Temps de lecture : 7 minutes
Mots clés : Bauhaus, green deal, UE, architecture, energy, sustainability, culture
Voilà, c’est dit ! Ursula von der Leyen, notre présidente européenne, semble vouloir mettre les architectes devant leurs responsabilités ! Ce mercredi 16 septembre 2020, le discours de l’union (vous constaterez que j’utilise les mêmes termes que pour les États-Unis afin de donner de l’importance aux faits) a porté sur le Green deal européen : presque 2.000 milliards d’euros prévus pour permettre à notre continent de devenir neutre en carbone en 2050. Dans ce contexte, 30% des émissions des gaz à effet de serre sont issus des bâtiments. L’enjeu de l’UE est de permettre la rénovation du parc immobilier pour l’équivalent de 2% du total bâti, soit 60% en 30ans. Deux fois plus vite que la vitesse normale de rénovation et renouvellement du bâti. Et sans nul doute, elle a raison de focaliser sur ces objectifs-là, c’est peut-être la meilleure manière pour l’Europe de rester pionnière dans quelque chose, le numérique étant déjà derrière nous ou plutôt devant : nous courrons après les Chinois et les Américains.
Ce qui pose plus de questions est la manière dont elle a présenté les choses en suggérant que ce train de rénovation devait également être une opportunité de créer un nouveau Bauhaus, courant architectural humaniste et rationnel qui s’inscrit dans une époque atypique de l’Europe : l’entre-deux-guerres. Ce qui m’étonne est l’enthousiasme des commentateurs face à cette proposition. En effet, la Présidente ne s’est pas exprimée plus que certaines généralités inspirées du mouvement initial et qui vient de fêter ses 100 ans. Pourtant, derrière cet art total qui était enseigné à Weimar puis Dessau, des enjeux culturels étaient assez fondamentaux.
La question est, est-ce encore pertinent aujourd’hui ?
A cette question, deux réponses sont ici proposées. La première en tire les idées généreuses de l’époque. La seconde tente de démontrer que nous ne sommes pas dans un processus similaire et qu’il serait même contre-productif.
Initialement, le Bauhaus développa une doxa intégrant l’ensemble des arts. S’il est paradoxal de prôner cette approche alors que l’UE, dans une volonté d’uniformisation de l’enseignement supérieur à travers toute l’Europe, a surtout segmenté les passerelles entre les arts ; force est de constater que l’intention est généreuse. En effet, la transformation du bâti est sans contexte importante et c’est une occasion de demander aux architectes « quelle est l’image de l’ « Europe », l’architecture étant un enjeu identitaire « à part entière ». Les États-Unis l’ont bien compris et depuis les années 1960, une commission définit la qualité de l’architecture publique, « les canons ». D’ailleurs, il n’est pas innocent que Trump ai demandé de transformer la charte architecturale actuelle pour imposer une nouvelle forme de néo Renaissance à la manière des classiques prônés par le prince Charles. Un acte démontrant que l’architecture est un acte politique, du moins pour les bâtiments publics.
New Urbanism américain
Finalement, la « vieille architecture » rassure nos sociétés et le Prince Charles avec son New Urbanism est le chantre de ce mouvement très présent dans les pays anglo-saxons. Toutefois, ce type d’architecture anglo-romantique d’un passé perdu se côtoyait aux USA jusqu’à l’arrivée de l’administration Trump. Le projet remarquable de Tom Mayne (Morphosis) montre, si nécessaire que l’architecture contemporaine avait droit de citer aux USA. Aujourd’hui, le néoclassicisme est de mise.
Aujourd’hui, précise Lyod Alter dans son article US government goes after green modern design, will make architecture classical again, que le gouvernement américain veut faire le contraire de l’UE, en proposant une ordonnance qui rendrait obligatoire la conception classique. Cathleen McGuigan, de l’Architectural Record, écrit que le projet d’ordonnance soutient que les pères fondateurs ont adopté les modèles classiques de l' »Athènes démocratique » et de la « Rome républicaine » pour les premiers bâtiments de la capitale parce que ce style symbolisait les « idéaux d’autonomie » de la nouvelle nation (peu importe, bien sûr, qu’il s’agisse du style dominant de l’époque).
