
Temps de lecture : 10 minutes
mots-clés : espace public, sécurité, éclairage, lighting, public space, security, women, femmes, security, environnement
Chers lecteurs,
Voici le second et dernier article de la session de juin. L’article proposé par Enzo MACI traite d’un sujet que nous avions déjà soulevé lors de l’a coupure des éclairages publics en Wallonie et durant la crise énergétique ukrainienne (en attendant la suivante). Cet article était déjà un travail d’étudiant dans le cadre du MTDU à Charleroi. : Le « Smart’s lighting » au service de la sobriété énergétique des collectivités : La Ville intelligente peut-elle aider les collectivités à réduire leurs consommations d’électricité tout en répondant à leurs obligations de service et de sécurité ? (14 mars 2023) et il faut reconnaitre que le travail de ces deux étudiants se compète plutôt bien pour chacun qui désire dépasser le cadre strictement énergétique et financier. En effet, l’étudiant propose ici une analyse assez complète (dans la mesure de l’exercice demandé) de même questionnement que s’est posé la ville d’Oslo face aux mêmes questions. On ajoutera que leur anticipation de la problématique leur a permis de mieux planifier les problèmes… Ce qui manque souvent en Wallonie. Voici donc un bon et bel exemple de ville intelligente au service des citoyens et, comme vous le lirez, particulièrement des femmes.

Introduction
Dans un monde où les problématiques environnementales, économiques et de sécurité deviennent de plus en plus préoccupantes, les villes intelligentes émergent comme une solution prometteuse pour relever ces défis de manière intégrée. L’éclairage public, souvent considéré comme un aspect fonctionnel et esthétique des villes, se révèle être un véritable levier pour atteindre des objectifs écologiques, économiques et sécuritaires. Parmi les villes à la pointe de cette révolution urbaine, Oslo, la capitale norvégienne, se démarque en tant que pionnière dans l’utilisation de l’éclairage public intelligent pour créer une ville plus durable et plus sûre.
Les villes intelligentes
Les villes intelligentes, également appelées villes connectées ou smart cities, font référence au concept d’utilisation de la technologie et des données pour améliorer la qualité de vie dans les villes. Il s’appuie sur des systèmes d’information, de communication et de gestion pour optimiser les ressources de la ville et fournir des services plus efficaces aux citoyens.
D’après Rudolf Giffinger, les villes intelligentes peuvent être classifiées selon six dimensions principales. On retrouve tout d’abord une « économie intelligente » qui met l’accent sur la compétitivité régionale et la croissance économique. Ensuite, il y a la dimension de la « mobilité intelligente » qui se concentre sur les théories régionales et néoclassiques de l’économie des transports et des technologies de l’information et de la communication (TIC). La troisième dimension est celle de « l’environnement intelligent », prenant en compte les ressources naturelles et l’efficience énergétique. La quatrième concerne les « habitants intelligents », celle-ci s’intéressant aux capitaux humains et sociaux. Ensuite, il y a le « mode de vie intelligent » qui s’intéresse à la qualité de vie des habitants, en prenant en compte des aspects tels que le logement intelligent et les services urbains innovants. Enfin, la dernière dimension est celle de « l’administration intelligente ». Celle-ci met en avant la participation des citoyens à la vie démocratique de la ville. Toutes ces dimensions sont liées aux théories traditionnelles de la croissance et du développement urbain.[1]
La seule limite de la ville intelligente est en même temps sa force c’est-à-dire la récolte de données et ainsi que la surveillance. Anthony Masure, professeur associé et responsable de la recherche à la haute école d’art et de design de Genève, cite Paul Nedwarts dans son article sorti en 2017, L’intelligence en défaut des smart cities : « Mince est la différence entre la mise en réseau généralisée de tous les flux urbains et la vieille tendance cybernétique d’une ville surveillable et pilotable depuis le retranchement d’un centre de contrôle »[2]

