LEGOLAND A CHARLEROI : BONNE OU MAUVAISE NOUVELLE ?

Temps de lecture : 7 minutes
mots-clés : LEGOLAND, Charleroi, villes créatives, Cratives cities, Blue banana, immobilier, bureaux, logements, housing, offices.

Le pitch

Cela se précise de plus en plus : LEGO devrait s’installer à Charleroi…. Si le virus venait à disparaitre, à tout le moins, soit moins offensif. Est-ce une belle nouvelle ou bien encore un brol stratégique pour la région de Charleroi ? Un point de vue face au modèle des « villes créatives ».

Le contexte

La ville de Charleroi est en reconversion industrielle depuis plus de 40 ans par suite de l’effondrement de la sidérurgie et du charbon dans le bassin industriel wallon. Pourquoi cette reconversion prend-t-elle autant de temps ? Probablement que la perfusion des pouvoirs publics envers l’industrie lourde y a contribué (création de Cockerill-Hainaut Sambre en 1982, etc.).
Ensuite et contrairement à Liège qui est d’abord une ville avant d’être un territoire, l’agglomération carolo n’a pas encore pu assoir son rayonnement à travers son poids démographique et économique. Certes les choses bougent, mais nous sommes encore loin du compte. L’étude stratégique de territoire Charleroi Métropole le démontre encore : il est essentiellement question de développement territorial alors que l’enjeu est d’abord l’organisation économique du territoire pour ensuite faciliter les échanges et partages. C’est plus une question de mentalité que de réelle incapacité du territoire à s’en sortir. Mais toute l’eau du bain n’est pas à jeter et des approches telles que le développement de la boucle alimentaire qui démontrent la nécessité dune relation plus symbiotique entre l’urbain et la ruralité et le développement d’une identité forte pour la formation supérieure avec le Campus et la cité des métiers en plein cœur de ville sont prometteurs.
Finalement, Charleroi a pâti d’une image désastreuse pendant les années 1980-1990 où elle hésitait entre le maintien d’une sidérurgie en ville et un renouveau technologique comme le pôle biotech ou encore l’offre de services comme l’aéroport. L’arrivée d’une nouvelle génération de politiciens a permis de faire basculer ce regard pour assumer le changement, et la fermeture des derniers hauts fourneaux a fait le reste en 2009.

Aujourd’hui la ville reste meurtrie de cette hésitation de fin de siècle, mais c’est aussi cela qui crée un potentiel étonnant dans une ville inscrite dans la banane bleue de l’Europe aussi appelée la mégalopole européenne, entre Londres et Milan, passant par les sillons industriels de la houille et du Rhin.

Les enjeux

Aujourd’hui, Charleroi se rénove à coups de fonds publics européens. Les acteurs privés, décidés à accompagner ce mouvement, restent pour l’instant sur la défensive. Deux raisons expliquent cette situation :

  • Un marché immobilier atypique et pas assez dérégulé : par défaut, l’intercommunale a fait la pluie et le beau temps de l’offre immobilière de bureaux pendant plus de 20 ans à Charleroi. Toutefois, il faut reconnaitre qu’aucun investisseur privé ne désirait s’aventurer sur les terres de la citadelle espagnole. Avec le temps, le marché s’est sclérosé devenant l’exclusivité d’un opérateur para public. La conséquence fut un déséquilibre et l’effondrement de la demande. Une étude menée par COOPARCH-DELOITTE-AT OSBORNE en 2011 démontrait que le poids économique global de la région de Charleroi était similaire à celui de Liège et légèrement inférieur à celle de Gand. Ces deux territoires construisaient 35.000 m ² de bureaux neufs/an. À Charleroi nous en étions à peine à 15.000m²… faute de manque de demande ? La question de l’époque était plutôt, ne faut-il pas augmenter l’offre pour aiguiser la demande ? En effet, paradoxalement, la valeur locative de l’immobilier de bureau et en cœur de ville n’est pas particulièrement bon marché comme on pourrait le laisser penser par comparaison avec sa concurrente directe : Bruxelles. Heureusement, les temps changent et aujourd’hui le marché de l’immobilier semble plus sain et plus mûr pour une offre plus diversifiée avec divers opérateurs. L’arrivée d’IRET (centre commercial Rive gauche), Eiffage (ville basse) est encourageante.
  • L’immobilier de Charleroi souffre énormément de son image. Une étude sur la porte Ouest, menée par AUPC (Architecte et urbaniste Patrick Chavannes, Paris), COOPARCH et AGORA entre 2008 et 2012 a démontré que la porte Ouest restait une identité « moche » dans l’esprit des visiteurs extérieurs et des opérateurs économiques de la région. Une nouvelle étude a été lancée aujourd’hui par la SOGEPA pour contribuer à transformer la presqu’ile de la porte Ouest d’un point de vue paysager. Nous pourrons juger des propositions dans quelques mois.

