Temps de lecture : 5 minutes
mots-clés : Bruxelles, Zoom, plateformes socionumériques, Social Network, Covid-19, citizenship
Chers lecteurs,
Comme chaque année, je sors les pépites de travaux rédactionnels de mes étudiants. Nous vous présentons aujourd’hui le travail de Stéphanie PERRINI, étudiante du Post Master Auguste Cador (ULB/UMONS) dispensé à Charleroi et ayant pour objectif de contribuer à l’amélioration de la gestion des projets urbains.
Sujet
L’article traite de la question de la participation citoyenne 2.0 dans le cadre contrait de la période de Covid-19 ayant nécessité ingéniosité pour continuer des processus qui demandent généralement de longues réunions publiques. La particularité de ce texte est l’implication directe de l’auteure en tant qu’habitante et attachées aux questions urbaines.
« Brux-elles Brux-ils, les citoyens réclament leur place dans la ville»
Ce Titre[1], issu d’un article du Le soir, utilise ce charmant terme « Brux-ils Brux-elles », expression employée par ses journalistes depuis un à deux ans maintenant. Le nom d’une capitale qui devient, de fait, une composante même de ses citoyens et vice-versa. Il faut dire que les Bruxellois affirment que ce sont à eux de faire Bruxelles et non l’inverse, et ce depuis longtemps !
L’année phare de la contestation c’est en 1969, avec la volonté régionale d’extension du Palais de Justice pour y placer ses archives et dévorer toujours plus ses quartiers populaires, déjà décimés depuis 1872[2] . La bataille des Marolles est enclenchée : les habitants clament que leurs ilots ne sont pas des bidonvilles à écraser, qu’il n’est pas question d’enclencher une procédure d’expropriation, qu’il faut rénover ! Et ça marche, le quartier remporte finalement une victoire qui deviendra un symbole dans les combats urbains à Bruxelles puisque dès lors, on peut s’insulter par un violent : « Schieven Architek» !
Aujourd’hui, près de 50 ans plus tard, il semblerait que les comités de quartiers aient retrouvé de leur combativité autour d’un projet commun et rassembleur dans leur désaccord : les « PAD ». Sans rentrer dans un débat qui n’est pas le sujet de cet article, il est intéressant de noter que cet outil, qui veut supplanter les plans directeurs existants afin de « rénover » une portion stratégique du territoire (Gare du Midi, Gare de l’Ouest, Heyvaert, Mediapark,….) en balisant son développement dans le choix des fonctions et des gabarits, ont ravivé les douleurs du passé : quelle est la place du citoyen dans ces villes planifiées ?
Il semblerait également que cette revendication historique ait changé de paradigme. Les citoyens ne réclament plus uniquement qu’on les écoute : ils agissent activement – parfois physiquement comme la manifestation pacifique de « Picnic The Streets » en 2012[3] – et souhaitent pouvoir participer en amont du projet. La Bruxelles d’aujourd’hui grouille d’associations spontanées, momentanées, structurées qui donnent voix au chapitre urbain : IEB, ARAU, BRAL qui font des petits comme le collectif midi moins une (PAD midi), réseau plan B Josaphat (Pad Josahat), mais aussi les STUN, la 20e commune, FéBUL, communa, et des dizaines d’autres … Ajoutez à cela le contexte de crise Covid, écologique, l’avènement du numérique et vous comprendrez que nos systèmes de gouvernance actuels soient secoués !
C’est évident, on ne peut plus gérer nos territoires par silo, de manière technocrate, mais bien de manière transversale : écouter les envies et les rancœurs de ses citoyens, les batailles intestines tout en ayant une vision systémique de nos territoires afin de répondre à ses besoins de villes durables et digitale[4] .
D’ailleurs, ces mains tendues qui s’agitent toujours plus vite, les pouvoirs publics les prennent de plus en plus volontiers ! Ainsi, une multitude d’initiatives des élus vers les électeurs se multiplient comme les conseils de quartiers, les budgets participatifs, les assemblées citoyennes, les rédactions collaboratives, la co-conception … Ces actions ont beaux être souvent maladroites ou perfectibles, elles existent et démontrent qu’il est possible d’écouter les citoyens autrement que lors des seuls scrutins. Certaines font leurs preuves, concrètes et perceptibles, comme la démarche participative menée pour les réflexions urbanistiques de Neder-Over-Hembeek .