L’éclairage public : un catalyseur impact écologique, énergétique et sécuritaire
L’éclairage public a un impact important sur l’exploitation énergétique d’une ville et donc indirectement sur son impact écologique et économique. L’éclairage urbain, bien qu’essentiel pour assurer la sécurité des citoyens, constitue environ 40% du budget d’électricité d’une ville. Néanmoins le fait que les lampadaires restent allumés la majeure partie de la nuit pour un nombre limité d’utilisateurs contribue au gaspillage énergétique. L’éclairage intelligent permet de réduire ce gaspillage comme c’est le cas à Dortmund en Allemagne : « Avec Smart Street lightning, Dortmund a économisé plus de 1069 MWh d’énergie et évité 694 tonnes de CO2 au cours des 6 derniers mois. »[3]
En Belgique, le 1er novembre 2022, 164 communes wallonnes liées à ORES ont procédé à l’extinction simultanée de leur éclairage public entre minuit et 5h00 du matin. L’objectif de cette initiative était de diminuer la consommation d’électricité, surtout en période d’inflation énergétique. Cependant, malgré les économies d’énergie réalisées, estimées entre 6 et 9 millions d’euros4, il est apparu que la sécurité, tant sur les routes que pour les piétons, s’est détériorée, remettant ainsi en question cette mesure. C’est pourquoi l’éclairage intelligent se présente comme une solution appropriée et mesurée, car il permet d’ajuster l’intensité et la couverture du réseau d’éclairage en fonction des besoins à tout moment.
Les enjeux de la pollution lumineuse
Hormis la pollution due à l’énergie produite pour alimenter le réseau lumineux, il y a également un impact de l’éclairage public dû à la pollution lumineuse. Celle-ci a un impact fort écologiquement parlant, car elle dérègle les écosystèmes nocturnes et la biodiversité[4]. L’éclairage intelligent dans le contexte des villes intelligentes peut réellement avoir une incidence positive et significative. En réduisant les niveaux de luminosité, il favoriserait la préservation de la biodiversité. L’utilisation d’un éclairage public équipé de détecteurs de mouvement constitue une contribution supplémentaire à cet égard. Grâce à cette technologie, les lampadaires ne s’allument que lorsque des humains sont présents, évitant ainsi un éclairage excessif et inutile. Cette approche permet de minimiser la perturbation des écosystèmes nocturnes, offrant aux animaux la possibilité de maintenir leurs comportements naturels sans être affectés par une luminosité artificielle intrusive. En réduisant la pollution lumineuse et en préservant les cycles naturels de lumière et d’obscurité, l’éclairage public intelligent favorise la coexistence harmonieuse entre les espèces et soutient la conservation de la biodiversité urbaine.

Les enjeux de sécurité
L’éclairage public représente également un enjeu important en termes de sécurité, surtout pour la population féminine. L’UnWomen, l’entité des Nations unies pour l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes, nous informe que la clé pour des espaces plus sûrs est l’éclairage surtout dans les pays émergents.[5]
Un article intitulé « The Importance of Gender-Sensitive Public Lighting » nous apprend ceci : « Des recherches menées dans des villes comme Kampala, en Ouganda, ont montré qu’en 2016, seulement 8% des rues et des routes pavées étaient illuminées et que 79% des femmes se sentaient peu sûres en se promenant dans la ville. Initiatives menées à New Delhi, en Inde, et à Port Moresby, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, a démontré que l’amélioration des systèmes d’éclairage public dans certaines zones était l’un des facteurs qui ont soulevé le sentiment de sécurité dans ces espaces et généré une diminution de la violence à l’égard des femmes. »[6]. L’éclairage est un premier élément sur lesquelles les smart cities peuvent avoir un impact afin de réduire le sentiment d’insécurité ressenti par les habitantes d’une ville.

