PRENDRE UN PEU DE RECUL : LA RESTAURATION DE NOTRE-DAME DE PARIS EST-ELLE DIGNE DES GÉNÉRATIONS FUTURES ?

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mots-clés : patrimoine, restauration, Notre-Dame, Paris, Viollet-le-Duc, pastiche, architecture, contemporaine
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En bref : tout le monde s’est extasié sur la restauration de Notre-Dame de Paris en 5 ans et, surtout, la reconstruction à l’identique… mais à l’identique de quoi ? Explications didactiques

Chers lecteurs,

ceux qui connaissent mon parcours savent que j’ai travaillé plus de 15 ans dans le monde du patrimoine avec des restaurations dans diverses agences d’architecture et des projets, tels que les la restauration des remparts de Binche, des charpentes de l’abbaye de Bonne-Espérance, la salle Aegidium à Bruxelles, le relais Tour et Taxis du parlement bruxellois, le site minier de Wallers Arenberg (Site UNESCO), etc.

J’ai toujours considéré le patrimoine comme un élément caractéristique de la ville ou d’un paysage, un élément symbiotique avec le terreau local et qui fait socle de continuité. D’un autre côté, je suis un fervent défenseur de la charte de Venise (1964) et Nara (1994). Enfin, la question qui soutient l’ensemble de ces éléments est la beauté. Elle ne peut s’évaluer qu’aulne des enjeux politiques et culturels. À cet effet, je vous convie à lire notre précédent post sur les enjeux culturels de l’architecture face à la venue de Trump au pouvoir (1er mandat) et ses conséquences : Le style architectural a-t-il une incidence sociale ?, 2 avril 2020, voir une publication encore bien plus ancienne (2012 !) sur la question de l’architecture contemporaine comme émancipation politique : Architectus belgicanus (19 septembre 2012) traitant de la place de l’architecte dans les politiques et, donc culturelles.

Notre-Dame de Paris 

Notre but aujourd’hui est de vous donner l’envie de comprendre la gabegie de la restauration de la cathédrale parisienne, point de départ de toutes les nationales qui irriguent la France. Quelles ne furent pas les polémiques autour de sa reconstruction ? D’une part, de nombreux architectes un peu présomptueux se sont imaginés se faire une belle publicité en produisant quelques belles images de synthèses… que nous ne retranscrirons pas ici par décence. Dans ce fouillis d’idées parfois incongruant face à la valeur patrimoniale et surtout symbolique du bâtiment, quelques propositions sortirent du lot, tel le travail imaginé par l’artiste verrier fleurusien Bernard Titiaux, aidé par Dessin et Construction (bureau carolo) et mis en image par Asymétrie (Thuin).

Nous sélectionnons ce projet, car il répond à ce qui est démontré dans la vidéo que nous partageons : ce projet ne reconstituait pas l’existant, il gardait le paysage intact et le faisait évoluer, ici de manière très symbolique. C’est en fait ce qui s’est passé lors de la précédente restauration de Notre-Dame de Paris par Viollet-le-Duc et Jean-Baptiste Lassus. Le dernier fut désigné après concours en 1844 pour diriger le projet de restauration avec Viollet-le-Duc. Lassus était déjà reconnu pour ses travaux sur d’autres édifices gothiques, comme la Sainte-Chapelle, et présentait la caractéristique de « parcimonie architecturale » envers les anciens bâtiments, en d’autres termes, il n’enlevait rien ni ne rajoutait rien ! Après la mort de Lassus en 1857, Viollet-le-Duc poursuivit seul les travaux jusqu’à leur achèvement. Viollet-le-Duc est célèbre pour ses restaurations ambitieuses et créatives, parfois critiquées pour leur approche interprétative. Il a notamment conçu la flèche emblématique (détruite en 2019) et plusieurs éléments décoratifs, tout en rétablissant la cohérence stylistique de l’édifice. C’est sur ce dernier point que vient questionner la restauration de 2025.

Il y a des règles pour transformer le patrimoine et penser aux générations futures

Deux chartes de restauration se complètent : celle de Venise, la plus ancienne, et ensuite Nara, qui permit d’intégrer des approches patrimoniales moins occidentales et donc plus universelles.