Move NOhW, d‘une participation digitale « contrainte » à organisée
Le 13 décembre 2019, il y a maintenant 2 ans, la ville de Bruxelles signe publiquement une Charte de la Participation. Elle démontre enfin la volonté communale de renforcer sa relation avec les citoyens, et ce selon trois axes : la co-construction de la Ville, l’implication des citoyens et l’innovation sociale. Arnaud Pinxteren, échevin de la Participation, lance huit conseils de quartier tandis que Neder-Over-Heembeek est désignée comme commune pilote.
Rapidement, un conseil de quartier est créé afin de débattre des priorités pour NOH. A peine désignés, les membres entrent en confinement. Pour l’échevin et Particitiz, l’assistance à maitrise d’ouvrage qui s’occupe de la « facilitation », pas question d’abandonner : on teste la visioconférence ! Comment faire, dès lors, pour s’assurer du bon maintien des principes de base : un environnement sécurisant et chaleureux et la possibilité d’exprimer son opinion sans jugement, avec des écrans d’ordis interposés ? Les facilitateurs découvrent et exploitent des nouveaux outils, préparent leurs réunions autrement, appellent chacun des participants pour parer aux failles techniques ou à la fracture numérique. Un mois de réunions chaque weekend pour finalement rédiger les questions et les transférer à des rapporteurs, en juin, destination l’Administration. Les choix validés par le conseil communal repasseront au vote populaire en 2020.
Est-ce la preuve que la participation peut être 100% numérique ? Pour tous, il semblerait que le retour au présentiel ait été salvateur pour le projet. Mais même un des co-fondateurs de Particitiz s’est étonné des excellents résultats et malgré un processus qui n’a pas pu être anticipé, il plaide aujourd’hui pour une formule hybride, moyennant du temps et des solutions pour les participants plus frileux face aux technologies. Arnaud Pinxteren, l’échevin de la Participation, voit également une complémentarité entre le présentiel et le digital.
L’histoire ne s’arrête pas là puisqu’après le conseil de quartier, c’est un nouveau panel citoyen qui est constitué, cette fois pour le nouveau tracé du tram 10 cette fois. Grâce à la participation de la Région, de la STIB, du conseil communal et des habitants, un tracé préférentiel a pu émerger.
Pour se faire, la ville et la STIB se sont fait accompagnés de nouveaux facilitateurs et a développé un site internet, « MOVE-NOhW.brussels », qui rassemble toutes les informations du projet, les présentations, le détail du processus participatif, l’avancement du projet. Le processus participatif s’est déroulé comme suivant :
- D’abord, un panel de citoyens présélectionné a participé à l’étude d’impact.
- En 2019, 1000 personnes ont répondu à une enquête en ligne afin de déterminer les grands enjeux de la nouvelle ligne
- Enfin, deux réunions d’information citoyenne dont une en ligne avec chacune environ 180 participants.
On voit donc que d’une part, le digital a permis de toucher un grand nombre de citoyens grâce à une consultation de type « questionnaire », de l’autre que les réunions ont pu continuer à se dérouler sans problèmes en période de pandémie. Aujourd’hui, la ville de Bruxelles entend bien réitérer ces premières expériences qu’elle considère comme très prometteuses. Une plateforme en ligne est d’ailleurs née : « Faire Bxl samen» afin de tenir les citoyens au courant de toutes les actualités de projets en court et à venir.

La Région de Bruxelles, pas encore si Smart
I. Un processus participatif régional institutionnalisé
Cet exemple démontre que le digital parait être un médium extrêmement intéressant pour intégrer les citoyens dans la réflexion de nos territoires et même au-delà, des questions politiques. En effet, on peut participer à distance (des réunions distancielles) mais également ne pas participer « dans un même temps » (des questionnaires, enquêtes), ce qui abaisse de nombreuses barrières quant à la « disponibilité citoyenne ».
