LES USA ONT CALCULÉ LE NOMBRE DE STATIONS DE RECHARGES QUI SONT NÉCESSAIRES POUR QUE TOUT LE MONDE ROULE EN VE CHEZ EUX. VOICI LE RÉSULTAT.

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mots-clés : Voiture, USA, VE, station, recharge, électrique, courant continu, DC

Chers lecteurs,

L’avantage du modèle des lobbys américains est le développement de think tank de qualité et capable de mettre des gens autour d’une table pour répondre à une question ambitieuse et complexe. C’est ce que relate Wired dans son article De combien de bornes de recharge pour véhicules électriques, les États-Unis ont-ils besoin pour remplacer totalement les stations-service ? (Arian Marshall) Publié le 27 mai 2024.

Les bases

source : Wired, mai 2024

Les auteurs du groupe Coltura, spécialisé dans les carburants alternatifs, se sont penchés sur la question et sur base des hypothèses suivantes :

  • Les États-Unis pourraient passer complètement aux véhicules électriques d’ici une vingtaine d’années. Lorsque cela se produira, ils auront besoin de beaucoup de chargeurs.
  • Les pionniers de la voiture électrique l’ont clairement montré, enquête après enquête : la recharge les fait un peu flipper.
  • La majorité des propriétaires américains actuels de véhicules électriques rechargent leur véhicule à la maison, mais plus de 20 % des ménages américains n’ont pas accès à un parking hors voirie régulier où ils peuvent se brancher pendant la nuit.
  • Le réseau de recharge public, quant à lui, peut être inégal et les conducteurs se plaignent du fait que les chargeurs ne sont pas toujours bien entretenus ni même fonctionnels.
  • Les États-Unis disposent actuellement de 188 600 ports de recharge publics et privés et de 67 900 bornes de recharge, selon les données collectées par le ministère américain de l’Énergie, des chiffres qui ont plus que doublé depuis 2020. 240 autres stations sont actuellement prévues. Il faut comparer cela à l’infrastructure pétrolière actuelle : le pays compte environ 145 000 stations-service, selon l’American Petroleum Institute.

Le résultat ?

Les USA devraient construire de plus en plus de chargeurs avant de parvenir à une électrification complète, un point qui, selon les experts, devrait arriver dans les années 2040. Cela correspond à plus d’1 million de chargeurs, soit 6x plus qu’aujourd’hui.

source : ibid.

L’approche optimiste des estimations à l’égard de la recharge publique s’explique en partie : la plupart des experts ne croient pas que la plupart des conducteurs remplaceront proprement leur habitude de station-service par une recharge publique. Au lieu de cela, les auteurs prévoient que 90 % des logements seront équipés d’un chargeur de VE et que 70 % de la demande de recharge des conducteurs sera satisfaite par la recharge à domicile. Dix pour cent supplémentaires pourraient être comblés au travail, car les gens se connectent sur leur lieu de travail. Selon Coltura, les 20 % restants de recharge se feront dans ces bornes de recharge publiques, dont environ 70 % seront des chargeurs rapides DC, actuellement les plus rapides disponibles.

En complément, on doit également intégrer le principe que les technologies de recharges vont s’améliorer dans le temps…

Et chez nous ?

Plusieurs éléments rendent la comparaison difficile, mais néanmoins intéressante. D’une part, le nombre de VE capables de se raccorder à une borne électrique personnelle est beaucoup moindre. En effet, en Europe, 80 % des personnes vivent… en zone urbaine qui est, par définition, moins propice au déploiement des bornes privées. Le nombre de bornes (publiques et privées) est de 19.567 en Belgique pour 73.524 prises (source Chargemap). Un chiffre qui a doublé du T4 (2022) à aujourd’hui. Contrairement aux USA, plus de la moitié sont des charges rapides (57,7 %). Par contre, la répartition entre la Flandre et la Wallonie est totalement déséquilibrée. En effet, 8909 points sont disponibles en Flandre contre… 1875 en Wallonie.

