ne se mesure ni en chiffres, ni en classements, ni en likes. Il se mesure à cette évidence retrouvée : une ville qui se vit à hauteur d’enfant, de commerçant et de passant est une ville qui a enfin trouvé son équilibre.

en complément : NOËL 2030 À CHARLEROI : LA VILLE OÙ ON NE S’ATTARDE PLUS.

Bonne et belle journée à vous.

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Pascal SIMOENS Ph.D, Architecte et urbaniste, data Scientist, expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB. Complémentairement, des architectes, baron au sein du Conseil national de l’Ordre des architectes.

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