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mots-clés : Energie, électricité, villes intelligentes, microgrids, communautés d’énergie, région wallonne, ORES, RESA, résilience,
Chers lecteurs,
Aujourd’hui nous allons nous attarder sur un article publié par SmartcityDive et dont l’objet est le lancement de 8 microgrids dans la ville de San Diego (une ville de 3.3 millions d’habitants située au sud de Los Angeles et à la frontière avec le Mexique).
Vous avez certainement déjà entendu parler des microgrids, réseaux autonomes d’énergies qui permettent de mutualiser l’énergie entre différents bâtiments et acteurs dans un secteur donné d’une ville. Les microgrids, aussi appelées « communautés d’énergies » chez nous, sont un enjeu majeur des réseaux de distribution et de production locale pour les 15 prochaines années et nous allons vous expliquer pourquoi avec l’exemple de San Diego.
De bonnes raisons

Lorsqu’une ville se lance dans de nouveaux projets, elle doit toujours le vendre aux habitants pour qu’il soit adopté. Mais c’est aussi une belle manière de voir comment ce type de projet est compris aux USA et, peut-être, en tirer quelques principes chez nous.
La ville de San Diego défend cet investissement (public) lié à des bâtiments municipaux en précisant que d’ici 2035, les microréseaux seront « des éléments essentiels du futur système de distribution d’électricité pour favoriser la résilience, la décarbonisation et l’accessibilité financière », selon le ministère américain de l’Énergie. Une démarche qui se décline plus précisément comme suit :
- La réduction de l’empreinte carbone des bâtiments et plus globalement, les aider à atteindre la réduction de 35% de la consommation d’énergie carbonée en 2035, par rapport à 2010.
- Les réseaux coûtent cher à mettre en place, toutefois ils vont permettre de réduire la facture d’énergie de 6 millions de dollars sur 25ans. Le coût est essentiellement lié à la fabrication, la pose et la maintenance des batteries qui vont permettre de faire un tampon entre la surproduction de jour et la distribution de nuit, l’objectif avoué de toute communauté d’énergie étant l’autonomie.
Techniquement, ces systèmes permettent d’atteindre les objectifs suivants ( les microgrids expliquées par la ville):
- Permet un déplacement dynamique de la charge énergétique d’une installation.
- Permet d’optimiser l’utilisation de l’énergie par une gestion à petite échelle des besoins et de l’offre.
- Fournit de l’énergie propre et assure la résilience de la communauté pendant les pannes de réseau.
- Augmente la résilience, c’est-à-dire la capacité à se préparer et à s’adapter à des conditions changeantes, ainsi qu’à résister aux perturbations et à s’en remettre rapidement.
- Elle remplit des fonctions similaires à celles d’un générateur diesel de secours, mais sans les émissions de gaz à effet de serre qui y sont associées.
- Réduit les coûts énergétiques.
- Appuie le plan d’action pour le climat (PAC) de 2022, qui vise à réduire la consommation d’énergie des installations municipales d’environ 35 % d’ici à 2035, par rapport à une situation de référence de 2010.
- Soutient la Stratégie énergétique municipale (MES), qui renforce l’objectif du PAC de sorte que d’ici 2035, toute l’énergie consommée par les installations de la ville provienne de sources renouvelables.
- Soutient le Climate Resilient SD, qui fixe l’objectif de maintenir et d’assurer une perturbation minimale de tous les services municipaux essentiels face aux risques liés au changement climatique.
Nous devons préciser ici que la question de résilience des villes américaines face aux perturbations du réseau traditionnel est un enjeu fondamental. En effet, la libéralisation des marchés de l’énergie par R. Reagan lorsqu’il était gouverneur de Californie a cannibalisé le système avec des défaillances majeures dans la distribution, mais également la production. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi les batteries de Tesla fonctionnent aussi bien aux USA et plus encore en Californie (Tesla Powerwall).