Dans un même temps, à l’échelle régionale, c’est une participation citoyenne sur la 5G[5] qui a récemment fait les grands titres : 45 citoyens, membres de la commission délibérative, et 15 parlementaires ont travaillés afin de rédiger une série de propositions de recommandations sur les thématiques de l’environnement, la santé, l’économie, et la technologie[6]. Une première pour la région et une première mondiale ! Cette actualité a suivi l’annonce de la création d’un service de participation citoyenne à la Région qui, à nouveau, a fait preuve d’un réel passage à l’acte de la part des élus. Il sera logé chez perspective.brussels et sera « composé de professionnels de la participation. (Il) aura pour mission de soutenir, d’accompagner, de susciter les processus participatifs, quels qu’ils soient, qui qu’en soit l’initiateur.« , explique le ministre-président bruxellois Rudi Vervoort[7].
Intégrer ce nouveau service dans cet organisme n’est pas un choix anodin puisque perspective a comme mission d’être « au service du développement de la Région bruxelloise. Perspective produit l’expertise nécessaire à la Région pour se connaître, se projeter et se développer durablement (…)[8]». Un service qui possède donc comme mission, entre autres, de collecter les données pour que Bruxelles se connaisse ! Mais les citoyens ont-ils, à ce jour, les moyens de connaitre Bruxelles ?
II. Un accès aux Datas encore trop limité
Des outils en ligne existent pour consulter les données de perspective et, sur (trop) peu d’entre elles, il est possible d’en télécharger. Voici quelques plateformes régionales, pour ne citer que les plus connues : datastore.brussels (perspective), le monitoring des quartiers (ibsa.brussels/perspective), geodata.bruxelles (bruxelles environnement), brugis (urban.brussels) et le meilleur puisque toutes les données y sont rassemblées, geodata.bruxelles développé par le CIRB. Le CIRB (centre d’informatique de la Région de Bruxelles) est la branche régionale du digital, un fourre-tout qui propose des solutions digitales « prêtes à l’emploi » pour les administrations allant du suivi informatisé de créances, la messagerie régionale, jusqu’à la centrale d’achats et des services de consultances[9].
III. Un smart office discret
Au cours de l’été 2019, Monsieur Vervoort présente le texte de déclaration pour la législature 2019-2024 qui contient l’accord du Gouvernement sur les objectifs de leur mandat. Là-dedans, sous un certain intitulé « L’innovation économique au service de la transition » un chapitre est consacré à l’ambition « Smart city » pour Bruxelles. Dans ce même temps, en avril 2019, une note d’ambition Smart city, présentée par le CIRB, a également été validée et a permis de réfléchir, avec les pouvoirs politiques, à la gouvernance du futur Smart City Office[10]. Ces ambitions sont aujourd’hui matérialisées par la plateforme smartcity.brussels. En réalité, les coordinateurs de la Smart city sont en action depuis 2015 mais c’est ainsi depuis peu de temps que leurs activités se sont concrètement déployées et leurs actions sont encore largement méconnues.
Enfin, le développement de tous ces outils ne servirait à rien si les habitants ne pouvaient pas les utiliser. En ce sens, la Région s’est dotée d’un « plan d’appropriation numérique[11] », toujours avec le CIRB, qui entend « augmenter l’accessibilité et les compétences numériques de base des citoyens de manière globale et continue »[12].

On notera que la Ville de Bruxelles a depuis lancé une page smartcity.brussels et compte développer MyBxl, l’instrument phare de son projet Smart qui permettra aux citoyens d’avoir une plateforme administrative en ligne[13]…
IV. La recette est prête, plus qu’à trouver un bon chef ?
On pourra constater, à la fin de cet article, que tous les ingrédients sont présents ou commencent à émerger afin de faire de Bruxelles une ville numérique, pareille à Amsterdam ou à Montréal :
- La proactivité citoyenne,
- la volonté politique,
- les outils régionaux pour le développement d’une ville intelligente, entre accumulation, partage des données et utilisation éclairée
- La création d’outils numérique, de plateformes et leur mise à disposition pour les citoyens.
- Une vision transversale et sur le long terme : La création d’une Smart city office !
