
Les réseaux de rencontre en ligne changent les codes, mais pas nécessairement là on s’y attendait. Temps de lecture : 4 min
Selon l’étude menée par deux chercheurs, ce n’est pas moins d’un couple sur 3 qui se rencontrerait initialement via les réseaux sociaux, plus particulièrement de rencontre. Aujourd’hui, les rencontres en ligne constituent le deuxième moyen le plus répandu de rencontre pour les couples hétérosexuels. Pour les couples homosexuels, c’est de loin le plus populaire. Nous sommes loin du premier site Match (1995) avec aujourd’hui une sectorisation des sites entre les célibataires endurcis ou les couples d’un soir. Cette augmentation voit décroitre en même temps les rencontres par amis interposées. Toutes les études prénumériques montraient que les gens rencontraient leurs partenaires par des amis communs, dans des bars, au travail, dans des établissements d’enseignement, à l’église, par l’intermédiaire de leur famille, etc. Une première transformation majeure de notre société, sans nul doute, est la brisure de cette mécanique.
La seconde transformation est que les gens qui se rencontrent en ligne ont tendance à être de parfaits étrangers, expliquent les chercheurs responsables de l’étude, Josue Ortega de l’université d’Essex aux États-Unis et Philipp Hergovich de l’université de Vienne en Autriche, créant par là même des liens sociaux qui n’existaient pas auparavant. Les chercheurs ont construit des modélisations qui montrent que le développement de ce type de rencontre pourrait par exemple favoriser le développement du mariage mixte, mais également (sans que l’un soit lié à l’autre) favoriser à terme des mariages plus stables, notamment, comme le suggère la sociologue Nathalie Nadaud-Albertini pour Altantico, parce que ceux qui se rencontrent via ces outils se projettent ensemble dans un avenir commun, sans être influencés par le regard des autres. Et renvoie aux graphes de l’étude du MIT First Evidence That Online Dating Is Changing the Nature of Society (octobre 2017).

Ces études démontrent clairement que ces sites ont eu un impact énorme sur le comportement de rencontre. Mais maintenant, les premières études démontrent que leur effet est beaucoup plus profond : depuis plus de 50 ans, les chercheurs étudient la nature des réseaux qui relient les personnes les unes aux autres. Ces réseaux sociaux se révèlent avoir une propriété particulière. Un type de réseau évident relie chaque nœud à ses voisins les plus proches, selon un schéma semblable à un échiquier ou un grillage. Un autre type évident de réseau relie les nœuds au hasard. Mais les vrais réseaux sociaux ne ressemblent à aucun de ceux-ci. Au lieu de cela, les gens sont fortement connectés à un groupe relativement restreint de voisins et vaguement connectés à des personnes beaucoup plus éloignées. L’une de cette conséquence est l’augmentation aux États-Unis des mariages interraciaux. La question sur laquelle Ortega et Hergovich se penchent est de savoir comment cela change la diversité raciale de la société. Comprendre l’évolution du mariage interracial est un problème important, car les mariages mixtes sont largement considérés comme une mesure de la distance sociale dans nos sociétés, disent-ils, et Marie Berström tient à peu près le même discours, car déconnecté des lieux de vie, les sites de rencontres semblent désenclaver l’espace des rencontres amoureuses et sexuelles. Cela d’autant plus que, mettant en relation des individus sans interconnaissance préalable, ils suspendent la médiation des cercles de sociabilité. C’est pour cela que les sites de rencontre sont si sectorisés : homos, couples libertins, tromperie, adultes seuls et universitaires ou avec un haut niveau de vie ou encore, le plus connu et important, Tinder qui libère la libido et joue sur la sérendipité totale (Alicia Eler) comme le décrit son inventeur, Sean Rad, ayant expliqué que Tinder n’avait pas de point final ni de but. Il est ce que vous voulez qu’il soit. Pour gagner à Tinder, il faut rester insouciant, garder le plus de possibilités ouvertes.

La troisième transformation est la pérennité des couples issus des réseaux sociaux : Notre modèle prédit également que les mariages créés dans une société avec des rencontres en ligne ont tendance à être plus forts, en effet, des recherches sur la force du mariage ont permis de constater que les couples mariés qui se rencontraient en ligne présentaient des taux de rupture conjugale inférieurs à ceux des couples traditionnels.
Toutefois, l’article d’alternatives économiques montre également que les rencontres en ligne semblent n’avoir pas d’effet positif sur l’homogamie, c’est-à-dire qu’en ligne comme ailleurs, les rencontres amoureuses, loin de pouvoir être réduites à un simple marché, font appel à des codes, des rituels et des manières de faire qui continuent de différencier nettement les diverses catégories sociales.

En conclusion, les sites de rencontre sont en train de changer la société même si elle ne changera pas tous les codes de la société.
Sources :
- MIT : arxiv.org/abs/1709.10478 : La force des liens absents: intégration sociale via des rencontres en ligne, 10 octobre 2017
- Quand l’économie des réseaux n’explique pas les facteurs soft de la sociologie, 14 novembre 2017
- Même sur Internet on ne se rencontre pas au hasard, alternatives économiques, 14 février 2018
- Comment gagner à Tinder ? Internet actu, 27 janvier 2016
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