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mots-clés: Liverpool, Liverpool Waters, UNESCO, Trips, creative cities, creative class, urban devlopment, bilbao effect
Chers lecteurs,
La curation d’articles, c’est comme lire le journal : on ne lit pas tout et parfois on tombe sur des perles. Entredeux, on lit les titres et cela inspire. Ce fut le cas de la lecture de l’article du blog de Richard Layman (habitant de la capitale Washington, USA) qui tient un blog Rebuilding Place in The Urban Space très orientée sur la mobilité et la revitalisation urbaine « à l’américaine » c’est-à-dire « développement économique et urbain».

Contexte
Le 23 juillet 2021, il a publié un article sur la perte de titre de « ville UNESCO » de la ville de Liverpool. Ce qui nous a intéressé c’est son approche de la question relative aux enjeux urbains par rapport aux enjeux patrimoniaux et de rebranding des villes à travers ce prisme de lecture spécifique. Très clairement, la ville de Liverpool est une ville pauvre au passé extraordinaire, mais aujourd’hui au cœur atrophié. Seul l’axe central de la gare au centre commercial Liverpool One donne envie de s’y balader. Et les Beatles ou Frankie goes to Hollywood n’y changeront rien. En effet, comme souvent, le nerf de la guerre est l’argent (!) et pour des villes périphériques comme Liverpool (à quelques dizaines de kilomètres de la métropole de Manchester, deuxième pôle financier des iles britanniques) il est difficile de sortir la tête de l’eau.
Après avoir massivement investi des fonds publics et européens (si, si) sur la rénovation des docks centraux, la ville a laissé au privé l’opportunité de développer d’autres docks, héritage du cœur historique de la ville. C’est le projet Liverpool Waters qui se développe… Juste à côté et dans le prolongement du quai « Albert Dock ».
Liverpool Waters en chiffres :
- 2,3 km de quais
- 60 Hectares
- 50 milliards de livres sterling
- 1.7 millions de m²

Lost UNESCO
Le Pier Head est une section entre Liverpool One et les autres docks en pleine transformation : « Le site du patrimoine mondial de Liverpool s’étend officiellement d’Albert Dock, qui possède la plus grande collection de bâtiments classés Grade I au Royaume-Uni, le long de Pier Head et jusqu’à Stanley Dock. Il abrite les élégantes « trois grâces » édouardiennes : les bâtiments Royal Liver, Cunard et Port of Liverpool, qui définissent la vue depuis la Mersey depuis près d’un siècle. » (Source : The Guardian). Bref, c’est l’image que des milliers de migrants vers les USA ont regardée avant de traverser l’Atlantique.

La décision a été accueillie avec consternation par les dirigeants de la ville de Liverpool. Joanne Anderson, la maire de la ville, a déclaré qu’elle était « extrêmement déçue et inquiète » et que le conseil envisagerait de faire appel. Elle a déclaré que cela faisait une décennie que l’UNESCO n’avait pas visité la ville pour la dernière fois « pour la voir de ses propres yeux » et qu’il était « incompréhensible » que l’UNESCO préfère voir le quai Bramley-Moore comme une « terre en friche abandonnée » que comme un nouveau stade de football étincelant qui attirerait des centaines de milliers de visiteurs. Elle a ajouté : « Notre site du patrimoine mondial n’a jamais été en meilleur état, ayant bénéficié de centaines de millions de livres d’investissement dans des dizaines de bâtiments classés et dans le domaine public. »