La note préliminaire de l’administration américaine devrait remplacer la dernière note en date sur le « style architectural » datant de 1962… le rapport précise également que le bâtiment du FBI croqué par Morphosis (sans Francisco, 2007) et celui de la cour de justice dessinée du bureau Mack Scogin Merrill Elam Architects (Austin, 2012) n’ont aucun caractère. Sur ce point nous vous laissons seuls juges au regard des photos…
Alors que Daniel Patrick Moynihan a défini des lignes directrices pour l’architecture fédérale américaine en 1962, déclarant qu’un style officiel doit être évité et que la conception doit passer de la profession d’architecte au gouvernement et non l’inverse, l’administration actuelle va créer le Comité présidentiel pour la requalification de la beauté de l’architecture fédérale, afin de garantir que l’architecture se conforme aux styles classiques appropriés. Et Marion Smith, présidente de la National Civic Art Society dont le slogan emprunté à W. Churchill est « Nous façonnons les bâtiments et ensuite ils nous façonnent », précise encore que c’est ce que veut le peuple.
Un mouvement conservateur qui se décline aussi dans les bâtiments privés, particulièrement liés à la construction de logements et qui sévit à Los Angeles. Là encore les intentions sont louables, basées empiriquement sur les concepts du New Urbanism : alignement des façades, densité, création de rues piétonnes ou à circulation plus douce, larges trottoirs. C’est le cas des projets de Geoff’Palmer (Real Estate) travaillant toujours dans le style Renaissance style appartement dans le Downtown de Los Angeles. L’article Los Angeles’Fauxtalian Renaissnance : Oblitering Culture and Facilitating Gentrification publié dans The Urbanist le 05 mars 2020 conclu ceci : Geoff Palmer et Rick Caruso sont des exemples archétypaux de riches qui s’enrichissent et de pauvres qui s’appauvrissent, car tous deux avaient un point de vue sur la manière de vivre : être issus de familles dont la richesse est établie. Cet article suppute donc que le style architectural accompagne aussi les catégories d’habitants et dans le cas de L.A., les nouveaux logements de style Renaissance « Disney » dans le centre-ville fait remplacer un espace socialement mixte par des riches eux-mêmes attirés par ce type d’architecture. Une situation qui se retrouve également dans les villes et quartiers de banlieue anglaise ou américaine qui se sont fondés sur le new Urbanism porté par le Prince Charles.

L’affiche montre le siège du Bauhaus à Dessau, construit en 1927, et la voiture Adler Standard 8, identique à celle utilisée par Walter Gropius.
Or, le problème est que les rénovations devront concerner un peu les bâtiments publics, mais surtout les bâtiments privés. Dans ces derniers, faut-il vraiment développer un style architectural générique alors que la diversité des paysages et du bâti est l’une des richesses de l’Europe ? Certainement pas ! Laissons d’ailleurs aux architectes le soin de trouver la meilleure équation entre les constructions existantes et les besoins de rénovation énergétique de ceux-ci. J’ajouterai : localement. Nous ne pouvons aujourd’hui nous permettre d’imposer un style, soit-il développé par les architectes eux-mêmes et définis pour un continuent. Nous ne sommes pas dans les plaines du middle West américain mais plutôt dans un archipel de lieux. En outre, l’image de l’Europe est tellement dégradée que venir imposer un style issu des bonnes intentions de la Commission serait désastreux.
Certes, nus nous doutons que l’intention de la présidente n’était pas d’imposer un style, elle s’exprime d’ailleurs sur le besoin de le trouver, au sens commun culturel, mais l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Enfin, j’ai peur aussi que les architectes eux-mêmes s’emparent de cette suggestion pour se sentir pousser des ailes modernistes et de mauvais goûts entre les bâtiments forêts de Vincent Callebaut qui en parle beaucoup, mais n’en construit pas ou encore un néo modernisme engagé dans des formes devenues non contraignantes de l’architecture paramétrique. Ces architectures qui peuvent faire rêver et dont le risque est de plutôt dégoûter sir on en fait une surconsommation. L’enjeu climatique et énergétique d’aujourd’hui est la quantité de l’architecture, pas son style. Une qualité qui ne peut se démontrer que par sa contextualisation, sa localisation. Ursula merci pour cet engagement, chers confrères relevez le défi localement.
Belle journée à vous et merci de votre lecture.
Pour en lire plus :
Europe’s leaders want to create a ‘new Bauhaus’ as part of its Green Deal. But what does that even mean?, Fortune, 16 septembre 2020
What a Second Bauhaus Movement Means for Europe, CityLab, 2 octobre 2020
Le Bauhaus, Wikipedia, 05 octobre 2020
New Bauhaus, centre Pompidou, exposition 2019
EC president announces « new European Bauhaus » to help Europe move to a circular economy, Deezen, 21 septembre 2020
Le new Bauhaus de Chicago (1937), Métropolitiques, 4 mars 2019
Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Curator. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geeks invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.