Complémentairement, faisons le constat que malheureusement, la pandémie a quelques peu stoppé un élan naissant. Cependant, gageons que la redistribution des cartes de la qualité de ville pour les villes moyennes comme Charleroi (vs Bruxelles/Anvers) va contribuer à relancer la demande : la maison avec jardin est moins chère et le cadre humain sans pareil.

Toutefois, cela sera-t-il suffisant ?

Les villes créatives : un enjeu de Charleroi métropole

Le 5 novembre 2019, je rappelais dans un article intitulé de l’autre côté du miroir : le déclin des grandes métros créatives américaines doivent nous faire réfléchir sur les stratégies urbaines de Charleroi et de Liège. Un article prémonitoire qui relevait le départ des classes moyennes des grandes métros pour migrer vers les villes de périphérie offrant une qualité de vie à un prix raisonnable face aux métros américains devenues inaccessibles pour les cadres qui y travaillent. Cet article publié 2 mois avant l’arrivée de la pandémie en Europe était prémonitoire vu le départ des mêmes classes moyennes pour chercher des villes plus aérées. En d’autres termes, peut-être que ce déplacement des populations que nous constatons aujourd’hui n’est pas seulement dû à la pandémie, mais bien un mouvement de fond où la pandémie a été simplement un révélateur.

Dans ce contexte, la ville de Charleroi se doit de sortir son épingle du jeu. Dans le même article, je précisais ce qui caractérise la qualité de ville telle que les théoriciens de la ville créative le définissent :

  • La capacité de produire des talents compétents et techniques : précisément, ils signalent l’importance d’avoir un système universitaire fort incluant, bien sûr, une faculté en sciences et informatique, mais également avec un enseignement secondaire de qualité préparant aux universités.
  • L’accès au marché local et global (mondial) via les infrastructures de qualité : par infrastructure, il est entendu la multiplicité modale (aéroports, autoroutes, rail …), mais également, un réseau de télécommunication à très haut débit (image 2). La question des infrastructures semble une évidence en Europe de l’Ouest, il faut toutefois nuancer cela à l’échelle du monde où le croisement de l’eau, du rail, des routes et des airs est très rare. En outre, et pour un pays comme la Belgique en particulier, la qualité des infrastructures inclut également son accessibilité, donc la question de bonne mobilité… un domaine où certains pays européens sont loin derrière et certaines villes américaines également (Los Angeles pour ne citer qu’elle).
  • Un lieu durable et connecté : la connectivité ne doit pas se limiter ici à la question des réseaux, mais bien dans la qualité des espaces urbains, en d’autres termes : l’urbanité. Un concept qui définit ce qui fait que la ville est ville et non un zoning industriel ou centre d’affaires banal et sectorisé sur un territoire. Amazon précise d’ailleurs l’enjeu de la qualité des connexions via les différents modes de transports : vélo, piéton, tram, etc. En d’autres termes, l’intermodalité.
  • La culture et la diversité : une approche volontariste, mais très calculée c’est-à-dire la nécessité d’avoir de la diversité dans les populations qui seront le gisement de travailleurs. Ce qu’Amazon révèle avec cette demande, c’est le fait que dans une économie mondiale, une multinationale a besoin de gens de tous horizons. Et comme précisé dans le premier point du cahier des charges, si cette multiculturalité est bien formée dans la ville du centre de décision, c’est encore mieux.