Un paradigme complexe à maitriser
Dans les années 2000, Liverpool s’est lancée dans un processus de « bilbaofïcation » avec de nombreux projets commerciaux, culturels, etc. Elle devint capitale culturelle européenne en 2008. Ma visite de la ville en 2013 m’avait donné cette étrange impression d’un projet arrêté à mi-parcours… faute des sources financières publiques taries. Toutefois, le projet semble avoir donné suite avec une vaste rénovation des docks qui sont dédiés à un investissement quasi exclusivement privé. Toutefois cette ville, de la taille de Charleroi et au passé prestigieux mais déchu, peut-elle prétendre à autre chose ?
Les pouvoirs publics ont donc, semble-t-il, choisi leur camp : le redéploiement urbain plutôt que le prestige. Toutefois, nous allons mettre ici en exergue un paradigme complexe :
- La ville avait déposé sa candidature UNESCO pour devenir une ville attractive pour les classes créatives…
- … ces mêmes classes qui recherchent des localisations exceptionnelles, comme c’est le cas des docks donnant vue sur l’embouchure de la Mersey.
Cette équation est complexe pour des petites villes périphériques aux grandes métropoles. Elles doivent négocier leur place à coup de concession avec les investisseurs qui acceptent de déposer leurs projets dans ces villes-là. Et la goutte qui a fait déborder le vase UNESCO est ici le stade de Foot d’Everton (vidéo) qui s’installe sur un dock… rebouché. Toutefois, dans l’équation, le stade est aussi un outil de valorisation des logements, hôtels, commerces nécessaires à l’installation de la classe créative. Un choix cornélien que seuls les grandes Métro peuvent négocier réellement grâce à leur attractivité propre. Ici, la ville de Liverpool attend avec impatience des projets pour créer cette nouvelle attractivité.

La goutte de trop
Sur le papier, nous devons toutefois nous demander s’il ne vaut pas mieux pour le patrimoine, une nouvelle vie et affectation d’un délaissé qui ne peut amener finalement qu’à la ruine. La lasagne romaine démontre, si nécessaire, que le patrimoine n’est que l’accumulation d’histoires dans le temps de la ville et de ses habitants. Pourquoi donc l’UNESCO a-t-elle retiré son titre à la ville alors que le dock principal avec ses bâtiments n’est pas impacté directement par ces nouvelles constructions ?
À l’analyse plus détaillée des différents projets qui s’installent alentour des docks, on constate que c’est la forme même des docks qui est en train d’être modifiée et plus largement son paysage historique. Évidemment, cela pose question : si le patrimoine industriel est fait pour évoluer voire disparaitre, le paysage des docks est aussi constitutif de l’histoire. L’erreur a peut-être été de penser que conserver quelques bâtiments était plus important que de conserver la trame foncière et utilitaire du lieu. Il en résulte des grignotages continus des quais pour les reformater à de nouvelles emprises « utiles » et le rebouchage d’une darse complète pour la construction du nouveau stade aurait pu être la goutte d’eau de trop dans la Mersey.
Conclusion
Nous ne pensons pas que le « faire comme Bilbao » est un objectif urbain et de planification en soit. Pour Bilbao, ce fut un déclencheur de transformation d’image, s’appuyant toutefois sur un tissu industriel qui fait du Pays basque une des régions le plus riches d’Europe. Avec ou sans le Guggenheim, la ville est riche. Le musée est la cerise sur le gâteau, pas la recette. En revanche, nous nous interrogeons sur le processus « UNESCO ». S’il doit être rigoureux dans les modalités de préservation, il n’en reste pas moins qu’un patrimoine dans une ville en faillite est un patrimoine mort. Évidemment, la ville de Liverpool est probablement fautive sur certains points, mais lorsque les élus précisent que les membres de la commission n’y ont pas mis les pieds depuis plus de 10 ans… cela prend-il sens de juger ou non d’un retrait de la liste. Le patrimoine ne peut que s’inscrire dans un projet de ville s’il veut survivre.
Cette situation nous fait penser à une prise de décision de la classe créative chère à notre ami Richard Florida : intelligents, experts, à hauts revenus, faisant fi de l’intérêt collectif pour préférer des critères correspondant à leurs propres désidératas. Des valeurs absolues dignes des grandes villes mondiales dans lesquelles ils vivent très certainement et appliquées unilatéralement à des villes provinciales qui tentent de faire de leur mieux. Dans ces conditions, le patrimoine a de grands soucis à se faire dans des villes dont l’argent va de plus en plus s’orienter vers les enjeux climatiques et de moins en moins à des rénovations couteuses et impayables sans support privé.
Cet article a été rédigé le 26 juillet 2021, soit 5 jours après la décision de l’UNESCO.
Merci de votre attention et lecture.
Quelques sources complémentaires :
Everton stadium truth is clear as Liverpool stripped of World Heritage Status, Echo Liverpool, 21 juillet 2021
Unesco strips Liverpool of its world heritage status, The Guardian, 21 juillet 2021
Liverpool has been vandalising its waterfront for a decade – it’s shocking Unesco didn’t act sooner, The Guardian, 21 juillet 2021
From Concept to Creation : Liverpool Waters, Parc Marie, 1 Avril 2014
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.