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Mots clés : Carbon free, Google, strategy, 2030, entropie, entropy, Société, développement durable, données, data.
Cette question est particulièrement d’actualité en cette période de discussions du développement de la 5G et la question pourrait s’arrêter là si votre réflexion s’arrête à une lecture linéaire du problème. En effet, le principe de la seconde loi de C. Shannon (1949) sur l’information, recèle en son sein un paradoxe : plus nous communiquons, plus nous créons du bruit et plus de dispersons de l’énergie non récupérable. Alors que le numérique devrait nous aider à mieux communiquer, c’est en fait l’effet inverse au regard de l’explosion des données. À cet effet, rappelons-nous l’arrivée du premier data center de Google à Saint-Ghislain en 2007, premier en Europe… depuis lors, le data center de belge a triplé de capacité et 4 autres data centers ont été construits, respectivement en Irlande, Danemark et Finlande et Pays-Bas. Google cherche encore d’autres sites. Dans le même ordre d’idées, si l’ensemble des données regroupant la connaissance de l’humanité correspondait à un cube de 1 mètre de côté, jusqu’en 2003, nous aurions pu nous asseoir dessus et prendre un verre… il y en avait 1 seul. Depuis lors et aujourd’hui, nous produisons un volume d’1m³ tous les 3 jours, soit plus de 120 cubes par an… le monolithe de 2001 l’odyssée de l’espace.
En soit, cette production d’information pose une question plus large de l’entropie sociétale. J ; Rifkin, le chantre de la 3e révolution industrielle liée à la communication, précise que toutes les sociétés évoluées ont produit plus d’entropie que la précédente. Notre civilisation industrielle produit plus d’information qu’à la Renaissance, elle-même plus entropique que le moyen-âge, lui-même plus entropique que la civilisation égyptienne ou romaine, etc. L’information est la clef de cette analyse et acceptions le fait que la production d’informations est aujourd’hui intrinsèquement liée aux questions numériques. Ainsi, se pose à nous la question suivante : après la société industrielle forte consommatrice de carbone (pétrole), nous sommes passés à une société de la communication qui nécessite encore plus d’énergie pour se développer.

Est-ce vraiment une situation soutenable ?
J’image déjà ici la réaction des collapsologues en herbes affirmant sans ambages que dans ces conditions, notre société est vouée à s’effondrer. Et sous-jacent à cette question, est de savoir si la société de l’information est suffisamment résiliente, intelligente et agile pour renverser cette tendance. Précisons d’emblée que cette approche entropique, bien que la loi soit connue depuis près de 2 siècles, était cantonnée à la physique. C’est la théorie mathématique de l’information (1949) qui transforma les enjeux, mais avouons que les scientifiques n’en sont qu’à leurs balbutiements conceptuels. Il n’empêche que cette loi est une véritable révolution copernicienne : nous savons maintenant où se situe le problème : une société s’effondre lorsqu’elle n’arrive pas à maitriser son entropie. Les Égyptiens avaient atteint un niveau de connaissance extraordinaire au regard des outils mis à leur disposition pour l’époque, mais n’ont pas réussi à stabiliser leur empire. Il en va de même pour les Romain où la taille de leur Empire nécessitait une quantité d’énergie (communication, voies romaines …) telle qu’il s’est effondré et découpé. Toutefois, dans ce cas et comme pour tous les autres, le manque de maitrise d’entropie s’est avéré au travers des guerres, l’aboutissement ultime de l’entropie (une explosion énergétique), suivit par un nouvel état plus stable. Ici, nous parlons des cultures Francs et ensuite du moyen-âge et du développement de la connaissance stockée dans les abbayes. Ces mêmes abbayes qui sont devenues, par la force des choses, des lieux de pouvoirs par la connaissance, au même titre que les villes. Et contrairement aux idées préconçues, le moyen-âge est loin d’être une période obscure de la connaissance, sinon, comme aurait-on pu construire les cathédrales ? Ensuite cette époque s’est clôturée par de nombreuses guerres avant le passage à la Renaissance avec l’émergence du capitalisme, la production industrialisée avec des machines (rappelons-nous mes métiers à tisser), l’argent papier, les machines, le pétrole et aujourd’hui. Probablement l’année 1949 et l’arrivée de la théorie de l’information sont le basculement vers un autre type de société. D’ailleurs, les fans de livres de science-fiction ne s’étonnent pas des lignes temporelles reprenant A.S. dans de nombreux livres, A.S. précisant « after Shannon », l’auteur de la loi.

