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mots-clés : Smart lightning, smart cities, éclairage public, citoyen, insécurité, développement durable, wallonie, communes, ORES, RESA
Chers lecteurs,
Voici le deuxième article issu du travail de cours sur les villes intelligentes dispensé dans le cade du master en management territorial et développement urbain à Charleroi (ULB/UMONS). Il a été rédigé par Hélène Caprasse, attachée à la direction des bâtiments du SPW-MI.
L’objet de son travail est de proposer une analyse très intéressante et assez complète des enjeux de la nouvelle tendance à réduire de l’éclairage public dans les villes et, qui plus est, pendant la période de restriction énergétique de cet hiver :
La sobriété énergétique, nouvelle tendance de 2022
La sobriété énergétique est, depuis quelque mois, au centre de toutes les discussions. Pas un jour ne passe sans que les journaux (télévisés ou autres) en fassent un sujet : ils nous rappellent (au cas où on l’oublierait…) que nous traversons une période de crise (énergétique, économique, environnementale…) et que le prix des énergies (entre autres) ne cesse de croître ; ils nous donnent des astuces pour consommer moins, ou nous présentent le dernier outil technologique qui doit nous permettre de faire des économies…
Si certains estiment que « la sobriété énergétique n’est, in fine, qu’un voile pour masquer l’inaction et le manque d’anticipation des responsables politiques face au défi énergétique et climatique »[1], pour d’autres, « après des années d’ivresse et de surconsommation énergétique, le temps de la sobriété s’impose… » et « il est indispensable de se mobiliser dans une démarche de sobriété énergétique, afin de (…) réduire l’impact de la crise énergétique »[2].
Mais en fait, la « sobriété énergétique », c’est quoi ?
La sobriété énergétique est « la diminution des consommations d’énergie par des changements de modes de vie et des transformations sociales. (…) Centrée sur les comportements, (elle) se distingue des autres démarches de transition énergétique par son approche non-techniciste »[3].
La sobriété consiste ainsi à avoir une réflexion sur ce qui nous est effectivement nécessaire, pour redéfinir les besoins et adapter la réponse qu’on y apporte. Il s’agit donc d’ajuster la consommation aux besoins réels, ce qui implique de changer nos habitudes et nos comportements : consommer mieux et moins, pour réduire l’impact environnemental et préserver les ressources dans le même temps[4].
Et concrètement, on fait comment ?
On sait que les bâtiments, quels qu’ils soient, représentent une part très importante des consommations d’énergie. La rénovation énergétique du parc immobilier (isolation des murs, des planchers, des toitures ; remplacement des châssis ; installation de systèmes de chauffage et de froid performants…) constitue ainsi aujourd’hui un enjeu majeur… mais coûteux !
D’un autre côté, des actions individuelles simples et concrètes permettraient déjà, sans délai et sans investissement (ou moyennant des investissements modérés qui seront rapidement amortis), de réduire les quantités d’énergie consommées, et donc de diminuer le montant des factures (ou d’en limiter l’augmentation…).
On nous apprend ainsi (pour ceux qui n’en auraient pas conscience…) qu’il serait utile, dans une démarche de sobriété énergétique, d’éteindre l’éclairage d’une pièce lorsqu’on en sort, de baisser le chauffage de son habitation la nuit et durant les absences, d’éteindre complètement – plutôt que de mettre en veille – les appareils électroménagers et multimédias lorsqu’ils ne sont pas utilisés, mais aussi de colmater les fuites d’air sous les portes d’entrée (à l’aide de boudins, par exemple), de poser des rideaux épais (voire thermiques) devant les fenêtres, de placer des films isolants entre les radiateurs et les murs[5]…
Dans le même ordre d’idées, les entreprises sont invitées à éteindre l’éclairage et baisser le chauffage (ou la climatisation) pendant les périodes d’inactivité (notamment la nuit…), à fermer les portes extérieures (des boutiques, par exemple) pour éviter la déperdition de chaleur (ou de fraicheur), à limiter le nombre, la puissance, ou encore le dimensionnement des appareils électriques à ce qui est strictement nécessaire, à améliorer l’efficacité de l’éclairage en déployant des appareils basse consommation tels que les LEDs[6]…
Les collectivités tentent également de trouver des astuces pour limiter l’impact de la crise sur leurs budgets. Par exemples : le Gouvernement fédéral a, comme de nombreux autres acteurs publics, décidé de diminuer la température à 19 degrés dans l’ensemble de ses bâtiments ; plusieurs villes (Namur ou Huy, par exemple) ont également choisi de renoncer à la très énergivore patinoire de leur marché de Noël [7]; la Région Wallonne a quant à elle décidé d’éteindre l’éclairage central de ses autoroutes chaque nuit entre 22h00 et 5h00 du matin (période plus creuse en termes de trafic)[8].…
Éteindre l’éclairage public, une idée lumineuse ?
