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mots-clés : Charleroi, urbanisme, transformation, stratégie
Chers lecteurs,
Avant toute chose, nous vous devons quelques petites explications. Ce blog avec ses articles est un passe-temps passionné. Celui de transférer un savoir accumulé et construit chaque jour un peut plus, à travers une expérience professionnelle de plus de 25 ans dans le monde professionnel et de 13 ans au sein des universités. Toutefois, ce temps est compté, et le début de cette année 2024 fut particulièrement chargée, pour ne pas dire intense. Je reprends donc aujourd’hui petit à petit mes marques et donc aussi mes articles avec, je vous le concède déjà, quelques aléas.
“Houston, we’ve got a problem”
La ville de Charleroi renait de ses cendres urbanistiques depuis 2008 avec le premier plan tiré « phénix ». Ce plan avait la vertu d’arrêter l’hémorragie centripète de Charleroi qui voyait toute sa force s’extraire du centre-ville vers, entre autres, l‘Aéropôle. Une politique issue d’une époque révolue où la voiture était reine et où certains pensaient toucher des doigts le rêve américain. Le symptôme le plus fréquent fut la démolition de bâtiments en cœur de ville pour y installer des parkings temporaires à étages. On était fier d’offrir au centre-ville des places de parkings… Le plus souvent vides. Une politique urbaine qui était accompagnée par un exode sans pareil des habitants de Charleroi vers sa périphérie, sud ou nord, soit vers les communes vertes de l’entre Sambre et Meuse ou le proche brabant wallon au nord via une nationale symbolique : la N5 reliant Bruxelles à Couvin, passant par Charleroi et ses différents périphériques pensés en même temps qu’un métro ambitieux, mais jamais construit au profit des routes. Une situation qui se confirme à travers les chiffres : entre 1992 et 2001, la ville a perdu 3.2% de sa population avec un solde migratoire de -8.32 pour 1.000 habitants en 1998. L’arrondissement accuse également le coup sauf la commune de Montigny-le-Tilleul avec un solde migratoire de 12,58/1.000 en 1997 ou encore 12.67/1.000 en 2005. Dans d’autres arrondissements, des communes comme Ham-sur-Heure voient leur solde migratoire dépasser les 15/1.000 en 1993 et depuis lors, une moyenne située entre 3.5 et 10/1.000. Nous faisons le même constat pour le taux d’accroissement de la population de l’entité de Genappe.

Pour redémarrer, je voulais vous faire part d’une réflexion qui se construit depuis de nombreux mois en analysant les réseaux sociaux actifs sur Charleroi… et comme vous le savez peut-être, l’analyse des réseaux sociaux est le cœur de mes recherches universitaires. Mon analyse croise donc les données statistiques , l’expérience de l’urbaniste et les données qualitatives de la plateforme Facebook.

Dans le même temps, on notera que toutes ces communes, sauf Charleroi, voient la population de moins de 20 ans s’éroder en continu depuis plus de trente ans… pendant que les plus de 65 ans progressent. En d’autres termes, si Charleroi se rajeunit et a très difficile à garder sa population, tandis que les communes périphériques continuent à recevoir des migrants carolos, mais de plus en plus vieux. Les données 2022 semblent montrer une tendance qui risque de se confirmer dans la décennie à venir : le solde migratoire est stable pour Charleroi (+0.13/1.000) alors que les communes périphériques de l’arrondissement sont en train de s’effondrer, particulièrement au sud avec un solde migratoire négatif de plus de 5%. Cette tendance reste à confirmer, mais elle est simplement démographique.
Alors, où est le problème ?
A cette question, nous répondons que les investissements de plus de 3 milliards d’euros et probablement plus encore si nous considérons l’année de référence 2008 devraient voir les prémices d’un renouveau de Charleroi. On notera que c’est bien le cas avec la création de nouveaux logements dans le district centre regroupant le cœur de ville et une partie plus large au nord de la première ceinture appelé « petit ring ». Dans le cadre de l’interpellation de la conseillère communale Anne-Sophie Deffense en 2023, l’échevin de l’état civil Mahmut Dogru précise que le district du centre, qui reprend les anciennes communes de Charleroi, Dampremy et Lodelinsart, avait gagné 1.156 habitants entre 2018 et 2022, soit une augmentation de 3% et que les autres districts vacillaient avec de grandes pertes et d’autres stables. Le centre-ville, tel que défini dans le cadre du schéma de structure de 2012, se porte donc assez bien et répond en partie aux enjeux de densification de la ville. Pourtant, la première couronne, pourtant proche du centre, perd des habitants. Cela a de quoi inquiéter, voilà le problème.
Un peu d’urbanisme
L’urbanisme, c’est penser la ville à 10 ou 20 ans minimum ; le plus souvent, les résultats se font ressentir après 20 ans. Depuis 2008 et le retournement de stratégie pour le renforcement du cœur de la ville, nous nous rapprochons petit à petit des premiers constats de résultats. La démographie en est une prémisse, il reste à concrétiser l’attractivité par l’arrivée des activités de services qui ont cruellement déserté la ville en son centre. Les nouveaux bureaux de Solidaris et du fond du logement sont un bon signe, mais ce ne sont que des délocalisations d’autres sites déjà localisés en centre-ville ou de simples extensions de services déjà existants. Les constructions en bout de boulevard Tirou sont plus fondamentales, ainsi que les futurs bureaux à côté d’A6K/E6K.
Toutefois, la question de l’habitat reste cruciale, d’autant que la ville de Charleroi ne sera jamais une ville dense au sens où le cœur de ville de Liège peut revendiquer, tout comme les autres grandes villes belges. Entre 2012 et 2020, deux visions se sont confrontées : la première était assez classique par la définition de couronnes urbaines. La seconde, plus sensible, tenait compte du manque de densité périphérique et concentrait la densité le long des axes de transports, entre autres, le tramway. Aujourd’hui, nous pensons que les deux étaient, si pas erronées, à minima incomplètes.