La ville d’Oslo en Norvège, pionnière en la matière
L’exemple le plus probant est la ville d’Oslo en Norvège, qui a développé, le 7 avril 2006, un système d’éclairage intelligent pour contrôler et surveiller à distance les lampadaires.
Cette ville se positionne en tant que pionnière dans l’implémentation à grande échelle d’un réseau de contrôle pour l’éclairage public en Europe. Ce projet ambitieux vise à réduire la consommation d’énergie de 50%, à améliorer la sécurité routière et à minimiser les coûts de maintenance.
Au début du projet, quelque 6 000 lampadaires intelligents ont été installés, ce qui représentait environ 10 % du parc de lampadaires. Les installations ont été divisées en plusieurs phases :
- 117 unités (2003) – Projet pilote (67 % d’économies)
- 2 000 unités (2004) – Projet d’essai à grande échelle (62 % d’économies)
- 4 000 unités (2005/6) – Projet à grande échelle (52 % d’économies)
Oslo a choisi un système d’éclairage intelligent Echelon basé sur la technologie LONWORKS, une architecture ouverte qui permet aux appareils de contrôle de plusieurs fabricants d’interagir les uns avec les autres.

Les SmartServers d’Echelon, qui agissent comme contrôleurs de segment, gèrent les lampadaires et utilisent le réseau de données de téléphonie mobile pour communiquer avec le centre de surveillance de la ville. Ces SmartServers enregistrent et rapportent combien d’énergie les lampadaires utilisent et combien de temps ils fonctionnent. Ceux-ci collectent également des informations à partir des capteurs de trafic et de météo. Ils utilisent par ailleurs une horloge astronomique interne pour calculer la disponibilité de la lumière naturelle du soleil et de la lune. Ces données sont utilisées pour atténuer automatiquement la totalité ou une partie des lampadaires. Cette technologique permet à la ville d’Oslo d’économiser des quantités importantes d’énergie. Celle-ci prolonge également la durée de vie de la lampe, réduisant ainsi les coûts de remplacement.
Echelon a déclaré : « Les systèmes d’éclairage extérieur commerciaux modernes sont invités à faire plus que jamais. En plus de remplir leur objectif principal de faire la lumière sur les routes sombres, les aires de stationnement et les espaces publics, les systèmes d’éclairage extérieur sont de plus en plus évalués pour la façon dont ils réduisent la consommation d’énergie, améliorer la sécurité des piétons et des conducteurs et servir de base à une gamme d’applications Internet des objets (IoT) »[7]

Ce graphique représentant le projet d’essai qui a été réalisé à Oslo en 2004 permet de constater que de nombreuses économies énergétiques peuvent être réalisées avec ce travail de système intelligent. De plus, en adaptant dynamiquement l’intensité lumineuse en fonction des besoins, la sécurité routière est améliorée, créant un environnement plus sûr pour les piétons et les conducteurs. L’introduction de l’éclairage public intelligent apporte encore d’autres avantages. Il peut également s’intégrer dans les systèmes de contrôle des villes. Par exemple, l’éclairage public peut être réduit pendant les heures d’ouverture des magasins et être augmenté après leur fermeture.
Cette façon active de planifier et d’exploiter les installations permet de prévenir la criminalité. À titre d’exemple, la principale « rue des bars » à Oslo est aujourd’hui équipée d’un éclairage de haut niveau pour prévenir la criminalité aux heures de fermeture.
En ce qui concerne l’entretien de l’éclairage urbain, le seul moyen de détecter les lampadaires défectueux actuellement est de procéder à une inspection visuelle de ceux-ci. Grâce à l’introduction de l’éclairage public intelligent, la municipalité pourrait détecter immédiatement une défaillance et ainsi réduire le temps de réponse pour le remplacement des ampoules, ce qui augmentera le niveau général de sécurité.
