La question des Smartcities est sur les lèvres de tous les spécialistes, nous pouvons même dire que c’est l’enjeu de tous les techniciens de la ville… mais lorsqu’on commence à parler d’exemples concrets et la décomposition de ces exemples pour rendre et percevoir l’enjeu accessible à tous, alors là, il n’y a plus personne.
La Smart-Urban-attitude est le plus souvent une posture de façade qui relève souvent de la cosmétologie, tellement le sujet est complexe. L’on se retrouve de la sorte, soit face à des techniciens ingénieurs hyper spécialisés dans leur domaine et éprouvant toutes les difficultés à faire comprendre le monde dans lequel ils travaillent. Vient ensuite les décideurs qui sont, par définition, plus généralistes et donc ne peuvent saisir qu’une partie de la compréhension du monde Smartiens. Enfin, reste les autres, techniciens (architectes, sociologues, …) ou simples habitants de la ville à qui on parle de la mutation urbaine des réseaux mais qui reste tout aussi abstraite que le fonctionnement du réseau d’égouttage séculaire de toute ville et pour lequel, en fin de compte, on y trouve que peu d’intérêt alors qu’il est vital.
Cela fait quelques mois que je recherchais un exemple simple et qui touche (ou touchera) tout le monde dans les années à venir et permettrait de comprendre le rôle des Smart systèmes dans les mutations urbaines et territoriales.

Voici quelques jours, un habitant de la banlieue bruxelloise me demanda comment fonctionnait le réseau d’électricité avec l’arrivé croissante des super-chargeurs pour les voitures électriques telle que la déjà célèbre Tesla. Une question qui fut, somme toute, assez simple et précise et qui pourtant, me confronta à un abîme de réponse dans un pays où des plans de gestion d’un potentiel black-out sont à l’étude pour l’hiver à venir. En effet, la question simple posée fut : « comment le réseau pourrait-il supporter la demande si tout le monde charge sa voiture ? ». Une question qui est loin bête d’être car au-delà de la capacité de production électrique, c’est la gestion du réseau qui pose question. Mais cette question est aussi une réelle opportunité de faire comprendre la complexité des réseaux et la plus-value de la gestion intelligente de ceux-ci : la Smarttitude.