Si les administrations (qu’elles soient fédérale, régionales ou locales…) font, comme tout le monde, face à des difficultés liées à la crise économique et énergétique que nous traversons, elles ont par ailleurs un devoir d’exemplarité en matière de sobriété énergétique !
Pour participer à l’effort collectif de réduction des consommations, et réduire l’impact de l’augmentation des coûts de l’électricité sur les budgets communaux, de nombreuses villes et communes sont alors tentées, comme la Région Wallonne10, d’éteindre l’éclairage public sur leurs territoires (ou une partie de ceux-ci) durant quelques heures chaque nuit (généralement entre minuit et 5h00 du matin, période durant laquelle les voiries sont le moins fréquentées)[9].
En pratique, l’extinction nocturne de l’éclairage public n’est toutefois pas réaliste partout : il est nécessaire, dans les zones fréquentées la nuit (telles que les centres des grandes villes) ou accidentogènes, par exemple, de maintenir un éclairage minimum à toute heure. L’institut Vias nous rappelle en ce sens qu’« en tant que gestionnaires de voiries, les communes sont tenues (…) de tout mettre en oeuvre pour assurer la sécurité sur l’ensemble de leur territoire »[10], et on sait qu’il existe un lien entre éclairage public, criminalité et (sentiment d’) insécurité[11] .
Par ailleurs, éteindre l’éclairage public d’une commune ne se fait pas simplement en appuyant sur un interrupteur dans le hall d’entrée de la Maison communale… En Wallonie, le réseau d’éclairage public communal de 197 communes (sur 262) est géré et exploité par ORES[12]. Et pour pouvoir procéder à l’extinction nocturne de l’éclairage public communal, tout en répondant aux demandes des autorités locales de maintenir l’éclairage dans des périmètres définis, le gestionnaire de réseau doit procéder à des interventions techniques. Pour cela, il a deux possibilités :
- intervenir sur chacune de ses cabines électriques, ce qui représente plusieurs centaines d’intervention (une cabine alimente généralement entre 2 et 6 rues) ; ou
- modifier le signal de départ au niveau des sous-stations, sachant qu’une sous-station alimente généralement entre 3 et 8 communes, et qu’une commune peut être desservie par 2 ou 3 sous-stations.
La première option est chronophage et coûteuse (quelques centaines d’euros par cabine) ; la seconde est plus rapide et économique, mais nécessite l’accord unanime des différentes communes affectées par une même sous-station, ce qui n’est pas toujours évident[13].
On notera au passage que les éclairages publics fonctionnent aujourd’hui par secteur, et non par contexte (éclairer un carrefour, un passage pour piétons, etc.).
Et le numérique dans tout ça ?
On le découvre ou le redécouvre aujourd’hui : de nombreux outils – tels que des applications, objets connectés… – existent ou sont en cours de développement, pour aider les particuliers, les entreprises et les collectivités, à tendre vers le nouvel objectif de sobriété énergétique[14].
En matière d’éclairage public, l’application française « J’Allume ma rue »[15], développée en 2016 et présentée comme « Une solution simple et innovante pour le pilotage de l’éclairage public », permet par exemple (comme d’autres outils concurrents) d’éteindre l’éclairage des voiries une partie de la nuit, tout en laissant la possibilité aux habitants de rallumer les lumières, depuis leur smartphone, selon leurs besoins réels. On parle de Smart lighting ou éclairage public intelligent.
Ces termes visent en fait, de façon plus large, les installations automatisées, munies de capteurs (infrarouges, de mouvement…), qui allument l’éclairage[16] en fonction du passage des usagers (sans forcément recourir à une application). Les avantages, en lien avec les enjeux économiques et environnementaux actuels, sont multiples : diminution conséquente de la consommation d’électricité, tout en préservant le sentiment de sécurité des usagers ; mais aussi atténuation de la pollution lumineuse (qui a un impact sur la faune et la flore) et préservation de la biodiversité et la vie nocturne animale…
En outre, le recours à une application telle que « J’Allume ma rue » permet une utilisation participative de l’éclairage public : les usagers (les habitants et travailleurs, mais aussi les services de sécurité et de secours, par exemple, pour qui l’application est gratuite) peuvent, en appuyant sur un bouton ‘lampe’ qui change de couleur, activer l’éclairage public pour une durée déterminée. (Mais est-ce vraiment une bonne idée… !?) Ensuite, grâce à la géolocalisation, les zones traversées sont alors allumées ou éteintes automatiquement, au gré des déplacements.