Le contexte wallon

La projection de la Wallonie en 2030 est une répartition des véhicules de la manière suivante :

source : région wallonne, 2023

En d’autres termes, 1 véhicule sur 4 serait en électrique, mais au vu des chiffres depuis 2021, révisés à la hausse en 2024, on sera probablement plus proche de 1 véhicule sur 3. La région mise sur les points de recherches maximums via le B2B, soit la capacité des entreprises à fournir de l’électricité à leurs travailleurs… soit une approche similaires aux USA , mais dans un contexte urbain fondamentalement différent et d’autant que la SDT vient de réduire à une peau de chagrin l’extension urbaine (c’est heureux ainsi). Précisons encore la directive européenne en cette matière : Directive 2014/94/UE « « infrastructure pour carburants alternatifs accessible au public », une infrastructure pour carburants alternatifs qui est située sur un site ou sur un site ouvert au grand public, que l’infrastructure pour carburants alternatifs soit située sur une propriété publique ou privée, que des limitations ou des conditions s’appliquent en termes d’accès au site ou au local et quelques soit les conditions d’utilisation applicables de l’infrastructure de carburants alternatifs ». L’aberration suit de près en précisant encore : « Les bornes B2B sont exclusivement des objectifs indicatifs au niveau des entreprises qui ne sont pas visés dans la règlementation européenne. L’objectif, en soi, et cohérent le nombre de véhicules de société ou de leasing immatriculés en Wallonie étant de 144.542 (en rappelant que les voitures de leasing ne sont pas immatriculées en fonction du domicile de leur propriétaire, mais du siège de la société de leasing) » (extrait du plan de déploiement des bornes de chargement en Wallonie, 21 février 23023). Pour information, la grande majorité des véhicules en Leasing en Belgique sont immatriculés en… Flandre, car l’avantage fiscal de l’immatriculation et des taxes de circulation contribuent à déplacer ces véhicules en Flandre.

Depuis ces ambitions de début 2023 et la délégation aux ADT (agences de développement territorial, le nouveau nom pour les intercommunales), pas grand-chose ne s’est passé… on regarde encore les voitures, de plus en plus nombreuses, passer de commune en commune. Cependant, le privé ne se fait pas attendre et le déploiement s’accélère. Bref, les pouvoirs publics sont à la traine.  En résumé, les objectifs indicatifs de déploiement sur le domaine public sont loin d’être atteints (2.000 points, c’est à dire « prises », en 2025 et 4.000 en 2026) alors que le privé propose dès aujourd’hui 1.875 points en Wallonie. D’ailleurs, il est assez symptomatique de comparer certaines villes :   

  • Brugge : 545 bornes pour… 129 à Mons
  • Gent : 1.323 bornes pour … 238 à Charleroi et 291 à Liège. (Source Charge map)

Mais revenons à notre analyse de base

le plan de secteur typique de Wallonie, entre Mons et Charleroi, très « coloré » avec de nombreuses extensions rurales (hachures rouges et blanches) à partir des noyaux villageois préexistants. Néanmoins, la majorité des habitants vivent en milieu densément construit et sans garage privé.

La comparaison entre les USA et l’Europe est intéressante, car elle pose des questions qui sont cruciales par rapport à l’aménagement du territoire. Premièrement, les Américains croient en la voiture électrique, c’est devenu aujourd’hui, non pas une alternative, mais bien l’inverse : il y a un changement de paradigme et le véhicule thermique sera, comme en Europe, un véhicule alternatif à la solution électrique. Toutefois, l’aménagement du territoire américain permet d’absorber les besoins en charge. C’est beaucoup moins vrai pour l’Europe et dans ces conditions, il est fondamental que les populations urbaines puissent se charger localement, près de chez eux. D’une part avec des charges publiques, l‘idéal étant des terrains publics mis à disposition d’opérateurs privés, d’autre part des charges obligatoires dans les immeubles à appartements qui sont dès aujourd’hui majoritaires en Wallonie et demain deviendront la norme avec l’obligation du « stop béton ».  Cela implique un engagement massif des acteurs publics qui devront traiter de ces questions.

Malheureusement, nous sommes loin de cette prise de conscient et nous risquons de voir le marché complètement phagocyté par le privé qui fera sa loi tarifaire. Certes, toutes les pompes à essence sont privées, mais les pompes à essence n’ont jamais été une mesure d’accompagnement des objectifs d’aménagement du territoire, ce qui est le cas dans le cadre de la transition de la mobilité thermique vers une mobilité électrique partagée.

Bonne et belle journée à vous.

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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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