Think forward
La ville de Charleroi est atypique par sa construction à la fois relativement jeune à l’échelle des constructions des villes en Europe de l’Ouest. C’est une situation qui exige beaucoup d’inventivité pour « penser la ville de demain » qui ne sera ni Liège et son histoire séculaire, mais pas plus Louvain-la-Neuve, ville nouvelle. Nous sommes entre deux eaux et il faut comprendre dans quelles eaux nous allons nager pour arriver à redorer notre piscine. Pour comprendre les interactions entre ces différents modèles urbains qui font la spécificité de la ville, nous nous sommes intéressés aux échanges, parfois virulents, des habitants de Charleroi et sa périphérie (celle dont nous parlions plus haut). Ces échanges ont été analysés pendant plus de 2 ans sur la plateforme Facebook. Nous constatons plusieurs paradoxes :
- Un nombre important de personnes plutôt âgées (minimum 50 ans) qui critiquent de manière virulente les actions d’urbanisation menées en centre-ville, entre autres, la réduction de l’accès en voiture et l’apaisement des grands boulevards au profit des piétons ;
- Cette catégorie de population est constituée de deux groupes : le premier vit dans les 4 districts périphériques au centre-ville, le second vit dans les communes en dehors de l’arrondissement de Charleroi.
Ces deux groupes pourraient avoir un discours différent selon les caractéristiques d’habitat, pour l’un situé dans la commune de Charleroi avec une offre d’accessibilité au centre-ville relativement bonne et à moins de 3.5km du cœur. Pour l’autre, la relégation périphérique est considérée commune comme un abandon face aux contraintes d’accessibilité de plus en plus forte pour les déplacements automobiles alors que les transports en commun sont déficients. Ce qui nous interpelle, c’est que le ressentiment des habitants de la périphérie immédiate du cœur de ville est similaire à celle des habitants situés en dehors de l’arrondissement.
Une nouvelle hypothèse
De ce constat, nous élaborons une nouvelle hypothèse qui devrait accompagner les décisions dans les années à venir : si le territoire carolorégien justifie une urbanisation renforcée le long des axes de transport, il n’en demeure pas moins qu’une urbanisation concentrique fait sens et urbanité pour les habitants de l’ensemble de la ville. À défaut, l’urbanisation aujourd’hui ultra concentrée dans l’intra-ring génère une réaction de « laisser pour compte » d’une population qui, initialement, a décidé de rester ou de s’installer à Charleroi et non en périphérie plus lointaine. Par opposition (au sens littéral), ces habitants continuent aujourd’hui à quitte la ville, ce qui est bien évidemment contre-productif. Pour rappel, Charleroi a atteint à son apogée 225.000 habitants, il en manque aujourd’hui 22.000 pour faire le compte. Peut-être faudrait-il plutôt les faire habiter en première et deuxième couronne plutôt qu’au cœur de ville ?
Par ailleurs, cette nouvelle approche d’urbanisation pourrait être facilement enclenchée et favorisée par deux projets : le terril sacré français et le terril des hiercheuses. Pour rappel, ces deux projets sont dans les projets carolos, mais peine à se développer… car aujourd’hui, toutes les opportunités de logements doivent prioritairement se concentrer en cœur de ville. Une situation qui devrait être nuancée, voire, inversée. En effet, si on considère que le centre-ville sort hors-les-murs, de l’hôpital Marie Curie au nord jusqu’aux hiercheuses au sud, le cœur de ville pourrait judicieusement offrir plus facilement les aménités essentielles qui manquent aujourd’hui à Charleroi : une vie nocturne digne de ce nom. Pourquoi? Parce que la vie nocturne n’est pas compatible avec l’habitat. Nous avions déjà soulevé le problème de densification élargie du centre-ville dans notre article THE SUBURB & THE CAUSE OF THE HOUSING CRISIS IN THE U.S. And what about the Walloon Region? Publié le 22 février 2018. Il traitait de la difficulté aux USA de densifier les centres urbains américains, espace à « haute intensité » peu compatible avec l’habitat, mais par ailleurs, constatait le renforcement des premières couronnes (et aussi des banlieues lointaines dans le cadre du modèle américain, en particulier l’exemple de Detroit). Nous relevions d’ailleurs l’opportunité du site des Hiercheuses dans le cas concret de Charleroi où un spot de haute intensité serait venu renforcer l’habitat environnant.

