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mots-clés : art, NFT, non fongible, dématérialisation, IA, Duchamp, Warhol, Sophia
Le pitch
NFT, vous connaissez ? Un acronyme pour dire « non-fungible tokens », jetons non fongibles en français. Cette technologie décentralisée (Blockchain) permet de créer un fichier spécifique lié à une œuvre et sert, en quelque sorte, de signature de l’œuvre. C’est un peu comme les lithographies numérotées, les photos à faible tirage, etc. Le concept n’est donc pas nouveau, mais enflamme la toile et les experts sur la question « est-ce qu’une œuvre numérique est une œuvre d’art » ? nous allons tenter ici d’en discuter.
L’opposition
Il est intéressant de constater que les gens se concentrent plus sur la « valeur des transactions » que du mécanisme réel induit par cette nouvelle technologie et ce qui risque d’arriver dans les années à venir. Ainsi, les sujets les plus discutés du moment sont la valeur du premier tweet du fondateur de Tweeter, mis aux enchères (comme dans les salles de ventes) et qui a dépassé plus de 2.5 millions de dollars. Précisions que dans ce cas, ce n’est pas la valeur du tweet du compte, mais bien le transfert de valeurs du bitcoin qui s’est envolé depuis quelques mois et donc, les possesseurs de bitcoins décident de diversifier les plus-values. L’art du bitcoin est donc déjà devenu un placement spéculatif comme l’art mainstream en général.
La deuxième vindicte est plus profonde : les NFT sont liés à des œuvres numériques et pour certains, les œuvres numériques, non physiques, ne sont pas des œuvres d’art à part entière. Nous allons nous arrêter quelques instants sur cette question.

De Michel Ange à Sophia, en passant par Duchamp.
Aujourd’hui, certains détracteurs sont face à une incompréhension de la vente des œuvres numériques, certifiées, préférant le principe « signée de l’artiste ». Mais la question de fond est celle de l’intangibilité d’une œuvre. Le numérique est-il intangible alors que nous avons déjà tous vécu la misère de la perte de données sur un disque dur. En outre, quelle est la valeur d’un œuvre qui peut être copiée strictement à l’identique ?
Pour l’exemple, l’idée que vous perdiez l’œuvre sur votre disque dur cramé n’est plus un problème. Il suffit de la télécharger à nouveau. Vous resterez le seul à avoir cette œuvre démultipliée, accompagnée de son NFT, sa signature. Chez moi j’ai une reproduction de Paul Klee, ce n’est pas pour autant que j’ai l’œuvre originale…
À contrario, à quoi cela sert-il d’avoir une œuvre signée si on ne sait pas la présenter ? A cela, on peut opposer l’ouverture des tailles d’écrans, voire des modèles tels Samsung en propose…. Avec un cadre (ligne FRAME)samsung frame

D’autres artistes ont également répondu à la question de la réplicabilité, particulièrement Andy Warhol avec sa boite Campbell’s ou la pochette de disque (11 en tout dont la première The story of Moondog (1957) et la plus célèbre du Velvet underground & Nico (1967)) réplicable à l’infini. Notons par ailleurs que l’œuvre-urinoir de M. Duchamp a été détruite et qu’aujourd’hui, que vous pouvez regarder au Centre Georges Pompidou (du moins lorsqu’il sera rouvert) est un facsimilé avec 10 autres exemplaires dupliqués et vendus (1.600.000 d’euros en 1999 à un collectionneur grec). Depuis lors, la réplication ou l’art conceptuel est très fréquemment utilisé par les artistes, rappelez-vous de la banane scotchée sur un mur par Maurizio Cattelan (2019), œuvre vendue pour la bagatelle somme de 120.000 dollars.
Plus généralement, l’art a toujours été composé d’œuvres répliquées et de tout temps, ces œuvres sont reconnues, de Michel Ange à Rodin, elles ont été industrialisées par Warhol et aujourd’hui Sophia prend la relève…. Une intelligence artificielle qui va vendre sa première œuvre ce 23 mars. Vous ne connaissez peut-être pas Sophia en revanche vous vous souvenez peut-être de sa prise de citoyenneté saoudienne en 2017. C’est paradoxal s’il en est, mais passons et cela a fait le Buzz. Cette IA est considérée comme l’une de plus performante à ce jour.
L’œuvre sera vendue via un NFT et c’est là que les choses deviennent intéressantes. En effet, qui de plus doué qu’une machine pour contrôle sa signature ? On notera au passage que les créateurs de Sophia ne perdent pas le nord en proposant quelques « drop », soit plusieurs créations en lot limité et à chaque fois lié à un jeton NFT. Je vous conseille, si vous en avez les moyens de les acheter, car ce sera comme les urinoirs fontaines de M. Duchamp : c’est toujours la première œuvre qui garde une valeur sure.

Deux réflexions
La première concerne des œuvres produites par des machines intelligentes. Est-ce de l’art ? je rétorquerai que le processus de composition, c’est-à-dire une inspiration de la machine au travers de ce qu’elle peut comprendre sur les bases de données mises à sa disposition ne change en rien du « modèle humain » où un artiste s’inspire toujours du contexte qu’il analyse pour en reproduire une réflexion qui se traduit par la peinture, la sculpture, etc. les œuvres numériques, produites par les humains ou une machine sont, à cet égard, identiques.
La seconde question est sur les NFT. Comme décrit ci-devant, de nombreux artistes se lancent sur les NFT, comme pour le dernier album des Kings of Leon. Aujourd’hui, nous avons deux types de marchés de l’art : les « main » qui passent par des salles de ventes et de grandes galeries et puis tous les autres. Demain pourrait devenir strictement virtuel pour les œuvres « main » et le physique pour les autres œuvres, plus confidentielles. Une petite révolution en perspective sur la perception de l’art : « as-tu le NFT de l’œuvre ? Non ? C’est donc une copie ou une œuvre d’ « artiste de seconde zone. ».
Si tu n’as pas ton Jef KOONS à 50 ans, t’es nul, à méditer.
Merci de votre lecture.
Pour plus de lecture :
C’est quoi les NFT, les jetons qui permettent d’acheter des tweets et des œuvres d’art sur Internet ?, Laure BEAUDONNET, 20 minutes, 11 mars 2021
L’Arabie Saoudite accorde la nationalité à Sophia, l’un des robots les plus avancés du monde, Pierre LE TALLEC, L’ADN, 31 octobre 2017
Le robot Sophia va vendre aux enchères sa première œuvre numérique aux enchères grâce aux NFT, Margaux DUSSERT, l’ADN, 15 mars 2021
Des toilettes au musée, l’incroyable épopée de l’urinoir de Duchamp, Joséphine Bindé, Beaux-Arts, 16 juillet 2020
WARHOL ANDY (1928 – 1987) – Campbell box, Sca D’Aste, Capitolium Art, visité le 20 mars 2021
La banane scotchée de Maurizio Cattelan, une œuvre qui réussit son coup, Aurore Lartigue, RFI, 14 décembre 2019
WTF is an NFT? Kings Of Leon’s weird non-fungible token thing – explained!, Mark Beaumont, NME, 5 mars 2021
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.