
En plus de 15 ans de métier dans l’urbanisme, je ne suis jamais arrivé à faire vraiment comprendre les enjeux économiques et sociétaux que le rapport entre la ville et la campagne peut créer, et aussi du questionnement de la banlieue, espace hybride et pas nécessairement défini.
Certes, si ce questionnement est mondial, la Belgique présente la particularité d’avoir été péri urbanisée depuis la Renaissance et phénomène accentué dès la première révolution industrielle. Ce terreau hystérique et atypique trouve sa genèse dans le maillage des villes médiévales qui n’étaient jamais plus éloignées de 20 ou 30 km entre elles. Cette distance s’est constamment réduite au gré des évolutions technologiques pour atteindre un maillage extraordinaire de village et de villes espacées de 3 à 5 km les uns des autres, c’est-à-dire l’espace de déplacement du piéton (1 à 2 h de marche).
La mécanisation a accéléré le mouvement d’urbanisation et de conurbation entre les villages et les villes grâce à l’urbanisation des chemins de communication entre villes et contrairement à d’autres types de développement urbains plus polarisés. L’arrivée du réseau ferré (chemin de fer et vicinal) a conforté ce maillage intense pour renforcer le développement des noyaux villageois tout en maîtrisant la croissance démographique des grandes métropoles. Ainsi, les 4 plus grandes villes de Belgique, hors Bruxelles, ne font de 200.000 habitants et une densité très moyenne de 1.000 à 2.000 habitants au km².

Malgré cette histoire profondément ancrée dans les mœurs des « usagers du territoire », c’est-à-dire les habitants, l’émergence de la société numérique et écologique à la fois énergivore et compacte a reposé la question de la durabilité de notre forme d’aménagement du territoire. Une question qui devient vitale pour l’économie d’un pays dont les flux commerciaux furent depuis toujours le cœur de son économie et qui est devenu le plus embouteillé au monde !
Cette réflexion a émergé dans les années 1980 suite aux premiers chocs pétroliers mais également face à une nécessité, plus récente, de construire des logements de plus petite taille et regroupés pour des raisons de performance énergétique.
Malgré ces changements, la population belge n’a toujours pas appréhendé le fait que la ville est probablement la source de la solution à nombre de leurs problèmes quotidiens liés au manque d’infrastructures locales (écoles, commerces de proximité) et l’explosion conjointe des coûts de déplacements avec un litre d’essence à 1.65 €; infrastructures qui se trouvent toujours de plus en plus concentrés dans les villes ou adjacents, les Retails Park .
Je ne désespère toutefois pas d’arriver à faire prendre conscience de la nécessaire mutation des usages de notre territoire dans les années à venir et pour trois raisons :
- La première est sociologique grâce au retour en ville des papys boomer. Alors qu’ils furent le chantre de l’exode périphérique marqué des trente glorieuses, ils seront également les plus grands demandeurs de services de proximité qui ne se trouvent qu’en centre-ville. Le second est le nouveau Way of life des jeunes générations qui ne peuvent vivre sans les TIC. Or, les grilles de réseaux ne peuvent s’étendre à l’infini des campagnes et villages pour des raisons de coûts. Le besoin numérique favorise, sans nul doute, les villes… les grandes villes.
- Conséquemment à la première, La seconde raison qui devrait contribuer à une refonte fondamentale des usages du territoire (wallon en particulier), c’est la conjonction du retour à la ville des retraités et le refus des jeunes générations à partie à la campagne par manque d’infrastructure numérique et le coût des transports. L’affaissement de la demande face à une offre continue risque fortement de déséquilibrer le marché immobilier, voir même, programmer l’obsolescence de certains lotissements esseulés avec le risque de crée de nouvelles friches d’habitats, telles ce qui s’est récemment passé à Détroit. Un exemple dont nous pourrions nous inspirer car il met en exergue la décroissance de la première couronne périurbaine et le renforcement de la périphérie lointaine ainsi qu’un étonnant retour à la ville après le chaos de la faillite. En outre, la recomposition familiale et l’explosion des familles monoparentales rend illusoire le besoin, même recyclé, des villas « sam suffit» avec leurs 2 garages et deux petites chambres souvent inadaptées aux nouvelles familles recomposées mais également sans intérêts pour une femme/homme seul avec enfant(s).
- Enfin, le troisième élément est impromptu : la situation particulière de la prévision de Black Out en Belgique pour cet hiver 2014 a mis en exergue une cartographie tout à fait nouvelle du pays, précisant le lien entre réseau et aménagement du territoire, complété des questions économiques. En effet, le délestage sera réalisé par zones spécifiques. Toutefois, certains territoires sont exclus du délestage, entre autre, toutes les villes de plus de 50.000 habitants mais également les grandes zones économiques de Flandre occidentale et orientale…. Confirmant au passage le poids économique de ces provinces. Mais le plus important, c’est la création d’une hiérarchie claire entre les territoires, ce qui n’avait jamais vraiment existé jusqu’à aujourd’hui : certains habitants peuvent être sacrifiés, d’autres non et ceux qui ne sont pas sacrifiés profitent de l’importance de leur noyau urbain qui regroupe le plus souvent, les hôpitaux et autres services de sécurités, des pôles commerciaux régionaux ou encore l’industrie ainsi qu’une densité de population plus élevée. Pour les praticiens de l’aménagement du territoire, c’est du bon sens, pour les autres, c’est la révolution dans un pays où la campagne mitée depuis des siècles a pris le pas sur la ville.

Vous aurez compris que je ne prône pas une révolution copernicienne du retour des habitants derrières leurs remparts. Non, la question ne peut pas se poser en ces termes, eu égard au développement du mitage et du remplissage des terres péri urbaines depuis plus de 4 siècles en Belgique.
Mais oui, la question serait plutôt de se demander ce qu’il va se passer avec la périphérie de première couronne des villes. L’exemple des USA devrait encore nous interpeller, au-delà de la comparaison stricte. En effet, ce territoire s’est paupérisé deux fois plus vite que les centres villes, entre 2000 et 2011 et dont certaines raisons démontrent un emballement entre la paupérisation des activités industrielles (de simples zonings de production) sans valeur ajoutée et les laboratoires placés dans les périphéries immédiates des grandes villes. Ce pourrait donc devenir un mécanisme d’auto alimentation entre des logements à moindre coût accompagnés d’entreprise qui ont besoin de surfaces à bon prix. Sans oublier que la dimension de ces habitations et leurs abords restent maintenant une contrainte importante dans un temps qui est compté. Ce type de banlieue correspond au stéréotype de la ville de Ferguson qui fait la une des journaux avec des émeutes quasi révolutionnaires. Là aussi, les mutations sociales de ces 20 dernières années démontrent, si nécessaire, qu’il se passe quelque chose dans les recompositions des territoires urbains avec des migrations importantes entre territoires ainsi que leurs conséquences sur la pauvreté.
C’est peut-être là la question la plus importante qui devrait aujaujourd’hui être analysée en Belgique et dans les régions : les mouvements de populations selon des critères socio-économiques, entre les centres villes, la périphérie urbaine et les banlieues mitées typiquement belges. Il y aurait-il également l’amorce de l’effondrement de la couronne périphérique trop lointaine des centres villes mais pas assez rurales ? Ces mutations devraient être anticipées pour la génération à venir sinon la facture risque d’être salée dans 25 ans.
