
Mots clés : Commerce, Popup store, stratégie urbaine, aménités, ville créative
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En tant qu’urbaniste et architecte, j’ai été confronté au commerce en ville pendant de nombreuses années : de l’étude de quartiers commerçants, mais atypique comme la rue de Brabant à Bruxelles (Quartier oriental de Bruxelles derrière la gare du Nord) ou encore l’aménagement de tout le centre-ville de La Louvière ainsi que l’étude ou la construction de centres commerciaux à Charleroi, La Louvière, Châteauroux, Valence. Un travail mené juste au début de la transition numérique du commerce, alors qu’Amazon n’était encore qu’un sujet exotique, mais qui faisait déjà peur à tout le monde.
Et qu’en est-il aujourd’hui ? La réflexion semble complexe et les solutions toutes faites bonnes à jeter à la poubelle : une ville n’est pas une autre. Toutefois, après quelques tempêtes, certaines villes et surtout certains commerçants semblent avoir compris que plus rien n’était comme avant et que si le commerce de détail avait encore de l’avenir, il ne ressemblerait plus jamais à avant. Une mutation que je vais tenter de vous décrire avec l’aide de quelques acteurs du commerce dans le monde :
Initialement, le commerce s’organisait simplement, Vanessa Quirk (SideWalk Labs, Google Smart Cities) précise certains processus développent cette approche avec Mark Pilkington , commerçant à Londres précise son point de vue sur l’arrivée du e-commerce et la faute renvoyée systématiquement à Amazon : je pense que si l’on se contente de penser que c’est du commerce électronique, il manque une grande partie de la richesse des causes. Alors vous ne trouvez pas nécessairement les bonnes solutions.

Qu’exprime-t-il en ce sens ? À mon avis, le commerce électronique n’est qu’une partie d’un énorme bouleversement qui perturbe la chaîne d’approvisionnement qui existe depuis la révolution industrielle. Les usines pompaient de grandes quantités de marchandises à faible coût. Les marques ont créé la confiance dans ces produits, ont fait beaucoup de marketing et ont vendu aux détaillants. Les détaillants devaient avoir des espaces pour mettre tous ces produits afin que les consommateurs puissent venir les chercher. C’est le système que nous avions. Ce qui motive cette situation, c’est la nécessité pour les usines de pomper continuellement beaucoup de produits normalisés. Vous n’essayez pas vraiment de servir les consommateurs individuellement. Vous essayez de persuader les consommateurs d’acheter la même chose. Cette structure a également ajouté beaucoup de coûts au système. Si votre usine pouvait produire quelque chose à 10 $, la marque l’achetait à 10 $, puis le temps qu’elle fasse toute sa commercialisation et couvre le coût de sa force de vente, elle le vendait 30 $ au détaillant. Ensuite, le détaillant le mettait dans ses magasins et, pour couvrir le coût de ses magasins, il s’élevait à 90 $.
Avouons que décrit comme tel, c’est absurde. Toutefois, jusqu’à l’arrivée de l’internet (1993) puis du commerce en ligne (1998), le client pouvait s’en contenter, car captif. L’ouverture au monde a créé deux nouveaux paradigmes :
- Le premier concerne la diversité de l’offre combinée avec le renforcement de l’individualité au travers des outils numériques
- Le second est la compréhension par le consommateur de la production dans le village global mondial avec, parallèlement, le développement de l’économie chinoise.
Les consommateurs sont devenus des consommacteur. En même temps, les magasins se sont assez vite mobilisés face au commerce en ligne en créant leurs propres sites internet. Ils étaient souvent statiques, sans interaction alors que pendant ce temps-là, les véritables acteurs du commerce en ligne se développaient à la vitesse d’un TGV. Un paradoxe alors que les commerçants, avec leurs cartes de fidélités, leur connaissance des clients était les pionniers de la data analyse et bien avant l’arrivée des technologies numériques. M.P. précise d’ailleurs qu’aux États-Unis, Amazon possède maintenant près de la moitié du marché du commerce électronique, ce qui est extraordinaire. Je pense que les six plus grandes chaines de commerce du détail ont obtenu environ 11 pour cent ensemble. Ils ont donné leur marché à Amazon, car ils pensaient que le commerce électronique n’était qu’une petite chose à côté, alors que les entreprises de commerce étaient des entreprises technologiques. Et de compléter que le succès du commerce en ligne vient d’une culture différente. Ils bougeaient vite. Ils ont commencé à obtenir des données extraordinaires, puissantes et prédictives, ce qui leur a permis de commercialiser leurs produits auprès des consommateurs sur une base beaucoup plus personnalisée.

C’est ainsi que les commerces de détail ont, dans un premier temps, été évincés par le commerce en ligne qui n’avait plus besoin d’intermédiaires. Seuls les centres commerciaux semblaient épargnés, mais ce fut de courte durée. J’estime le basculement de la diminution de la rente des centres commerciaux alentour de 2012. Une année charnière en conséquence de la croise économique de 2008-2010 et aujourd’hui, il faut beaucoup de courage pour continuer à développer des centres commerciaux, hors des centres-ville et de grande dimension. Le temps n’est plus à l’expansion, mais bien à la conquête de territoires déjà achalandés.
Aujourd’hui, le commerce de détail est en mauvais état. Pourtant des pistes existent, mais ne sont pas pleinement exploitées par des commerçants « new generation ». Maintenant, il vous est loisible de tout acheter en ligne, y compris votre salade. Toutefois, où est le plaisir de cet acte qui est de rester chez soi, choisir sur un écran minuscule (votre smartphone) et attendre dans votre canapé l’arrivée de votre salade ? Non, la globalisation (complétée de la conscience écologique) a amené le consommateur à agir et vouloir tester. Tout le monde est capable aujourd’hui d’aller sur internet pour regarde une belle robe, une belle paire de baskets pour le footing. Mais l’expérience des sens disparait : il faut toucher, regarder, sentir …

