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mots-clés : Fred Turner, Hippies, machine, télétravail, temps, horloge, time, clock, Stanford University, Covid, segregation, Silicon Valley, SF, Facebook
Chers lecteurs,
Fred Turner est un spécialiste de l’histoire de l’internet et des médias à l’université de Stanford. Il nous offre un livre remarquable pour prendre un peu de recul sur les mutations numériques d’aujourd’hui dans le monde et à partir de la contre-culture américaine qui s’est installée depuis les années 70 à San Francisco et, plus largement, la Silicon Valley. Son best-seller « Aux sources de l’utopie numérique. De la contre-culture à la cyberculture, Stewart Brand, un homme d’influence » a été publié aux éditions C&F ou sur Amazon. Xavier Delaporte, chroniqueur et journaliste spécialisé dans le numérique à Radio France nous parle de ce livre comme « sans aucune exagération, cette lecture m’a émerveillé. Le livre de Fred Turner est extraordinaire. Peut-être le livre le plus passionnant, le plus complet, le plus éclairant, que j’ai lu sur l’histoire intellectuelle des nouvelles technologies. On y comprend tout : comment l’informatique passe des militaires aux hippies, le rôle du LSD et des communautés, la place de la cybernétique et des analyses de McLuhan, le glissement vers l’entrepreneuriat et la nouvelle économie, Turner explique tout cela avec force détails, l’incarnant dans des trajectoires individuelles et des expériences collectives, c’est assez prodigieux. » (15/12/2012).
Aujourd’hui, l’auteur nous revient avec la question du télétravail et un interview de Marine Protais datant du 20 juin 2023 dans l’ADN.
Des questions passionnantes
Nous en extrayons quelques bonnes phrases pour vous donner le gout de lire l’ensemble de l’article.
Traitant des mutations du télétravail avec les outils (machines) numériques et surtout, la vitesse d’adaptation à la suite du COVID-19 :
- Nos foyers redeviennent des lieux publics. Et ce, alors que toute l’ère industrielle s’était évertuée à séparer très distinctement ces deux mondes.
- La contre-culture des années 1960 rêvait effectivement d’un monde où le foyer et le travail pouvaient être pleinement imbriqués. Pendant l’ère industrielle, il y avait une division claire entre l’usine et la maison. Vous alliez travailler à l’usine, puis vous retourniez chez vous. Cette division en a fait naître d’autres, notamment entre les genres.
Il précise le lien entre télétravail et l’ère préindustrielle :
- Cette flexibilité s’accompagne d’autres formes de flexibilité comme les relations entre les genres, la manière dont on fait famille, notre localisation… Soudain, l’usine et la maison sont au même endroit, comme c’était le cas dans l’ère préindustrielle.
- La maison elle-même était un lieu public. Des familles y vivaient, y travaillaient. Elles accueillaient des apprentis, mais aussi des membres un peu étranges de la famille parce qu’il n’y avait pas encore de soins de santé mentale. Peut-être qu’un oncle fou était là, dans un coin. C’était des endroits un peu chaotiques. Et le travail n’était pas structuré par l’heure qu’une horloge indiquait, mais selon les saisons et le soleil. Le temps personnel et le temps professionnel étaient très intégrés.
Et la question du temps… hier et aujourd’hui :
- L’horloge était accrochée au mur des usines.
- Aujourd’hui, avec les technologies numériques, les horaires peuvent être appliqués à distance. Votre patron peut vous suivre, vous surveiller, savoir combien de fois vous vous connectez à votre ordinateur, ce que vous y faites. Il peut vérifier vos frappes de clavier. Il peut installer en quelque sorte l’horloge de l’usine chez vous.
Il précise que la Silicon Valley induit de nombreux biais de lecture du monde, et une forte ségrégation… alors qu’ils rêvent de changer le monde en mieux. Un paradoxe libertarien qui n’a pas encore trouvé sa voie. Pour comprendre ces implications au travail et des inégalités:
- C’est l’une des choses qu’on oublie souvent de mentionner au sujet de la contre-culture. La plupart de ses représentants sont issus des classes moyennes et supérieures aux États-Unis.
- Les communautés des années 1960 ne comprenaient pas les classes sociales et étaient souvent marquées par la ségrégation raciale. Aujourd’hui, avec la nouvelle flexibilité, nous courons le risque de répéter ce type de discrimination de classe, et de ségrégation.
- (du rapport entre salariés et patrons) Il est inégal en termes de contrôle du capital et contrôle du temps. Il suffit de voir ce qui s’est passé chez Twitter au début de l’année pour s’en rendre compte… (NDLR).
Pour compléter son exemple, il prend le modèle de Facebook :
- Le fantasme était ce que certains appelaient des « worksteads », dérivé du mot « homestead » (propriété). Vous étiez chez vous, dans votre intimité, mais tout en travaillant. Cette part du fantasme est devenue réelle d’une manière corporate étrange. Chez Facebook, par exemple, vous pouvez travailler de chez vous ou au bureau. Mais Facebook demande à ses salariés de ramener leur « être entier » au travail. Ce qu’ils veulent dire c’est : soyez libre d’être qui vous êtes. Mais ce que j’entends c’est : vous ne pouvez laisser aucune part de vous en dehors du travail.
Son analyse contextuelle est plus qu’intéressante face aux changements en lien avec le télétravail et loin d’être innocent : ce que nous pensons être une avancée ne l’est peut-être pas tant que cela, sauf pour les métiers à haut niveau intellectuel et qui, généralement, s’associent aussi avec un haut niveau décisionnel (collectif ou individuel). Mais ce n’est pas parce que les hauts cadres jouissent du télétravail que tout le monde en profite autant. Il précise encore que ce mouvement social rendu possible grâce aux technologies doit être négocié, à défaut de régression. A cela s’ajoute, au titre d’urbaniste et architecte, la question des aménités urbaines. Nous en avions parlé lors du déconfinement :
- Une architecture plug-in smart : UNStudio fait ses gammes à Munich, 24 janvier 2022
- La COVID-19 a accéléré du « future of Work » : et ses conséquences étonnantes sur le travail, 12 janvier 2022
- Avez-vous réfléchi au bilan carbone de vos réunions Teams ? 28 septembre 2021
- Lecture : Lorsque la COVID révèle un nouveau potentiel habité, durable et numérique, 23 avril 2021
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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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