La Charte de Venise, adoptée en 1964 par le Conseil international des monuments et des sites (ICOMOS), est un document fondateur pour la conservation et la restauration des monuments et des sites historiques. Elle établit des principes universels visant à préserver l’authenticité et l’intégrité des patrimoines culturels. La charte insiste sur le respect des matériaux et des techniques d’origine, encourage des interventions minimales et réversibles, et proscrit toute reconstruction spéculative. Elle valorise également l’étude approfondie des monuments avant toute intervention, l’utilisation de méthodes scientifiques, et l’intégration harmonieuse des restaurations dans le cadre historique. Enfin, la Charte souligne l’importance de la collaboration internationale et de la sensibilisation du public pour garantir la préservation du patrimoine à long terme.

La Charte de Nara sur l’authenticité, adoptée en 1994 au Japon, est un document complémentaire à la Charte de Venise, conçu pour répondre aux défis de la diversité culturelle dans la conservation du patrimoine. Elle met l’accent sur l’importance de l’authenticité dans l’évaluation et la préservation des biens culturels, tout en reconnaissant que la perception de cette authenticité varie selon les contextes culturels, les traditions et les valeurs locales. La charte insiste sur l’intégration des communautés locales dans les processus de conservation et souligne la nécessité d’adopter une approche multidisciplinaire pour respecter les aspects tangibles et intangibles des patrimoines. Elle appelle à une compréhension globale des patrimoines culturels, en tenant compte des dimensions spirituelles, sociales et historiques, tout en favorisant un dialogue international basé sur la reconnaissance et le respect des diversités. Cette charte est inspirée du temple de Nara au Japon, où des ouvriers construisent depuis des siècles de temples en bois, chaque fois en travaillant sur base de méthodes de constructions séculaires et repérées.

Notre-Dame de Paris a été profondément transformée par Viollet-le-Duc au 19e siècle, bien loin de la simple flèche. En effet, les deux tours, les arcs-boutants ou encore des annexes plus anciennes ont été démolis/reconstruites/transformées au non de l’esthétique. Mieux, la flèche est mise en œuvre avec des techniques totalement nouvelles et où Viollet-le-Duc précisera que « si les ouvriers maçons du moyen-âge avaient eu la possibilité de cette technique, ils l’auraient utilisée ». Que dire aujourd’hui alors du béton et de l’acier imprimé en 3D ?

Bref, la cathédrale restaurée est un … fake du 19e siècle. Pourtant, personne n’osa s’insurger sur la reconstruction à l’identique… mais quel identique. Celui réel du 13e et 14e siècle ou bien celui du 19e siècle. Pour un bâtiment médiéval, la réponse semble tout indiquée et pourtant, ce fut la seconde solution sélectionnée.

Pourquoi reconstruire un « fake » connu de tous ?

C’est là que la politique et la culture s’insinuent dans le débat patrimonial. D’abord le politique où le président Emmanuel Macron ne pouvait accepter qu’une reconstruction rapide. Il a gagné son pari à coup de sacrifices importants sur la démarche scientifique. Ensuite, le « peuple » vindicatif voulait absolument retrouver de la stabilité après les attentats et, globalement, un monde de plus insécure et incertain. Il en découle la conjonction de différents « moments » qui font converger vers un choix, certes discutable, mais en pleine conjonction entre le politique et le peuple. Le reste est discussion entre experts.

Reste la « beauté » qui est en somme l’addition de l’ensemble des paramètres. Force est de constater que la beauté retrouvée de la Notre-Dame de Victor Hugo a été retrouvée. Le Bossu s’en souviendra. Toutefois, cette beauté créera-t-elle un intérêt pour les générations futures ? Une cathédrale comme les autres (il y en a beaucoup en France et ailleurs) qui aurait pu devenir un débat culturel important avec une intervention contemporaine. Visiblement le conservatisme l’a remportée, mais celui-ci n’a jamais permis de conserver les bâtiments à travers les âges. Seule l’évolution du patrimoine dans le temps pour répondre à la fois aux nouveaux usages, mais également aux nouvelles attentes culturelles est un gage de durabilité. Depuis le 12e siècle, Notre-Dame de Paris a subi de nombreuses évolutions : la construction de Notre-Dame de Paris a commencé en 1163 sous le règne de Louis VII, et s’est poursuivie sur une période d’environ 200 ans, s’achevant vers 1345.