J’explique toujours à mes étudiants que l’expérience d’une pizza à emporter que l’on va chercher chez le Pizziaolo et une pizza livrée n’est pas la même chose : la première vous donne envie parce que vous voyez la fabrication de votre pizza, la seconde vous donne à manger. C’est pourtant la même. P.M. précise également ce point de vue : Ma recommandation est que les détaillants transforment essentiellement leurs entreprises en entreprises de services et utilisent leurs canaux Internet pour fournir les marchandises. C’est un changement dans l’équilibre. Cela signifie que les commerces de détail peuvent offrir un nombre incalculable d’aménités autour des produits qu’ils vendent, mais le produit devient secondaire par rapport au service qui est offert avec.
Prenons deux exemples.
- Soit un commerce de détail de vêtements. L’enjeu d’aujourd’hui est de rendre service. Si vous avez besoin d’un chemisier bleu pour une soirée particulière, pourquoi ne pas offrir une location de ce chemisier d’une marque connue plutôt que de tenter de le vendre désespérément en solde depuis 3 ans ? Le client appréciera le service d’une marque qui est de qualité, dont le design lui convient parfaitement, mais qui n’aurait jamais eu envie d’acheter cette chemise. L’expérience devient un véritable service qui fidélise.
- Soit un commerce de fruits et légumes. Pourquoi ne pas offrir les recettes qui accompagnent les légumes de saison et l’arrivage sélectionné ? Tout cela complété par les produits complémentaires aux légumes vendus : viande, fromages, etc. qui peuvent être vendus par les commerçants de la rue ou du quartier, mais où l’offre collective peut être livrée à domicile dans la journée.
Souvent, dans ce type d’approche commercial, on oublie les 5 sens qui sont déterminants dans les achats impulsifs. Pourtant ces achats « coup de cœur » sont les plus efficaces pour fidéliser à long terme les consommateurs. Une démarche qui s’appuie sur l’expérience des popups store, ces magasins temporaires. Vanessa Quirck nous en parle dans son article Re-thinking Retail: When Pop-Ups Become Permanent. Des commerces qui semblent des pis-aller à la déshérence des rues commerciales, mais qui nous offrent plus que cela dans l’analyse des comportements des nouveaux consommateurs des centres-ville (les jeunes cadres dynamiques et riches). Il est d’ailleurs intéressant de constater de nouveaux acteurs tels que Sarah Filley qui est une artiste basée à Oakland et a créé une entreprise Popuphood (Los Angeles) dont l’objectif est de transférer les magasins éphémères en magasins pérennes. Les entreprises ne se contentent pas d’emménager dans un magasin et c’est fini, dit M. Filley. Ils ont besoin d’un soutien continu en matière de marketing et de développement économique. Ils ont besoin d’outils techniques pour grandir. Et ils ont vraiment besoin de se connecter à l’espace public dans les villes. Précisons ici que cette notion d’espace public se définit par l’idée d’un espace en commun, regroupant tous les services d’une ville, l’ensemble de ses aménités.

C’est donc la conjonction entre les services développés par la ville, la dynamique de service des commerçants qui se mettent en réseau, complété par l’expérience vécue dans l’espace urbain de qualité qui fait la réussite d’un projet commercial individuel. Nous retrouvons ici l’expression célèbre : think global act local. Penser vente en ligne, plateforme de distribution locale, mais à l’échelle d’une ville, avoir une présence partagée avec d’autres commerçants dans les PSN, définir ses propres services …
En d’autres termes, nous vous proposons pour conclure ce post une simulation imaginaire, mais pragmatique :
- La ville investit massivement dans la qualité des espaces publics de son centre-ville ;
- La ville favorise l’installation de commerces diversifiés par l’animation événementielle de ses quartiers commerçants qui sont de plus en plus identifiés/identitaires ;
- Les commerçants se développent par un mix d’offres locales et globales ;
- Les commerçants s’associent pour offrir des services complémentaires à leurs produits de base ;
- Les livraisons des commerçants sont centralisées dans un dock spécifique ;
- L’offre de livraison est élargie : taxis, vélo, par le client, par courrier …
- Les livraisons se font à vélos grâce au maillage urbain dense qui a été développé par la ville
- Les taxis diversifient leurs offres et services et résistent mieux aux offres Uberisées.
- Etc.
Un exemple certes, mais finalement, c’est l’ensemble des acteurs de la ville qui doivent définir la pertinence de leurs services selon leur territoire. Et c’est probablement là que la question principale va se poser dans les années à venir. Face aux ogres Amazon et Ali Baba, la définition du service proposé par un territoire urbain donné sera la clef de son redressement et sa prospérité. Alain Minc en parlait déjà en 1995 dans son livre « le nouveau moyen âge » où il définissait les habitants d’un lieu comme « une nouvelle forme de tribu ».
Pascal SIMOENS, architecte et urbaniste, Data Curator.
Quelques sources :
Re-thinking Retail: When Pop-Ups Become Permanent
The retail crisis is now a landlord crisis
Retail Therapy: Why the Retail Industry is Broken – and What Can Be Done to Fix It
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