Et le monde d’après ?
Sommes-nous voués à un effondrement ? Il est intéressant de voir à quel point les questions énergiques sont dans les discours, sur tous les sujets. Rappelons que l’Europe ambitionne de devenir neutre en carbone pour 2050. L’enjeu est donc bien là, mais est-ce possible alors que nous produisons toujours plus de données ?
Paradoxalement, c’est justement grâce aux données que nous allons peut-être pouvoir répondre à ces enjeux. En effet, non seulement notre avenir devra se penser avec des processus de conception qui consommeront le moins d’énergies possible dès la table à dessin (virtuelle), mais bien au-delà, au travers des différents processus de construction, conception, etc. Cela, quel que soit l’objet pensé : un vélo comme un avion, le processus est identique. Toutefois, le niveau de complexité de nos sociétés est tel qu’il devient impossible à l’échelle humaine de maitriser l’ensemble de ces processus, sans l’aide des machines. Prenons un exemple : le recyclage des bâtiments. Si un bâtiment doit être recyclé (LCC, Living Cycle Cost), l’enjeu n’est pas le recyclage lui-même, mais bien l’utilisation des matériaux à recycles pour d’autres constructions et d’autres fabrications. Sans les machines pour croiser les bases de données permettant le démontage des matériaux et leur recyclage, comment s’imaginer de recycler à 100% tous les bâtiments à transformer ? Or, il est reconnu que tout bâtiment se transforme environ tous les 60 ans. L’enjeu est de recycler, mais la complexité des informations, liées à nos usages (c’est moins contraignant de vivre dans une grotte, mais qui a encore envie d’y vivre ? ) nécessite les machines… Des machines qui consomment beaucoup d’énergie, me direz-vous ? Et c’est bien l’objet de cet article, vous démontrer que ce ne sont peut-être pas les GAFA qui sont ceux qui posent le plus de problèmes. En effet, si vous avez certainement entendu le buzz des tests de Microsoft pour l’installation de data center à 30 m de profondeur, au-delà de l’idée un peu gadget, c’est un ensemble de démarches que TOUS les GAFA ont mis en place pour être zéro carbone à l’échéance 2030. La vidéo qui suit explique, pour l’exemple la stratégie de Google en cette matière. Elle mérite le détour, complété par leur blog Our third decade of climate action: Realizing a carbon-free future (14 septembre 2020) qui précise que non seulement ils présentent cette ambition, mais désire aussi « racheter » leur empreinte carbone depuis la création de l’entreprise, voici 22 ans. Sans nul doute cette stratégie a quelques logiques de markéting. Est-ce pour autant inintéressant ?
Ces démarches permettent de répondre à la question titre et, au-delà, de tordre le cou à certaines légendes. Toutefois pour moi, il reste une question de fond qui n’est pas encore réglée : les usages. Est-il nécessaire de consommer de la vidéo en streaming continuellement ? Comment décentraliser ces données pour ne pas devoir continuellement leur faire le tour du monde 3 x avant de les recevoir sur nos smartphones ? Cette réflexion nous oblige à réfléchir avec tous les acteurs de la ville et de la construction sur le modèle de gestion de leurs bâtiments et si le numérique est nécessaire pour réguler le solde entropique des bâtiments, il n’en reste pas moins que la production d’informations et de données pour atteindre cet objectif doit être mesurable au même titre que le niveau de production de carbone de tous nos bâtiments et villes. À cette condition, nous pourrons maitrise l’entropie de la société de l’information. À défaut, le chaos s’installera…
To be continued… Belle journée à vous et merci de votre lecture.

Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, Data Curator. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geeks invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.