Cependant, il reste du chemin à faire ! « Il n’y a plus qu’à » avoir une vraie vision qui vient mettre de l’ordre dans tout ça et fixer des priorités, tout en réussissant à ancrer et visibiliser ces initiatives dans le temps. En effet, l’émergence d’une multitude de plateformes et d’initiatives localisées risque de brouiller la communication vers les citoyens et d’empêcher ainsi tout « lien », cœur même du processus … Cette visibilité et cette centralisation devra se faire en étroite collaboration avec les Data officers dont la nature même du métier est de connecter les différents services régionaux entre eux pour permettre l’échange des informations[14]. L’implication de ces derniers dans nos systèmes de gouvernance reste encore trop peu visible, voir peu concrète. La concrétisation des ambitions soutenues par smartcity.brussels dépendra, ainsi, de la bonne synergie entre les élus, le data office et les citoyens[15].
Car la Smart city et le développement de ces outils numériques ne doivent servir qu’un seul but : une Bruxelles plus intelligente, par le « trio », pour ses citoyens.
Analyse
La création de la ville intelligente nécessite absolument une nouvelle forme de participation qui ne rejette pas les principes développés dans les années 1970-1980 et aujourd’hui quasiment institutionnalisés. Toutefois, la participation citoyenne numérique offre de nouvelles perspectives comme le démontre l’étude menée par l’UMONS, projet Wal E Cities (FEDER° et définissant une nouvelle approche de ces questions. Cette étude a démontré que les pouvoir publics surfaient sur les outils numériques sans pour autant prendre conscience de leur utilité. Les développements de services participatifs en lignes sont également souvent des startups dynamiques mais faisant fi de la riche histoire de la participation qui leur éviterait bien des écueils ! Enfin le citoyen doit lui-même se resituer dans le cadre nouvellement mis en place. Bref, c’est compliqué et il faut y aller avec méthode.
Merci de votre lecture.
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
[1] Lamquin Veronique, Le Soir, 09/03/2020 : Brux-ils, Brux-elles, les citoyens réclament leur place dans la ville. Lien : https://www.lesoir.be/285661/article/2020-03-09/brux-ils-brux-elles-les-citoyens-reclament-leur-place-dans-la-ville
[2] Schieven Architek au Nova cinema. Lien : https://www.nova-cinema.org/prog/2008/101/schieven-architek/
[3] Tessuto Julie, Environnement Urbain, Volume 10, 2016 : Le mouvement citoyen PicNic the Streets et l’invisibilisation des enjeux socio-économiques liés au réaménagement du centre-ville de Bruxelles
[4] Simoens Pascal, Cours « villes intelligentes », MTDU , Page 225-227
[5]Belga, Le Soir, 22/06/2021 : La Région bruxelloise se dote d’un service de la participation citoyenne.
[6] RTBF INFO, Extrait du JT, 05/06/21.
[7] Idem point 14
[8] Site officiel de perspective.brussels.
Lien : https://perspective.brussels/fr/qui-sommes-nous/propos/nos-missions
[9] Site officiel du CIRB. Lien : https://cirb.brussels/fr/le-cirb
[10] Site officiel de Brussels Smart Cityhttps://smartcity.brussels/a-propos-9-ressources
[11] Le Plan d’Appropriation Numérique pour la Région Bruxelles-Capitale.
Lien : https://cirb.brussels/fr/quoi-de-neuf/publications/cahiers/ndeg40-plan-dappropriation-numerique
[12] Plateforme de la Région Bruxelloise, mission d’inclusion numérique.
Lien : https://be.brussels/inclusion-numerique
[13] « La Rédaction », La Libre, 22/11/2021 : MyBXL : le nouveau portail pour les habitants de la ville de Bruxelles. Lien : https://www.lalibre.be/regions/bruxelles/2021/11/22/mybxl-le-nouveau-portail-pour-la-habitants-de-la-ville-de-bruxelles-FCWOLD5U6FFYXCIYQETYZRBLIA/
[14] Pascal SIMOENS – Cours « villes intelligentes » – MTDU – Page 230
[15] Idem, Page 231.