On notera que l’application exclu toutefois une partie des usagers de l’espace public : les personnes qui n’auraient pas de smartphone (telles que certaines personnes âgées…), ou n’auraient pas connaissance de l’existence de l’application ou de son fonctionnement (les personnes de passage, les touristes…). Pour les services techniques de l’administration (commune ou gestionnaire de réseau), le Smart lighting permet de suivre la consommation électrique des zones équipées, de détecter les pannes sans délai, de modifier les horaires d’allumage ou d’adapter la programmation du dimming (notamment pour des évènements tels que feux d’artifice, cinéma en plein air…), mais aussi de disposer d’une multitude d’informations telles qu’une cartographie du réseau d’éclairage public, des données concernant la fréquentation des voiries (compteur de passage)…
Ainsi, au-delà de l’éclairage urbain, l’éclairage public intelligent pourrait aussi être utilisé comme un système de collecte de données, et contribuer à d’autres politiques publiques comme la sécurité ou la mobilité, par exemple[17].

Ce qu’on en pense
La crise énergétique est mal vécue par tous. Pour certains, elle est même la cause de situations tragiques… Elle a néanmoins le mérite de faire prendre conscience à ceux qui ne s’en rendaient pas compte (et il semble qu’ils soient nombreux !) qu’il est grand temps, pour répondre aux enjeux d’aujourd’hui, de changer nos comportements et de consommer différemment, plus sobrement, plus intelligemment.
L’humain est au centre de la démarche de sobriété, et il est certain qu’un changement des mentalités est indispensable pour arriver à des résultats. Pour aider les citoyens à modifier leurs comportements et à prendre de nouvelles bonnes habitudes, il est alors important de mobiliser la population et de valoriser les bonnes pratiques[18].
Le numérique fournit quant à lui des outils pour nous aider dans la démarche, et nous faciliter la vie quotidienne[19]. En ce sens, le numérique est un superbe terreau !
En matière d’éclairage public, un système de Smart lighting par détection automatique semble être intéressant dans certaines zones où le passage est suffisamment faible (une durée d’extinction importante est en effet nécessaire pour que le système soit utile) et la vitesse modérée (afin de permettre l’allumage d’un petit nombre de luminaires à la fois).
La sobriété pourrait alors se décliner en deux volets :
- une couche « low-tech » qui consisterait en l’extinction massive de l’éclairage sur la majorité du territoire. Cela concernerait les zones qui n’ont pas besoin d’être éclairées aux heures creuses de la nuit ;
- une couche « high-tech » qui consisterait à mettre en place une gestion intelligente de l’éclairage, dans les zones où la sécurité nécessite un éclairage – ponctuel – même aux petites heures de la nuit (et où les autres conditions précitées sont réunies).
En pratique, l’éclairage public intelligent serait donc par exemple utile dans les chemins de type Ravel, ou dans les quartiers résidentiels (lotissements…), peu fréquentés de nuit, mais où l’éclairage nocturne reste néanmoins nécessaire à certains moments.
Les zones les plus fréquentées, dans les centres-villes notamment, devraient quant à elles, on l’a dit, continuer à fonctionner sur un régime d’éclairage permanent pour des raisons évidentes de confort et de sécurité.
Quant à l’utilité d’avoir recours à une application pour permettre aux citoyens de gérer, eux même, le réseau d’éclairage de leur ville, on peut se demander quel est le réel bénéfice, et s’il ne s’agit pas là plutôt d’un outil de communication… ?
Enfin, n’oublions pas que si le numérique nous aide à atteindre les objectifs de sobriété que nous nous fixons, on sait aussi – et c’est évidemment paradoxal… – que le développement et l’utilisation de ces applications et outils sont, eux-mêmes, énergivores… Il y a donc une balance à faire, et un équilibre à trouver.

