Temps de lecture : 5 minutes
mots-clés : Hainaut, Instituts de recherche, UMONS, ULB, ULiège, UCL, Condorcet, territorialité, plateforme de recherche
Chers lecteurs,
Il y a parfois des moments, des croisements qui font réfléchir. Aujourd’hui, je lisais un article du Monde, Ce que la recherche apprend aux villes (Laetitia Van Eechkout, 10 octobre 2023). Étonnamment, cet article est classifié dans la section « villes intelligente, smart Cities pour les intimes). En approfondissant l’analyse, l’autrice propose une trilogie : Ce que la « smart city » apprend aux villes, Ce que la recherche apprend aux villes, ce que la participation citoyenne apprend aux villes. Un triptyque qui me parle puisque mes recherches et thèse traitent aussi de celui-ci !

Nous nous arrêterons aujourd’hui sur la « recherche » :
Plus particulièrement, nous tenons ici à aborder la question de la recherche urbaine dans le Hainaut. La raison est simple : à partir de l’année académique 2024-2025, la ville de Charleroi avec un nouveau campus urbain va proposer sur la tutelle scientifique de l’UMONS et de l’ULB un master 120 crédits, c’est-à-dire que des étudiants désirant traiter de la question urbaine en Hainaut pourront suivre des cours et obtenir un diplôme de Master sans se déplacer jusqu’à Bruxelles, Liège ou Louvain-la-Neuve.
J’ai souvenir que lorsque j’ai terminé ma formation d’architecte à Mons, je me suis posé la question de suivre des cours d’urbanisme à Bruxelles ou Liège. Pour une personne qui travaillait déjà à temps plein, ce fut laborieux de se rendre à Bruxelles quelques fois par semaine… un sacrifice de longue haleine pendant 4 ans au lieu de 2.
C’est donc une opportunité exceptionnelle qui s’ouvre au Hainaut pour renforcer le développement des connaissances grâce à une formation enfin dispensée dans les règles (selon les critères européens) en partie francophone de Belgique. ce sera également le cas à Liège, Bruxelles et Louvain-la-neuve. Ce Master va également ouvrir des portes à d’autres formations que celle d’architectes. En effet, l’architecture et l’urbanisme sont de faux bons amis, plus amants que mariés. Certes, ces deux domaines sont naturellement liés, tels frère et sœur, mais l’approche méthodologique n’a rien à voir.
D’un côté, les architectes commencent leur métier avec un crayon (ou un stylet !) à la main et terminent leur mission avec un tableau Excel. De l’autre côté, l’urbaniste travaille inversement : il commence avec un tableau de données, les synthétise, et finalement prend une carte pour dessiner; voire, n’a pas de cartes, car l’urbanisme aujourd’hui couvre des questions larges dans un monde compliqué ne nécessitant pas toujours des réponses cartographiées alors que l’architecte doit de plus en plus faire appel à des outils numériques où les calculs et données sont centrales pour réduire l’empreinte carbone de ses bâtiments. A cet instant, vous aurez compris que les deux mondes se croisent, tels des amants ; mais on ne vit pas avec son amant !
L’urbanisme doit donc avoir sa propre autonomie et la diversité des profils étudiants sera le gage d’une augmentation des compétences de recherche et d ‘opérationnalité dans le domaine : sociologue, agents immobiliers, ingénieurs, architectes, juristes… le panel est large arrivé en fin de bachelier, si on a la volonté de se préoccuper de la ville et des territoires.
L’enseignement ne peut se développer que grâce à la recherche
Les premières années carolo hennuyères s’annoncent donc passionnantes. Toutefois, il est nécessaire de penser déjà à la pérennité du développement de ce master dans la plus grande ville wallonne et la seconde agglomération urbaine. Plus largement, une université ne peut se limiter à un petit territoire et doit donc se mettre au service de la société dans son ensemble, ici le Hainaut.
YAKA! me direz-vous. Eh bien non ! Le financement actuel des études d’aménagement du territoire en Wallonie s’articule autour de la CPDT (Conférence Permanente du Développement du Territoire). C’est une plate-forme multidisciplinaire de recherches, de formations et d’échanges créée par le Gouvernement wallon en 1998. Elle est composée de 3 Instituts : IGEAT (ULB), LEPUR (ULiège) et CREAT (UCL)… Un outil remarquable qui s’appuie sur l’histoire des universités francophones et en 1998 il n’y avait pas de formation universitaire traitant de l’aménagement du territoire en Hainaut.
La CPDT joue un rôle déterminant dans les orientations territoriales pour la Wallonie, l’exemple de la mise en place du projet de nouveau schéma de développement en territoire wallon, présenté en enquête publique en juin 2023 en est la preuve. Nous en avions fait l’analyse critique dans les posts suivants :
- Analyse et enjeux globaux de mobilité liés aux transformations du territoire (2025-2050)
- Analyse du territoire de Mons Borinage
- Région du centre
- Charleroi Métropole
Aujourd’hui, la donne a changé, mais les prés carrés sont bien installés et les budgets ne sont pas extensibles : le reste de la Wallonie et Bruxelles voient d’un œil inquiet la présence aujourd’hui d’une formation en urbanisme en Hainaut. Faudra-t-il se partager le fromage déjà si maigre ?