  • 1163 : Pose de la première pierre par l’évêque de Paris, Maurice de Sully. La construction commence avec le chœur.
  • Fin du XIIᵉ siècle : Achèvement du chœur et de l’abside.
  • Début du XIIIᵉ siècle : Construction de la nef et des premières travées.
  • 1220-1240 : Élévation des deux tours de la façade ouest.
  • Vers 1345 : Travaux finaux, notamment sur les chapelles et les détails architecturaux.

Après 1345, date à laquelle la construction principale de Notre-Dame de Paris fut achevée, la cathédrale a continué à évoluer au fil des siècles, subissant diverses modifications, restaurations et événements historiques. Entre le 14e et le 15e, quelques ajouts mineurs, comme des chapelles latérales, et des ornements ont été réalisés.

Ensuite, et jusqu’à la Révolution, plusieurs statues et éléments décoratifs sont endommagés. Sous Louis XIV et Louis XV (17ᵉ – 18e siècles), des rénovations modifient l’intérieur, en particulier le chœur, pour correspondre au style baroque : remplacement des vitraux médiévaux par du verre clair, et réaménagement des autels. À la Révolution, elle subit de lourds dégâts : elle est pillée, de nombreux statues et trésors sont détruits ou fondus. Elle est utilisée comme entrepôt, puis fermée au culte. Après Viollet-le-Duc, la Cathédrale survit aux deux guerres, mais est constamment consolidée. Enfin, le 15 avril 2019, vient l’incendie fatidique et nous connaissons la suite de l’histoire.

En d’autres termes, depuis son édification, la cathédrale est un chantier perpétuel avec de nombreuses modifications. La restauration actuelle est donc une exception qui en dit beaucoup sur l’époque.

Finalement, si cette publication  vous pose des questions, nous vous invitons grandement à visionner la vidéo d’architekton -histoires d’architectures qui a, par ailleurs, une magnifique chaine YouTube

Bonne et belle journée à vous.

Pour complément : Pourquoi la restauration de NOTRE-DAME est problématique

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Pascal SIMOENS Ph.D, Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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4 commentaires

  1. Cette publication pose effectivement plusieurs questions:

    1 – N’est-il pas incongruent ici de s’interdire la publicité pour y céder immédiatement après ?

    Une seule proposition est sélectionnée sans hasard sur ce qu’elle a de commun avec le sélectionneur. Ce qui n’était pas autorisé « par décence », le serait par chauvinisme wallon ?

    2 – Cette sélection répond-elle vraiment à une démonstration de la vidéo partagée ?

    Le youtubeur émet une hypothèse (30:55 « Peut-être ») sans faire démonstration d’une vérité absolue. Mais pour lui, « aucune n’est plus pertinente qu’une autre, tout dépend de ce qu’on veut faire dire aux monuments » (29:33).

    3 – Faire dire à Notre-Dame quelque chose sur les attentats ? Post hoc ergo propter hoc ?

    Le cas échéant, difficile d’imaginer en quoi une restauration pourrait venger un « peuple vindicatif ». D’ailleurs, dans la vidéo, la restauration n’est pas un instrument de vengeance mais de résilience (29:48).

    4 – La beauté est-elle l’addition d’un ensemble de paramètres ? A-t-elle une cause ?

    Autant supposer une recette universelle à reproduire pour administrer la beauté à volonté. Chez Paul Valéry, « La définition du Beau est facile : il est ce qui désespère. Mais il faut bénir ce genre de désespoir qui vous détrompe, vous éclaire, […] vous secourt. »

    5 – En ce sens, désespére-t-on de Notre-Dame ? Nous détrompe-t-elle ? Nous éclaire-t-elle ? Nous secourt-elle ?

    À mon goût, il y a moins à espérer de Notre-Dame de Rouen, en particulier chez Monet. Ce qui la sublime davantage que Paris, à moins que ce ne soit par chauvinisme normand 😉

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    1. bonjour !
      pour la beauté et ses usages, pensées et, osons « valeurs », je conseille Panofski. les allemands ont cela d’étonnant qu’ils ont bien plus réfléchi sur cette question et ses conséquences que les latin et singulièrement les français… que je m’explique peut être à travers l’idée d’une beauté intouchable.

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    2. Bonjour,

      Y réfléchir plus est-ce y réfléchir mieux ? À bien y réfléchir, n’est-ce pas trop y réfléchir ? Une américaine écrit en bon français :

      « Beauty — be not caused — It Is —
      Chase it, and it ceases —
      Chase it not, and it abides »

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