Ces éléments sont définis également par AMAZON pour la localisation de sont deuxième centre décisionnel en Amérique du Nord. Est-ce pour autant qu’Amazon pourrait s’installer à Charleroi ? Probablement pas encore, mais l’installation de Lego positionne mieux le territoire dans cette perspective et au sein de la banane bleue.

J’ai la banane…

La particularité de la fameuse banane bleue européenne est l’organisation de son territoire par un chapelet de villes moyennes et de petites villes, toutes accrochées à des mégalopoles de première importance et mondiales. D’une part, le rayonnement croisé de ces mégalopoles (comme Bruxelles, Paris, Londres ou Amsterdam) atténue le rayonnement des villes comme Charleroi ou Liège, d’autre part, le besoin de qualité de vie « nature » renforce ces villes périphériques grâce à une pression foncière moindre offrant plus de foncier par habitants. Toutefois, les exigences de services pour ces plus petites villes sont identiques que pour les grandes mégapoles mondiales… Un paradoxe difficile à soutenir. Mais LEGO pourrait contribuer à améliorer l’image de Charleroi et son offre d’aménités pour la rendre plus attractive au niveau de l’habitat.

Une boite LEGO pour construire des maisons et des bureaux localement.

L’installation d’un parc LEGO peut prêter à sourire. Ce fut aussi le cas lorsque le Brabant wallon était sur la shortlist de Disney Corp. pour installer… Eurodisney. À l’époque, Disney a jeté son dévolu sur Paris avec la volonté d’en faire un cluster mondial du tourisme… avec plus ou moins de succès car la grande majorité des visiteurs sont des visiteurs point-to-point, les uns ne visitant pas nécessairement l’autre. Aujourd’hui, c’est plus nuancé mais après seulement après plus de 20 ans. À Charleroi, cette arrivée des briques pourrait contribuer à deux objectifs importants :

Le premier étant la consolidation de la position de l’aéroport BSCA. Legoland devient une destination de loisir pour le weekend comme Barcelone ou Eurodisney.

Le second est la transformation de l’image de la ville : « si LEGO s’installe à Charleroi c’est que ce n’est pas si mal ». L’offre immobilière ne pourra que monter et donc la valeur du foncier (aujourd’hui elle est trop basse et donc contre-productive, ne lassant que peu de marges de manœuvres aux pouvoirs publics pour fiancer du logement public). Ensuite, l’arrivée de classes sociales « créatives » aura pour effet de renforcer l’offre de bureaux, car les travailleurs seront déjà sur place. Vous aurez également remarqué que la conjonction des deux actions est profitable pour l’ensemble des travailleurs, universitaires et non universitaires,ou sans formation.

Discussion

J’ai souvenir que lors du lancement de l’idée d’installation d’Eurodisney sur l’implantation de l’ancien circuit automobile de Nivelles, tout le monde en rigolait. Je fus toujours surpris de cette capacité des Wallons à dénigrer ce qui est bien pour leur territoire, exhibant un conservatisme sans pareil plus qu’un pessimisme avéré. Depuis la confirmation de la maison mère LEGO que Charleroi était en top liste pour l’implantation d’un 4e parc, la lecture des réseaux sociaux ne me rassure pas.

Je tente toutefois ici de démontrer, par des axes théoriques, que cette implantation n’est pas anodine et que les retombées les plus importantes seront bien plus que les emplois directs (800) et indirects. La Wallonie peut s’en sortir à condition de croire en elle. Il n’est pas anecdotique que l’axe Bruxelles-Charleroi soit l’objet, en 25 ans, de recherche d’installation d’un parc d’attractions de dimension mondiale. C’est parce que le territoire le vaut bien. Croisons les doigts.

Merci de votre lecture.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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