Parallèlement à cette proposition, nous pensons que le renforcement du centre-ville avec des activités peu compatibles avec l’habitat, mais qui font le bonheur des fêtards et joyeux drilles renforcerait les stratégies de développement de l’hôtellerie, mais également des bureaux et commerces, sans oublier le développement de l’HORECA. Dans le district créatif, une plus forte mixité est possible avec les étudiants… Toutefois, une ville avec un cœur demain bouillant doit permettre de rentrer chez soit en première couronne. Il est donc aussi nécessaire aussi de développer/renforcer le maillage des transports en communs articulés autour des lignes de trams , parfois prolongées et aussi le BHNS. Seule la nouvelle pieuvre rayonnante de transports structurants et reliant le centre à la première et seconde couronne sera le gage d’une identité commune. Ces transports doivent, à terme, rouler 24h sur 24 le weekend et jusqu’à 1h du matin en semaine. Nous proposons également de combler un vide dans le maillage projeté actuellement en utilisant les infrastructures préexistantes des restes du métro léger vers Lodelinsart et redimensionnées pour réussir un maillage digne d’une métropole régionale. C’est un sujet que nous développerons dans un autre article.

Pour conclure

Si vous êtes arrivés à cette conclusion (comme lecteur) , c’est que votre intérêt est certain. Ce que nous proposons c’est une nouvelle approche spécifiquement liée à la morphologie carolorégienne qui nécessite de relier des stratégies TOD (Transit Oriented Deplacement) et qui s’appuie sur les axes de transports plus denses, et un modèle historique focalisant sur les couronnes d’ordre plutôt typologiques que morphologique. L’enjeu est de définitivement faire entrer Charleroi dans le 21e siècle, mais également de répondre aux attentes des habitants qui vivent Charleroi dans cette première couronne. Aujourd’hui, ils se sentent délaissés face à la débauche de moyens alloués au cœur de ville et se sentent littéralement exclus par le ring. Une exclusion qui fait échos avec ceux qui se sont sauvés de Charleroi et son arrondissement lorsque tout a été fait pour qu’ils s’en aillent. Certains ont peut-être envie de revenir à Charleroi dans un écrin de verdure et d’urbanité retrouvée. La première couronne peut jouer ce rôle, pour autant qu’elle soit desservie par les transports en commun. car s’ils reviennent à Charleroi c’est parce qu’ils auront dû faire un choix entre leurs voitures pour une habitation isolée.
Bonne et belle journée à vous.
Merci pour le suivi de notre blog-à-idées ou à réflexions, c’est toujours agréable d’être lu et vous êtes de plus en plus nombreux (+ de 800 par mois en, moyenne). N’hésitez pas à commenter, c’est aussi une place de débats. Et surtout, merci de partager si vous soutenez nos réflexions ou recherches.
Pascal SIMOENS Architecte, data Scientist, docteur en art de bâtir et urbanisme. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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