
Un article sur Medium/Sharing Lab, (basé à Copenhague, Sharing.Lab est une organisation à but non lucratif qui se concentre sur l’innovation urbaine. Nous sommes un réservoir THINK & DO habilitant les villes à l’ère numérique, NDLR) pose une belle question avec son article comment les espaces publics peuvent-ils agir contre le terrorisme et rester hospitaliers ?.
Si ces fameux blocs de béton sont devenus notre quotidien, on peut se demander ce que nous sacrifions pour arriver à être protégés. L’exemple du centre commercial de Rive gauche, à peine ouvert depuis 1 an à Charleroi (Belgique) est criant de vérité. Premièrement, ce centre commercial avait une porte-guillotine qui aurait dû s’ouvrir chaque matin pour rendre fluide l’espace intérieur et extérieur de la place verte. Selon les concepteurs, la rue est dans le centre commercial… soit ! mais cette porte ne s’est jamais levée, sauf le jour de l’inauguration pour faire belle figure. Ensuite, quelques semaines plus tard, sont venus des blocs en pierre, agrémentés de petits arbres maigrichons et entourant de toutes parts l’entrée. Sommes toutes, c’est sympa pour les enfants : plus besoin d’aller au Fast Food juste en face pour qu’ils puisent jouer au labyrinthe.


Comment l’explique l’auteure, les espaces publics servent des fonctions vitales dans nos villes et territoires. Au-delà de la simple fonction de déplacement, les rues sont des lieux de rencontres spontanées. Ce sont des environnements facilitant les interactions sociales. Toutefois, force doit nous poser question sur le comment à partir d’un moment où les éléments urbains traditionnels, ici l’espace ouvert, deviennent des labyrinthes !
Pire, c’est la passivité des acteurs et associations citoyennes face à ce constat. Tout le monde se dit bien que ces aménagements temporaires ne le sont plus et que la conception globale des espaces publics va profondément changer : avant on mettait des potelets pour interdire aux voitures de circuler sur les espaces piétons, aujourd’hui ce sont des murs de 1 mètre de haut pour interdire les méchants d’accéder aux mêmes espaces… mais le dommage collatéral c’est qu’aussi vous, moi, tout le monde devenons un terroriste potentiel.
Comme le précise Carole-Viaud dans son article Espaces publics démocratiques face au terrorisme (www.metropolitics.eu ), le préjudice collectif infligé par les attentats terroristes du vendredi 13 novembre 2015 à Paris résulte en partie du fait que les auteurs de ces attentats ont pris les spécificités des espaces publics urbains et les ont opposés à la ville: hospitalité, anonymat et présomption de confiance chez les autres. Toutes ces caractéristiques forment la base des échanges civils dans les espaces publics démocratiques.
Et au-delà, quel message anxiogène ces blocs plus ou moins design offrent-ils aux passants ? Offrant de manière indélébile une opportunité à notre conscient collectif de se rappeler que nous ne sommes pas en sécurité.
Notons toutefois quelques exemples d’hacking des « blocs » comme le montre les photos ci- dessous.



Toutefois, est-ce l’essentiel ? dans un monde où tout est à la portée de chacun depuis son smartphone, nous risquons un repli important du partage collectif et de la ségrégation des usages :
- Le partage collectif correspond à cette longue tradition de l’espace public créée à l’antiquité par l’agora grecque. Elle n’a de sens que si elle profite à tous et que tous sont présents. Malheureusement, aujourd’hui, les plus peureux ne viendront plus dans l’espace public, même s’il oublie que les terroristes pourraient frapper à tout moment. À l’analogie du centre commercial cité plus haut, ils resteront dans le centre commercial, venus en voiture dans le parking… sous la place !
- Un certain nombre de personnes sont entrées en résistance et le hacking des blocs de béton en est un exemple. Nombre de personnes continuent à se déplacer en ville et pour le plaisir de se rencontrer. Notons toutefois que c’est devenu une population spécifique, moins anxiogène, plus libre pour de multiples raisons. Ce n’est pas tout le monde.
La dichotomie entre ces deux positions entomologiques décrit les risques encourus dans le développement des espaces publics pour les années à venir. Peut-être que les designers des nouvelles lignes de mobilier urbain intègrent cette problématique (je n’en doute d’ailleurs pas), mais une tonne reste une tonne, aussi design soit-elle.
Il est paradoxal que le retour aux espaces sobres et ouverts fût le chantre du développement urbain des années 2000 à aujourd’hui, profitant du retour aux piétons partout. C’était l’Âge d’or des paysagistes et urbanistes : Bordeaux, Marseille, Flagey (Bruxelles), La Louvière (Belgique), etc. cette approche combinée aux nouvelles technologies dites intelligentes nous ouvrait un champ spatial nouveau pour les villes où l’agora grecque reprenait ses lettres de noblesse : les gens se rencontraient sur la place là où ils le désiraient et grâce à leurs smartphones. Plus besoin de Perron, de kiosque, de sculptures pour se donner rendez-vous. À la réponse t’es où ? (Maurizio FERRARIS).
Devons-nous nous attendre pour autant à un retour vers le futur des années 70 où l’espace piéton n’était plus que fonctionnel, le loisir dans les déplacements en voitures ? Peut-être pas, mais les concepteurs d’espaces publics doivent réfléchir à une nouvelle forme de conception sur l’espace, à la fois libre, mais sécurisé. En ce sens, un champ encore inexploré de protection numérique dans l’espace n’a pas été abordé. Sorte de pare-feu numérique aménagé à l’échelle de l’espace étudié et basé sur les systèmes de WiFi urbains. Les États-Unis utilisent déjà Twitter pour informer des grandes catastrophes, considérant ce système plus efficace que les systèmes d’informations traditionnels (SMS, etc.). Un travail à plus petite échelle, définissant des secteurs urbains contrôlés et analysés devrait nous permettre de définir à certains niveaux de risque imminent. Sur cette base, des systèmes physiques amovibles, complétés de systèmes d’information en temps réels pourraient nous aider à préserver l’agora qui reste un enjeu d’autant plus important que la sociologie des usages urbains est en pleine mutation eu égard à l’utilisation des outils connectés.
À mon sens, le challenge d’aujourd’hui se situe là.
Pascal SIMOENS
Urbaniste architecte & Data Scientist.