Ce projet pionnier a également eu des retentissements ailleurs en Europe où par exemple les autorités routières néerlandaises régulent l’intensité lumineuse en fonction du volume et de la vitesse du trafic en temps réel, des conditions météorologiques et astronomiques.9 De plus, dans le cadre du projet E-street, 11 pays européens, soutenus par le programme
EIE (programme Énergie intelligente pour l’Europe), s’efforcent d’élargir le marché de l’éclairage public économe en énergie.
Cette mise en œuvre novatrice a permis de surveiller et de contrôler l’éclairage public de manière efficace et centralisée, ouvrant ainsi la voie à une gestion plus intelligente de l’énergie et à des économies substantielles.
Conclusion (de l’étudiant)
En conclusion, l’éclairage public intelligent représente une avancée majeure dans la transformation des villes en environnements plus durables, sécurisées et agréables à vivre. L’exemple d’Oslo en Norvège démontre les nombreux bénéfices de cette technologie, tels que des économies d’énergie significatives, une amélioration de la sécurité, une réduction des coûts de maintenance et une réduction de la pollution lumineuse. L’impact d’une implémentation à grande échelle de l’éclairage intelligent va au-delà des frontières d’Oslo, inspirant d’autres villes et pays européens à suivre cette voie.
Dans l’ensemble, l’éclairage public intelligent représente une opportunité majeure pour les villes du monde entier de promouvoir la durabilité, l’efficacité énergétique et la qualité de vie de leurs citoyens. En intégrant cette technologie innovante dans la planification urbaine et en adoptant des approches intelligentes, les villes peuvent créer des environnements urbains plus intelligents, plus sûrs et plus respectueux de l’environnement pour les générations à venir.
Bonne et belle journée à vous.
Merci pour le suivi de notre blog-à-idées ou à réflexions, c’est toujours agréable d’être lu et vous êtes de plus en plus nombreux (+ de 1 000 par mois en, moyenne). N’hésitez pas à commenter, c’est aussi une place de débats. Et surtout, merci de partager si vous soutenez nos réflexions ou recherches.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
This post is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International License.
[1] CENTRE OF REGIONAL SCIENCE, VIENNA UT. Smart cities Ranking of European medium-sized cities [en ligne] Vienne, 2007. [consulté le 20.05.2023]. https://www.smart-cities.eu/download/smart_cities_final_report.pdf
[2] MASURE, A. L’intelligence en défaut des smart cities [en ligne] revuesurmesure, 2017. [consulté le 20.05.2023]. http://www.revuesurmesure.fr/issues/villes-usages-et-numerique/l-intelligence-en-defaut-des-smart-cities
[3] TVILIGHT. Éclairage public intelligent et durabilité environnementale [en ligne], 2023. [consulté le 20.05.2023]. https://tvilight.com/fr/%C3%A9clairage-public-intelligent-et-durabilit%C3%A9-environnementale/
[4] LeClaire, L. 10 Ways That Light Pollution Harms The World [en ligne] LISTVERSE, 2014. [consulté le 20.05.2023]. https://listverse.com/2014/08/14/10-ways-that-light-pollution-harms-the-world/
[5] UNWOMEN. Safe Cities and Safe Public Spaces: Global results report [en ligne] Unwomen, 2017. [consulté le 20.05.2023]. https://www.unwomen.org/en/digital-library/publications/2017/10/safe-cities-and-safe-public-spaces-global-results-report
[6] Belitardo, A. The Importance of Gender-Sensitive Public Lighting [en ligne] ArchDaily, 2023. [consulté le 20.05.2023]. https://www.archdaily.com/998329/the-importance-of-gender-sensitive-public-lighting?ad_source=myad_bookmarks&ad_medium=bookmark-open
[7] Tomás, Juan. Case study: Oslo using smart lighting to drive sustainability [en ligne] RCRWirelessNews, 2017. [consulté le 20.05.2023]. https://www.rcrwireless.com/20171010/fundamentals/oslo-smart-lighting-sustainability-tag23-tag99
