
Début juillet, la Fondation Internet Nouvelle Génération (FING) organisait un atelier AudaCities dans ses locaux, à Paris, en partenariat avec l’Institut du Développement Durable et des Relations internationales (IDDRI).
AudaCities regroupe des urbanismes, acteurs de l’urbanisme qui pensent la ville de demain de manière dystopique en élaborant des scénarios qui sont posés à leurs extrêmes, tous numériques, car la ville de demain sera numérique d’une manière ou d’une autre comme la ville d’aujourd’hui dépend du carbone. Il y avait plus de scénarios à la base, mais le crossmédia Usbek & Rica ne que relate que 4 scénarios et nos recherches sur le net ne nous a pas permis d’en découvrir d’autres, sur les 30 proposés. Toutefois, les 4 propositions nous semblent particulièrement bien choisies pour illustrer notre approche sur le blog et donc nous les avons repris pour notre compte avec un regard singulier, celui d’un urbaniste 2.0, Data Scientist et spécialisés dans la gouvernance urbaine liée aux outils numériques. AudaCities, ce sont des laboratoires d’idées où les acteurs de l’urbanisme se retrouvent pour échanger et inventer la ville de demain à partir de scénarios plus ou moins dystopiques, par exemple celui d’une ville devenue ingouvernable à cause de l’emprise du numérique. Les participants sont invités à réfléchir aux causes de ces fractures et proposer des solutions. Usbek & Rica s’est rendu à l’atelier du 3 juillet. Nous présentons ici les quatre scénarios qui ont particulièrement retenu notre attention.

Par dystopique, il est entendu que les scénarios sont cauchemardesques, telle une utopie qui aurait mal tourné. Cela inclut, comme l’utopie, une démarche linéaire et jusqu’au-boutiste. Encore que… voici les 4 scénarios (sur 30) proposés et étudiés, ils sont tous numériques :
- Le scénario le plus probable : la ville 100% Google
- Le scénario le plus flippant : le burn-out citoyen
- Le scénario le moins probable : plateformes de villes vs villes anti-plateformes
- Le scénario le plus audacieux : ville calculant, ville calculée
Le premier scénario est présenté comme la ville Big Data qui devient le produit de Google (et des autres GAFA). Tout est gratuit, compilé par les multinationales qui vous vendent ensuite un service que vous aurez vous-même créé puisque c’est vous qui avez donné vos données personnelles. Il faut bien avouer qu’aujourd’hui, c’est comme cela que ça marche déjà ! Pourtant, rappelons que les alternatives à Google et aux autres géants de la Silicon Valley existent. Il faut juste être un peu plus actif. Notons que ce scénario risque d’arriver plus vite qu’on ne le pense, en effet, de nombreuses villes n’ont encore aucune stratégie de développement numérique. Dans quelques années il deviendra trop tard pour élaborer ces stratégies face à l’offre (bon marché) de Google. Les clefs en main seront offerts. C’est déjà le cas pour la ville de Dijon qui a défini son projet par appel d’offres : « que pouvez-vous nous offrir, nous vendons notre ville, vous aurez toutes nos données (avec celles de nos habitants, bien sûr). Parfois, les dystopies se rapprochent de la réalité, malheureusement.

