LE METAVERSE : L’AURAIT-ON DÉJÀ OUBLIÉ ?

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Temps de lecture : 10 minutes
mots-clés : Méta, metaverse, métavers, Privacy, Berkley University, Cornell, Vivek Nair
, Beat saber, gaming, ethics, identity

Chers lecteurs,

Avec les IA génératives qui ont inondé nos écrans, on aurait tendance à oublier que 2022 fut l’année du Metaverse avec l’annonce de Méta en novembre 2021 de ses investissements massifs dans le domaine. Ce serait aussi oublier que cette technologie n’est absolument pas mature, il suffit de voir le chemin qu’il nous reste à parcourir avant l’arrivée de casques de réalité virtuelle pour s’en convaincre. En d’autres termes, cette technologie sera probablement disruptive comme fut celle de ChatGPT3, mais dans 10 ans… à minima.

Pourquoi en parler aujourd’hui ?

En effet, cette question mérite d’être posée… ce cela aurait dû être le cas pour les IA génératives dont on parle depuis des années et qui, le jour où elles commencent à changer notre regard sur le monde des humains, les gens commencent à se poser de nombreuses (et généralement bonnes) questions d’éthique. Ainsi, la question devrait plutôt être pour ces IA : « pourquoi ne pas s’être posé des questions éthiques avant qu’elles ne soient pleinement opérationnelles ? ». Et pour le coup, précisons encore que les universitaires américains qui sont beaucoup plus enclins aux questions disruptives (il suffit devoir comment ils ont réagi en publiant beaucoup à l’arrivée de Chat GPT3), ont pris ce sujet à bras le corps sur les questions éthiques. Démonstration.

Getty Images

Un exemple des questions d’éthique du Métavers… à venir

Un article de Berkley University publié à la Cornell Univesity dans le domaine de la cryptographie et la sécurité titrant Identification unique de plus de 50.000 utilisateurs de réalité virtuelle à partir de données de mouvement de la tête et de la main (https://doi.org/10.48550/arXiv.2302.08927 ) et soumis le 17 février 2023 sous la direction de Vivek Nair précise que l’anonymisation des personnes via le métavers est plus que compromise. En résumé : Avec la croissance explosive récente de l’intérêt et de l’investissement dans les réalités (VR) et le soi-disant « métavers », l’attention du public a à juste titre déplacé vers les menaces uniques de sécurité et de confidentialité que ces plates-formes peuvent pose. Bien qu’il soit connu depuis longtemps que les gens révèlent des informations sur eux-mêmes via leur mouvement, dans quelle mesure cela rend un individu globalement identifiable dans la réalité virtuelle n’a pas encore été largement compris. Dans cette étude, nous montrons qu’un grand nombre d’utilisateurs réels de VR (N = 55 541) peuvent être identifiés de manière unique et fiable sur plusieurs sessions en utilisant uniquement les mouvements de la tête et de la main par rapport aux objets virtuels. Après former un modèle de classification sur 5 minutes de données par personne, un utilisateur peut être identifié de manière unique parmi l’ensemble du pool de plus de 50 000 avec une précision de 94,33 % à partir de 100 secondes de mouvement, et avec une précision de 73,20 % à partir de seulement 10 secondes de mouvement. Ce travail est le premier à démontrer véritablement à quel point la biomécanique peut servir d’identifiant unique en réalité virtuelle, à égalité avec les la biométrie comme la reconnaissance faciale ou d’empreintes digitales.

Pour réaliser ce travail, ils se sont basés sur le jeu Beat Saber, bien connu des gamers. C’est un jeu avec deux sabres virtuels qui vous demande de trancher des cubes qui sont eux-mêmes rythmés par de la musique. Si vous faites une fausse note, vous êtes morts. Ce jeu est assez physique !