analyse critique
l’étudiante synthétise très bien la situation : à la fois, c’est une solution d’assez bon sens que de réduire la « sodiomisation du territoire », tel que Yan KERSALE, célèbre éclairagiste français à qui nous devons, entre autres, la mise en lumière du pont de Normandie, le relevait dans l’abus de lumière des villes. toutefois, on ne peut pas faire cela n’importe comment. Le problème de la mis en lumière dans les centre ville c’est que nous n’avons rien d’intelligent et les opérateurs ont raté le coche avec le remplacement des éclairages anciens par du LED. Ces nouveaux éclairages se prêtent facilement à une modulation beaucoup plus circonstanciée.
En conséquence, et après la première année d’expérience, il ne fait pas tout jeter et oublier ces économies faites et qui devraient être affectées à rendre le système plus intelligent et donc plus résilient. Seul gage de la pérennisation des économies. sinon, dès le premier grave accident, nous reverrons fleuris les lampes toute la nuit. On aura fait tout cela pour ça avec une décrédibilisation de l’action publique.
Merci de cette lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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[1] Source : Philippe Lawson, « Energie : la sobriété, le voile du sacrifice sur l’inaction politique et le manque d’anticipation », article du L-Post du 28 août 2022,
[2] Source : Antonin Marsac, « Si on fait ce qu’il faut, on peut sortir de la crise en moins de cinq ans… Mais le gaz restera cher », article de La Libre du 17 septembre 2022,
[3] Source : Wikipedia, http://fr.wikipedia.org/wiki/Sobriété_énergétique
[4] Voir par exemple : Geoffrey Van Moeseke, professeur en physique du bâtiment à l’UCLouvain, cité par Bastien Mertens, « Sobriété énergétique : le guide pour survivre cet hiver », article du Moustique du 8 septembre 2022,
[5] Voir par exemple : Guillaume Woelfle, « Ces dis petits gestes pour économiser 2600 euros d’énergie par an », article de la RTBF du 30 août 2022, ; ou site internet de Lumiworld, « 7 conseils pratiques pour économiser de l’énergie dans votre salon », article du 7 avril 2022, consulté le 23/12/2022,
[6] Voir notamment : site internet de l’ADEME, « Sobriété énergétique : les leviers d’action pour les entreprises », consulté le 23/12/2022 https://agirpourlatransition.ademe.fr/entreprises/sobriete-energetique-entreprises
[7] Voir notamment : Audrey Morard, « Les pistes de roller remplacent les patinoires cet hiver à l’heure de la sobriété énergétique », article de LeSoir du 24 novembre 2022,
[8] Voir par exemple : Belga, « Wallonie : l’éclairage sur les autoroutes sera en grande partie éteint dès la semaine prochaine », article du Moustique du 16 septembre 2022, .
[9] Voir par exemple : Belga, « Extinction de l’éclairage public dès ce 1er novembre : 164 communes sont concernées », article du Moustique du 27 octobre 2022, .
[10] Source : site internet de l’Institut Vias, « L’extinction de l’éclairage public », consulté le 26/12/2022,
[11] Voir notamment : Sophie Mosser, « Eclairage et sécurité en ville : l’état des savoirs », dans Déviance et Société, vol. 31, 2007, pp. 77-100, disponible sur Cairn.info :
[12] RESA gère quant à lui l’éclairage public de la majorité des communes de la Province de Liège.
[13] Source : Basile Caprasse, responsable énergies de la Ville de Hannut, rencontré le 19/12/2022
[14] Aujourd’hui, il est par exemple possible d’utiliser un système de gestion à distance du chauffage, pour une utilisation plus rationnelle de l’énergie. Pour une habitation, cela fait plusieurs années que l’on peut, depuis son smartphone, allumer le chauffage avant de rentrer chez soi, vérifier qu’on l’a éteint après être parti, etc…
[15] La brochure de présentation de l’outil est disponible ici
[16] Ou plutôt ajustent l’intensité de l’éclairage, entre 10% et 100%.
[17] Voir par exemple le site internet de l’entreprise Energisme, « Le smart lighting, moteur de l’efficacité énergétique pour les collectivités », consulté le 27/12/2022,
[18] En ce sens, le défi collectif « Famille à énergie positive », actif en France depuis plusieurs années, et dont l’objectif est de sensibiliser les citoyens aux économies d’énergie qu’ils peuvent réaliser au quotidien sans affecter leur confort, montre par exemple des résultats convaincants. Source : site internet de l’association Alisée, consulté le 27/12/2022, « familles à énergie positive »,
[19] titre d’illustration, l’utilisation d’un pommeau de douche connecté, qui réduit le débit d’eau utilisée et mesure en temps réel la consommation, peut motiver les utilisateurs (notamment les enfants) et leur faire prendre de nouvelles habitudes.