Nos réseaux électriques ont été conçus à l’époque de la révolution industrielle où la demande était certes, bien inférieure à maintenant mais où du courant important devait être acheminé à n’importe quel endroit où une nouvelle industrie venait à s’installer et ce qui a nécessité un maillage complexe. Après la seconde guerre mondiale, les territoires ont profondément muté et la réorganisation des réseaux s’en suivi évidemment. D’abord, le zonage est apparu, rendant la demande en électricité moins hétérogène, tant à l’échelle du temps que de la localisation. Parallèlement à ce zonage sectoriel de la demande énergétique, l’extension urbaine a nécessité des coûts d’infrastructures exorbitants rendant les réseaux plus fragiles par leur croissance et leur étalement. La distance entre une station de distribution et le consommateur final n’a jamais été aussi éloignée. En Belgique, cette nouvelle cartographie des réseaux s’est également organisée autour de la localisation des pôles nucléaires de Tihange et Doel (60% de la production électrique belge). Toutefois, l’économie de la connaissance corroborée à l’émergence d’une conscience écologique a profondément modifié cette homogénéité systémique pour la rendre, à nouveau, beaucoup plus hétérogène. Et en complément, avec une demande qui s’accroit d’année en année : la société de la fée électricité est devenu réalité, l’anticipation écrite magnifiquement par Barjavel dans Ravage n’est plus lointaine.
L’architecture du réseau, aujourd’hui calquée sur une demande portée par les actes de planification des années 60, nécessite donc une nouvelle approche a défaut de stopper net l’émergence d’un des phénomènes les plus important du 21ème siècle : le transfert d’une économie de pétrole à une économie électrique. Si l’électricité est déjà à la portée de nos Smartphones qui consomment individuellement plus qu’un réfrigérateur (The Could begins With Coal, Mark P. Mills) , il ne faut pas oublier non plus l’enjeu des Data Center qui sont de véritables gouffres énergétiques (interview Bull’x : les cinq défis pour les supercalculateurs du futur) et correspondant déjà aujourd’hui à 2% de la consommation globale de la planète.
Ces Data Center sont aussi stratégiques que les missiles balistiques intercontinentaux de la guerre froide, ils seront donc toujours prioritaires face aux autres besoins. Il en va de la survie de notre modèle de société numérique. A cela s’ajoute les points d’entrées et de connections de chaque pays à l’internet (En Belgique, il y en a deux… à égale distance des deux pôles nucléaires belges) et tous les autres sous-systèmes qui permettent à un territoire de rester connecté. Toutefois, notre société actuelle offre un système en rhizome très complexe qui ne permet plus réellement de sectoriser les éléments. Tout est perméable et l’effet papillon est toujours possible avec des conséquences que personne n’en peut mesurer réellement aujourd’hui. Notre système régulé est devenu profondément chaotique.
Mais revenons-en à nos super-chargeurs… ces systèmes sont à installer dans toutes les maisons, quartiers, villes et fonctionnent généralement en 380 v pour éviter la mise en place de câblages surdimensionnés dans les installations existantes. Plusieurs questions se posent avec ces nouveaux systèmes qui font que vous n’irez plus à la station-service mais que la station-service viendra à vous :
- Tout d’abord et paradoxalement, le garage est devenu une option dans la construction des nouvelles habitations… or, ces systèmes nécessitent une relation directe entre le propriétaire et la voiture. Quid donc de vivre en ville sans garage/place de stationnement privée ? Cette première équation démontre que l’apparition ces systèmes vont poser la question de la nécessité réelle d’être propriétaire ou pas d’un véhicule au vu des nouvelles contraintes qui apparaissent. La ville intelligente peu gérer une partie de cette problématique par des applications telles que BePark qui permet de gérer les places de parkings à la demande et les optimiser. La Smarttitude permet donc d’optimaliser l’offre de m² d’habitation tout en permettant l’installation des places privatives de parkings sécurisées et connectées (selon la place où vous vous trouvez, votre facture sera débitée pour la recharge, ce qui se passe déjà avec les super chargeurs Tesla qui débitent à partir d’un SMS).
- Par corollaire, la question de la réduction drastique du parc automobile se pose avec ces nouveaux besoins. L’auto-partage devient un véritable enjeu qui ne pourra être gagné que grâce aux TIC et les systèmes applicatifs : où se trouve et quelle disponibilité de la voiture dont vous avez besoin à un temps t dans l’espace e.
- Une autre question qui se pose est liée au réseau lui-même. En effet, l’exemple des surcharges des réseaux liées à la production des panneaux solaires individuels démontre que les réseaux domestiques ramifiés (basse tension) et loin des sous-stations de distribution ne sont pas dimensionnés pour produire, transporter et distribuer en même temps. Le professeur Jean-Louis LILIEN (Ulg) le démontre très bien avec le réseau belge (ici) En outre, il parait difficile d’upgrader ces réseaux le plus souvent des lotissements et dont la faible densité ne permet pas un retour sur investissement suffisamment rapide. Pourtant, l’offre nouvelle est là et la demande aussi. Il faut donc mettre en place un système d’autorégulation sectorisé par quartier et selon les besoins. Ces systèmes existent, tel le système µEMS de Thoshiba . Ce système régule l’offre et la demande sur base d’un modèle définit préalablement (par exemple s’il y a beaucoup de panneaux photovoltaïque mais qu’il n’y a pas de stations de charge pour les véhicules électriques).
- L’évolution de ces systèmes est aussi liée à la question du décalage entre la charge (de nuit) et la production (de jour) si l’on part de l’hypothèse liant panneaux et les super chargeurs. Le système de Toshiba inclus également la possibilité de gestion des piles sur un délai relativement court mais suffisant pour la régulation. Certes, ce n’est pas optimal mais toutefois notons l’importance de ce principe : production- stockage- distribution à une micro échelle. C’est aussi et très certainement l’un des apprentissages de la gestion de la Smart Grid urbaine : une gestion au plus près des besoins. De fait, et revenant à cette connaissance de la périphérie bruxelloise, son questionnement sur les voitures électrique n’est pas le même que dans les profondeurs des Ardennes. La grille doit permettre la gestion de cette différenciation avec des usages parfois différents, par exemple la production hydroélectrique en Ardenne alors qu’elle est quasiment impossible dans le Brabant bruxellois.

La Smarttitude est essentielle ici sans quoi il est impossible à la fois de répondre à un enjeu écologique qui est la production local de courant électrique mais également le transfert de cette énergie vers un usage spécifique tel que la charge des VE (véhicules électriques). Pour atteindre cet objectif louable, sans les systèmes de contrôles et les logiciels de gestion en temps réel sur base de modèles et d’algorithmes, c’est impossible. Mais il ne faut pas oublier que cette problématique n’est qu’un des éléments du problème : les changements d’usages de la voitures et les nécessités de recharges à grande échelles vont poser la question d’un nouvel urbanisme de l’automobile : véhicules partagés, parkings partagés, etc.
La SmartCities n’est donc pas une fin en soi mais bien un mode de pensée qui permet de résoudre des problèmes centrés sur l’homme et son vécu et pour que celui-ci soit accompagné dans une transition énergétique (entre autre car c’est le sujet de cet article) majeure. La Smarttitude n’aura d’intérêt que si elle est étudiée dans un mode Bottom-Up puisque devant aussi répondre à des enjeux d’efficience locale. Malheureusement, force est de constater qu’aujourd’hui, seuls les spécialistes traitent de ces questions et que le simple quidam a les plus grandes difficultés à entrer dans ce monde hermétique. Pourtant, l’enjeu est tel que nous n’avons pas droit à l’erreur.