Certains précisent encore, qu’il ne faille pas faire de la recherche à Charleroi pour chercher sur Charleroi ou Mons ou Chimay. Sur le principe, ils ont raison, mais aujourd’hui, l’urbanisme et la recherche sous toutes leurs formes sont exclus du jeu de la recherche…hennuyère, car ils ne sont pas dans « le cercle ». Cela a des impacts sur les études où le catalogue de la CPDT démontre que sur les thématiques générales, le centre de gravité des recherches-actions sont plus à l’est, Nord-est. Et dans ce cas, personne ne doit en vouloir aux chercheurs : on s’inspire de ce qu’on vit, de son réseau local, bref on travaille près de chez soi tout en réfléchissant plus largement aux problématiques soulevées par le GW et ses administrations. Rappelez-vous cette expression très actuelle : Think Global , act Local ! Il est donc souvent plus question de communes comme Andenne, Huy, Verviers, Hannut, Villers-la-Ville, Ottignies, Tubize que d’Erquelinnes, Saint-Ghislain, Chimay, ou Fleurus ! C’est ce que j’appelle l’effet de sédentairisation. Quant à l’IGEAT (GESTe) son pré carré est Bruxellois et le brabant wallon, bref la métropole bruxelloise et ses dépendances territoriales… localisation et sédentarisation, vous dis-je.
Penser à un territoire de plus de 1.200.000 d’habitants
Le Hainaut a des caractéristiques similaires à la vallée industrielle de la Meuse ou de la Vesdre, mais est aussi très spécifique. Le territoire du Hainaut concentre plus de 80% de la population d’une la seule agglomération multipolaire continue en Belgique : 1.000.000 d’habitants en symbiose territoriale depuis Saint-Ghislain jusqu’à Sambreville. C’est aussi un territoire transfrontalier par essence . La carte des ruptures de transports publics qui est présentée ci-dessous le précise.

Charleroi est également la métropole wallonne dont la zone d’influence pendulaire est la plus importance avec la botte du Hainaut qui vit avec la métropole par cathéter. Une situation due à l’effet de la vallée charbonnière qui longe, au sud, un espace rural gigantesque de plus de 350 km de profondeur (jusqu’à Laon, Reims, Troyes, Saint-Quentin, Charleville-Mézières). Par ailleurs, d’autres phénomènes urbains telles que l’impact des modèles de villes créatives dont Mons et Charleroi s’inspirent très largement n’ont jamais été identifiés et traités sur les villes wallonnes dont Charleroi est en pointe dans ce domaine. Enfin, le Hainaut dépend aussi des grandes métropoles et villes globales qui la jouxte : Bruxelles au Nord et Lille à l’ouest alors que Liège EST la métropole régionale du MAAHL.
Nous nous arrêtons d’énoncer les particularités du Hainaut. Elle semble à ce stable suffisante pour plébisciter la création d’un Institut d’urbanisme spécifique au Hainaut.
Ne pas retraduire l’existant, transcender l’avenir
Notre réflexion se veut aussi différente que celles qui ont mis en place les Instituts des autres universités. Nous pensons que le principe de plateforme territoriale, regroupant à la fois les universités actives en Hainaut, mais aussi les hautes écoles, est fondamental. Non seulement, il est question d’urbanisme, mais aussi de compétences : santé, environnement, agriculture, patrimoine, formation, industrie 4.0. Les territoires aujourd’hui sont des territoires multiscalaires et en réseaux. L’intelligence collective fonctionne également de cette manière.

La création d’un nouveau Institut MESH (ne cherchez pas les acronymes, il n’y en a pas) et avec un petit clin d’œil au « H » du Hainaut.
Cet institut est fon-da-men-tal pour développer la recherche, mais aussi pour asseoir, par un appui institutionnel, l’enseignement de la culture du développement territorial réflexif et non seulement opérationnel ou d’opportunisme (les intercommunales) dans un espace qui peine toujours à se relever économiquement et socialement. On en viendrait d’ailleurs à se demander si ce manque de culture urbaine n’est pas l’une des raisons de ce retard comparé à d’autres villes et agglomérations comme Lille (et le projet Euralille qui a transformé définitivement la métropole à partir de 1990, un projet pensé par Pierre Maurroy au début des années 1980…), Reims et son renouvellement urbain par le Tram et la formation ou encore plus proches : Liège.
Vous aurez compris, ce post n’est pas un post traditionnel par son fond, c’est un espoir par, à la fois un expert du territoire mais aussi un hennuyer carolo-centro-montois. J’ai souvent hésité à le transcrire et le publier. Toutefois et à part quelques exceptions rencontrées dans mon quotidien, je suis toujours perplexe par le manque de culture urbaine dans le Hainaut contrairement à Bruxelles ou Liège. Je reste intimement convaincu que cela est dû au manque d’études d’urbanisme de réflexion (en amont des processus opérationnels tels les plans de mobilité p.e.) sur le territoire hennuyer. Je vous ai expliqué les raisons de ce manque… mais il n’est jamais trop tard pour bien faire.
Bonne et belle journée à vous.
Merci pour le suivi de notre blog-à-idées ou à réflexions, c’est toujours agréable d’être lu et vous êtes de plus en plus nombreux (+ de 1 000 par mois en, moyenne). N’hésitez pas à commenter, c’est aussi une place de débats. Et surtout, merci de partager ces articles si vous soutenez nos réflexions ou recherches.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
This post is licensed under a Creative Commons Attribution-NonCommercial 4.0 International License.
