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mots-clés : commerce mondial, mobilité, developpement durable, efficacité énergétique, Gabrielli-von Karman, Stamper, Dewulf, Van Langenhove
Chers lecteurs,
Un article du 12 décembre 2021 « faut-il arrêter de commercer pour sauver le climat ?», rédigé par Isabelle Bensidoun qui interviewe Cecilia Bellora, économiste au Centre d’études prospectives et d’informations internationales (CEPII), en charge du programme scientifique Politiques commerciales et dans le cadre de la plateforme The Conversation (Acadelic Rigour, journalistic flair) que je ne peux que vous conseiller grandement.
Idées simples…
Le titre de cet article correspond aux idées toutes faites qui nous offrent des solutions simples pour des sujets compliqués. Aujourd’hui, les réseaux sociaux et leurs usages ainsi que l’accès aux informations via les moteurs de recherche peuvent nous faire croire à devenir rapidement des experts en intuitions : il suffit de lire deux articles et hop ! on est un expert. Or, la définition du génie, tel qu’il était reconnu à la Renaissance n’était pas du nombre de diplômes, mais bien de la curiosité. L’exemple de Leibnitz, fondateur du concept numérique essentiel aujourd’hui de 1-0, nous montre que ce juriste de formation, expert en affaires diplomatiques pour l’Empire allemand en devenir à cette époque a également développé des machines d’extraction du zinc dans des carrières au nord de l’Allemagne, mais également, a développé ses concepts numériques par la rencontre avec la crème des mathématiques à Paris au milieu du 18e siècle. DE juriste-ingénieur en carrière, il est devenu le fondateur de la lecture des données par 0 ou 1 ! Ces dix ans l’ont amené à se former avec l’aide de spécialistes au travers des cours à l’université, mais également dans les repas mondains. Leibnitz est l’un des derniers génies de la Renaissance, tel qu’on les appelait à cette époque.
Pour en revenir à notre sujet, les idées simples concernant le climat est de penser si tout était produit à côté de chez nous, cela serait moins énergivore. Et qui n’a pas vilipendé l’image de ces super containers de 400 m de long avec 10.000 containers à leur bord et criant que ce commerce n’était pas viable.
Certes, il y a un fond de vrai là-dedans, mais les idées les plus simples ne sont pas toujours les meilleures. C’est ce que cet article tente à démontrer.
… Systèmes complexes
Cécilia Bellona précise que le transport international de marchandises, effet direct du commerce sur le climat, contribue à hauteur de 7 % aux émissions mondiales de CO₂. En 2010, cela représentait 2,1 gigatonnes, soit 7 mois d’émissions de l’Union européenne (UE), et un tiers des émissions du secteur des transports (c’est-à-dire des émissions causées par la combustion d’énergies fossiles pour les transports). Ce n’est pas rien et complétons que les transports sont un important contributeur des GES. Là où les choses se compliques, c’est lorsqu’on commence à analyser les éléments en fonction du type de transport : Toutefois, la quantité de GES émise par tonne de biens transportée apparaît faible, surtout pour le transport maritime, principal mode de transport international dont les émissions de GES pour transporter sur une longue distance une tonne de marchandises avec un bateau porte-conteneur de grande taille s’établissent à 10,2 g de CO2 équivalent par kilomètre parcouru, contre 94 g avec un véhicule lourd porte-conteneur et 537 g avec un avion-cargo !. et de compléter par le fait que le mode de production compte souvent bien plus que le transport. Consommer des laitues cultivées localement, mais sous serre chauffée produit plus d’émissions que consommer des laitues cultivées en plein champ, par exemple en Espagne, et ensuite importées. Du seul point de vue des émissions, le slogan serait « consommer de saison » plutôt que « consommer local ». Bref, on doit d’abord arrêter de consommer des haricots du Kenya ou des roses en hiver plutôt que de demander de rapatrier la fabrication des téléphones de Taïwan.
Efficacité énergétique des transports
L’efficacité énergétique dans les transports est caractérisée par l’énergie nécessaire pour déplacer des marchandises ou des personnes sur une distance donnée ; elle se mesure aussi par le rapport inverse : l’énergie consommée pour parcourir une distance, habituellement 100 kilomètres. Elle dépend de plusieurs facteurs, notamment les caractéristiques techniques du véhicule, ainsi que son taux d’occupation ou de remplissage.