Mesures algorithmiques

Les auteurs nous rappellent que depuis les années 1970, des outils de mesure des comportements /mobilité physique des individus existent, ce n’est donc pas l’IA ou la VR qui crée une nouvelle recherche impossible à mesurer jusqu’à aujourd’hui. Toutefois, l’arrivée des métadonnées et des machines de calculs offre une nouvelle capacité de mesure de ces méthodes et les rend facilement implémentables dans n’importe quel système informatique, on y reviendra par la suite.

Les auteurs précisent que dans ce contexte que malgré la tâche beaucoup plus difficile d’identifier les utilisateurs parmi des dizaines de milliers de classifications possibles et dans des environnements non contrôlés, nous obtenons une précision comparable à celle des travaux antérieurs. Nous pensons que c’est la première étude à vraiment démontrer l’échelle stupéfiante de la menace de la vie privée dans la RV.

Pour conclure cela, ils se basent sur la taxonomie des études préliminaires faites par des confrères universitaires et mettent en exergue l’évolution rapide des outils de mesure depuis le début de cette science du mouvement. En l’occurrence, le projet de recherche s’est basé sur les outils traditionnels de Machine learning incluant le deep learning eu égard aux grandes quantités de données ne pouvant être complètement catégorisées manuellement (pour rappel, la base est de plus de 100.000 d’utilisateurs, mouvements de la tête et des mains).

Machine, calcul, métadonnées… et résultats en 2 secondes

extrait de l’étude

Les ordinateurs utilisés pour valider leurs résultats ne sont pas encore le PC de tout-le-monde, mais on s’en rapproche. Avec ces machines ( 10 nœuds, 16 CPU et 128 GB de RAM) qui sont loin d’être des supercalculateurs, on est capable d’obtenir des résultats d’identifications de 80% d’une personne encodée à partir de 20 secondes de mouvements. On atteint 65% de recouvrement après 1 minute. On notera que la distribution du modèle est très homogène (très peu d’écarts).

Précisons encore que cette étude se base sur une seule base de données, elle est donc limitée en soi, mais elle permet toutefois de tirer quelques enseignements.

Réflexions

Les auteurs tentent de démontrer qu’avec des systèmes relativement simples, un bon algorithme et une grande base de données, on arrive à détecter l’identité d’une personne dans le métavers, plus simplement dit, le monde virtuel. Les rigolos qui s’imaginaient pouvoir développer un avatar sans se faire reconnaitre en sont pour leurs frais. Mais derrière cela, se pose la question de l’anonymat, élément essentiel de notre personnalité. L’anonymat nous permet de nous évader de la pression du monde qui nous entoure.

Le paradoxe voudrait donc, que dans un lieu aujourd’hui fantasmé pour devenir quelqu’un d’autre dans le métavers, nous serions alors d’autant plus reconnaissables. Et si nous sommes reconnus et mesurés dans l’espace virtuel, pourquoi ces données ne seraient-elles pas non plus utilisées dans le monde réel qui théoriquement n’est qu’un multivers parmi d’autres (on y reviendra dans notre prochain article avec Keanu Reeves) ?

Conclusion

Bref, ce qui peut être mesuré dans le VR peut être utilisé dans le monde physique. C’est là que la question d’éthique se pose. De même les algorithmes s’entraineront dans le VR pour être appliqués dans le monde réel. Dans des pays comme La Chine, le crédit social ne s’en portera que mieux. Mais chez nous qu’en sera-t-il ? Devrons-nous attendre d’être face à cette nouvelle question pour commencer à en parler ? Le monde de l’instantanéité dans lequel nous vivons ne nous pousse pas à réfléchir sur le moyen terme, or les nouvelles technologies sont loin d’être arrivées à maturité. C’est donc le moment de se poser toutes ces questions à défaut d’arriver comme les carabiniers d’Offenbach.

Merci de votre assiduité à la lecture des articles de ce blog et n’hésitez pas à partager ou laisser un commentaire, notre objectif est de créer des échanges à travers les questions liées à l’urbanisme, la ville, l’architecture… dans un monde digitalisé.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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