Le deuxième scénario est intéressant à plus d’un titre et correspond à l’extrême de la ville dont la donnée première et le citoyen lui-même et contributeur à l’amélioration par la communication des informations en temps réel. Certes, les machines le font déjà un peu pour nous et parfois à notre insu (Google maps, etc.), mais imaginons un monde où Yelp, Foursquare, Trip Advisor vous amènent à rédiger, transcrire, relater tous les espaces et lieux où vous vous déplacez chaque jour ? Une démarche d’autant plus nécessaire que vous-même, vous utilisez les données fournies par d’autres. Seulement, voilà, vous avec déjà votre vie bien chargée et l’adaptation du temps de travail ne tient pas compte de cette nouvelle réalité. À force d’accumuler les attentions pour tout, c’est le burn-out. Est-ce si dystopique que cela ? Peut-être bien que oui et pour plusieurs raisons : d’une part, les nouvelles générations sont plus aptes à développer des capacités numériques beaucoup plus performantes que les générations X avec baby-boomer. D’autre part, la technologie évolue et il faudra bien accepter un jour que le smartphone sera intégré à notre corps, ce qui décuplera notre capacité d’encodage. Par ailleurs, les IA vont anticiper notre encodage à un point tel qu’une grande partie de notre travail sera préencodé et de manière singulière. Finalement, ce scénario pose la question de relation technologique entre la machine et nous. Ce serait comme expliquer à un homme du 19e siècle que l’homme du 20e siècle parcourrait des dizaines de milliers de kilomètres par ans. Il penserait que l’homme ne tiendrait pas le coup et serait vie malade, voire mourante. Ç’aurait été sans imaginer le développement des moyens de transport. Néanmoins, reconnaissons la pression que l’homme se met lui-même en se connectant continuellement aux réseaux sociaux et autres applications mobiles, provoquant un stress continu. La Dystopie n’est donc pas absurde en soi, mais nous avons la capacité, ici de l’assumer ou pas, donc de garder une partie de notre libre arbitre.
Le troisième scénario numérique s’inspire du Crowdfunding, précisant que des villes s’inscriront dans le premier scénario et d’autres houeront le rôle de contreculture. C’est le phénomène Uber ou AirBnB. Usbek & Rica n’y croient pas vraiment et nous non plus ! En fait, les contrecultures sont des phénomènes intéressants, mais éphémères. En outre, les villes qui refusent le numérique sont des villes qui deviendront de moins en moins attractives pour leurs habitants. D’ailleurs, regardons ce qui se passe avec les villes sans gares, sans transports en commun, sans internet. En France, c’est la diagonale du vide, aux USA c’est le Middle West. Peut-être que les bobo-soixante-huitards-attardés s’y arrêteront un peu, mais très vites repartiront vers une ville connectée avec le monde.la dichotomie entre villes en réseaux et d’autres villes inscrites dans un autre réseau va à l’encontre du principe même de l’internet qui offre l’ultime résilience d’être toujours connecté d’une manière ou d’une autre.
Le dernier scénario est mon préféré : ville « calculante », ville calculée. La ville la plus audacieuse selon les projectivistes. Je ne peux qu’abonder dans ce sens, car c’est une ville qui s’inscrit dans le monde d’aujourd’hui et qui garde la main sur son avenir. Elle est open source, mais maitrise ses données. Surtout, elle offre le choix à ses habitants.
Pour conclure, dans une période aussi chaotique que l’émergence d’une civilisation numérique comme la nôtre, tout est complexe, rien n’est absolu ni certain. Dans ce brouillard, en tant que spécialistes au service des villes et territoires, nous devons offrir la potentialité des opportunités. Je ne doute pas que dans 50 ou 60 ans, une certaine forme d’autorégulation sera opérée, mais il ne faut pas oublier l’impact qu’a pu avoir le fordisme sur l’aménagement des villes. Pourtant, à la base c’est juste le concept d’une entreprise avec un patron génial. Notre terre n’a pas les moyens de jouer une seconde fois au fordisme qui sera maintenant le googlelisme numérique. C’est aujourd’hui que les scénarios doivent être débattus pour s’implémenter pour les nouvelles générations. À défaut, nous deviendrons un produit logé dans une ville-catalogue de services, mais perdant au passage son urbanité et ses singularités.
Je ne peux terminer ce post en vous proposant pas une des émission de jean-Christophe VICTOR qui nous a offert pendant de nombreuses années l’émission « le dessous des cartes » sur ARTE TV. Cette vision de géographe nous éclaire également de la manière d’appréhender les questions de la ville de demain et sa « vivabilité » qui se réglera par son intelligence. L’épisode « Villes du futur » est daté du 06 septembre 2014.
Illustrations :
(1) Blade runner, futures Cities
(2) The walking City, archigram
(3) : Curse, mineCraft cities
Sources :
8 Cities That Show You What the Future Will Look Like | WIRED | 25 juin 2017
Our Future in Cities : How megacities are changing the map of the World | TED | Tarag Khanna | 17 mars 2017
Quatre scénarios pour la ville du futur | Usbek & Rica | 10 juillet 2017