Pour analyser cette efficacité, nous proposons d’utiliser en introduction le diagramme de Gabrielli – von Kármán est un diagramme qui permet de comparer l’efficacité énergétique dans les transports. Ces graphiques furent développés en 1950 par Theodore von Kármán et Giuseppe Gabrielli dans leur papier relatif à l’efficacité des différents moyens de transport et résultat d’une question « Quelle vitesse de prix ? »[1] . Un examen plus approfondi de leur travail a révélé que toute forme de transport est un équilibre économique entre le cout du transport et la valeur du temps pendant lequel les marchandises ou les personnes sont immobilisées. Concrètement, ce diagramme permet de représenter la résistance spécifique (notée Epsilon « efficacité ») en fonction de la vitesse du véhicule (v) et de son poids (Masse et pesanteur représentée par g). De cette équation découle la relation entre la force de frottement, le poids du véhicule (y compris sa charge) est pour la vitesse. ET dans chaque cas, il y a un optimum, le même optimum qui fait rouler les TGV à 300 km/h alors que techniquement ils pourraient rouler beaucoup plus vite. On notera qu’un peu plus tardivement J. Stamper[2](1975) propose de travailler sur les mêmes bases excluant la charge spécifique du transporteur. On parle ici de « charge utile » qui, aujourd’hui, est remise en cause par d’un point de vue environnemental : il faut aussi consommer de l’énergie pour transporter le contenant, autant que le contenu. Rien n’est simple…

Dans une approche plus « durable », la démarche LCA[3] s’est peu à peu installée dans les théories d’analyse des performances de transport de marchandises :
- Dewulf et Van Langenhove[4] (2009) tente d’abord de prendre en compte les paramètres de la masse totale à transporter et la distance totale parcourue ainsi que la masse par transport/p/personne et la vitesse, permettant une comparaison efficace entre le transport par chemin de fer, par camion et les voitures particulières. Cette équation appelée « Exergétique » permet de quantifier la quantité de ressources extraites de l’écosystème pour fournir le service de transport par la définition d’un inventaire de toutes les ressources énergétiques dans l’ensemble du processus de cycle de vie.
- Gong et Wall[5] (2012) approfondissent cette approche en différenciant les énergies renouvelables/non-renouvelables.
Par cette approche plus globale, nous constatons que l’impact du carburant dans le bilan carbone du transport de marchandises. Il y a donc des constantes, ouf! Mais que dire alors du transport par bateau à l’H2 ou à voile ? Les idées d’aujourd’hui (fabriquer près de chez soi) ne seraient donc pas nécessairement durables ?
Efficacité énergétique du commerce
Les auteurs de l’article précisent 3 effets indirects du commerce sur l’environnement :
- Les effets d’échelle, tout d’abord : sous l’effet du commerce, les niveaux agrégés de production et de consommation augmentent, et avec eux le niveau de pollution. Ceci dit, il y a quelques forces de rappel car en moyenne les revenus devraient croître à la suite d’une augmentation du commerce. Or, plus les revenus sont élevés, plus la demande pour des politiques environnementales ambitieuses est forte.
- Les effets de composition, ensuite : sous l’effet du commerce, les économies se spécialisent selon leurs avantages comparatifs. Si ces avantages sont dans des secteurs polluants, alors l’impact sur l’environnement sera négatif. Au contraire, si les avantages sont dans des secteurs peu polluants, l’impact sera positif.
- Enfin, les effets techniques : le commerce facilite la diffusion des technologies de production et rend ainsi les technologies les moins polluantes accessibles au-delà des pays dans lesquels elles sont mises au point.
Et de résumer les interactions en précisant que les effets de composition sont faibles, que les effets techniques sont importants et peuvent tout compenser, surtout dans les pays riches, ou partie de l’impact négatif causé par l’effet d’échelle.
Analyse
Cette petite démonstration nous montre que les choses ne sont que simples en apparence et notre propos n’est pas de favoriser le transport par container. Toutefois, lorsqu’on voit l’énergie dépensée par la Chine pour la création des routes de la soie ferrées à travers l’Asie et l’Europe, on est en droit de se demander si c’est vraiment le meilleur choix. De même, réduire nos consommations alors que d’autre part nous sommes de plus en plus demandeurs de produits chimiques et pharmaceutiques semble complexe à réaliser : on interdirait les produits non essentiels contre ceux essentiels. Tiens, tiens, on a déjà entendu cela quelque part…
Les auteurs nous parlent, eux d’accentuer les politiques européennes pour rendre les systèmes plus vertueux et le commerce s’adaptera. Il reste alors la question du cout des produits. Cette du marché des véhicules de luxe alors que les véhicules de niveau inférieur peinent à se maintenir en est un bel exemple. Bref, tout le monde n’est pas Leibnitz, or aujourd’hui on aurait besoin de beaucoup plus de « génies » pour expliquer, nuancer, développer des solutions collectives, innovantes et sereines.
Merci pour votre lecture.
[1] « Quelle vitesse de prix ? Puissance spécifique requise pour la propulsion des véhicules’, Génie mécanique, ASME, Volume 72, Numéro 10, (1950), p775-781
[2] Stamper, J.:‘‘Time is Energy,’’ Aeronaut. J. 169–178 (1975)
[3] Life Cycle cost assessments : considérer d’une par le cout de transport du produit, mais également les coût environnementaux induits à travers sa durée de vie.
[4] 12. Chester, M., Horvath, A. Environmental assessment of passenger transportation should include infrastructure and supply chains. Environ. Res. Lett. 4(2) (2009)
[5] 13. Chester, M., Horvath, A. High-speed rail with emerging auto-mobiles and aircraft can reduce environmental impacts in california’s future. Environ. Res. Lett. 7(3) (2012)
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.