Et chez nous ?
Vous aurez compris que les microgrids ne sont pas uniquement une nouvelle lubie écologiste, mais aussi un besoin vital de réorganiser les réseaux de distribution et de production dans un monde où l’électricité aura plus de valeur que le pétrole. Barjavel l’avait prédit bien avant.
Chez nous, le décret sur les communautés d’énergies a été approuvé par le parlement wallon le 04 mai 2022 alors que l’avant-projet fut déposé fin… 2020. Il a commencé à être mis en application début 2023 alors que la région bruxelloise a appliqué les CE par ordonnance depuis le 06 mai 2021 et l’a adapté depuis pour élargir le nombre d’acteurs (Quels sont les différents types de communautés d’énergie ?) :
- La communauté d’énergie citoyenne (CEC) : dont la particularité est que toute personne – physique ou morale (et notamment les grandes entreprises) – peut en être membre. En revanche, des conditions plus strictes s’appliquent pour l’exercice du contrôle effectif sur la communauté. Une autre particularité est que les activités exercées par la CEC peuvent comprendre des sources d’électricité non renouvelables (ce qui peut intéresser les propriétaires de cogénérations au gaz, par exemple). Enfin, si la CEC veut exercer une activité de partage d’électricité, elle doit nécessairement être propriétaire – en tant qu’entité juridique – de l’installation de production.
- La communauté d’énergie renouvelable (CER) : comme son nom l’indique, la CER doit nécessairement utiliser des sources d’énergie renouvelable (les énergies fossiles sont donc exclues). Au niveau de la participation à une CER, les grandes entreprises en sont exclues et pour les PME, leur participation à une ou plusieurs communautés d’énergie ne peut pas constituer leur principale activité commerciale ou professionnelle. Les personnes physiques et autorités locales peuvent également être membres de la CER. En cas de partage d’électricité, la CER doit nécessairement être propriétaire de l’installation de production.
- La communauté d’énergie locale (CEL) : la CEL est une initiative bruxelloise, qui ne découle pas des directives européennes et qui vise notamment à élargir les possibilités de financement d’une installation de production en permettant, par exemple, d’avoir recours à un tiers investisseur. En effet, contrairement aux CEC et CER, la CEL peut être propriétaire de l’installation de production, mais il est également possible qu’un ou plusieurs de ses membres soient eux-mêmes propriétaires ou que ces derniers disposent d’un droit d’usage sur l’installation de production. Les activités de la CEL se limitent aux sources d’énergie renouvelable. Au niveau de la participation à une CEL, on retrouve les mêmes conditions que pour la CER.
La Wallonie est donc à la traine, mais pourquoi ?
Parce que le système intercommunal de distribution de l’électricité en Wallonie est la vache à lait des communes qui ont reçu beaucoup de dividendes sans se demander s’il fallait investir.
Les deux graphes issus de la CREG (Commission de régulation de l’électricité et du gaz) nous montrent que si la charge de réseau de distribution est de près de ¼ de votre facture, elle ne représente que 1/5 à Bruxelles et encore moins (18%) en Flandre. Il y a donc 6% de différence… les 6% qui auraient dû être investis dans les réseaux de distribution pour les maintenir au niveau requis pour supporter les changements en cours dans la distribution et production.



Aujourd’hui les opérateurs tels ORES ou RESA exigent un plan d’investissement massif pour remettre à niveau leur réseau et je les comprends. Le non-investissement est un frein majeur à la réorganisation de la distribution avec des problèmes graves qui vont poindre le nez dans moins de 5 ans : La Wallonie a l’obligation d’être neutre en carbone d’ici 2050. Pour atteindre cet objectif, la production d’énergie propre est fondamentale dont le photovoltaïque dont la production privée dépasse déjà celle industrielle (Production d’électricité à partir d’énergies renouvelables en Wallonie). Toutefois, il faut repenser l’ensemble des réseaux de distribution pour répondre à une forte demande privée d’investissement des panneaux solaires. A défaut, il se pourrait qu’on interdise à des habitants de devenir autonomes… non pas parce qu’ils n’ont pas assez de toitures bien orientées, mais bien parce que leur production ne pourra pas être réinjectée sur le réseau.
Outre l’ineptie de la situation, le manque d’investissement risque également de créer des blackouts avec l’arrivée des besoins en courant électrique pour la recharge des Véhicules électriques ou transformations d’activités artisanales (nous pensons par exemple aux fours des boulangers) qui passeront du gaz à l’électricité au regard des tensions sur le marché des énergies fossiles. Tout le monde sera ainsi impacté, qu’on le veuille ou non.

Les CER (communautés d’énergies renouvelables) peuvent pallier assez judicieusement cette problématique, toutefois, si un réseau devient autonome et efficace, car bien dimensionné au départ, pourquoi celui-ci devrait-il se reconnecter au réseau de distribution traditionnel ? Cela signifierait une perte de revenus importants pour… les intercommunales et donc les communes.
Dans ce contexte, les intercommunales menaces de ne pas pouvoir répondre aux transformations de leurs réseaux et sollicitent une aide de 10 milliards d’euros à la Région… donc du citoyen. C’est assez interpellant, non ? En tout cas, la CWAPE, le régulateur wallon, le régulateur wallon, a remis un avis très négatif sur le projet du ministre Henry, qui veut subventionner les gestionnaires de réseau pour accélérer la transition énergétique. Le montant était de 168 millions pour accélérer la modernisation des réseaux, pour les rendre intelligents et leur permettre d’accueillir plus de renouvelables, de voitures électriques ou de pompes à chaleur. (La Cwape très critique sur le projet de subventions à Ores, Resa et cie, L’écho, C. SCHARFF, 13 décembre 2022). Et de préciser dans l’article : « La note au gouvernement donne l’impression que les gestionnaires de réseau ne sont pas suffisamment dotés pour investir dans la transition énergétique », explique Stéphane Renier, le président de la Cwape. « C’est un postulat que nous contestons, d’autant que cela pourrait être utilisé par les GRD dans le cadre de la discussion sur la méthodologie tarifaire. ».
Bref, la CWAPE n’est pas dupe et considère qu’on paie deux fois : sur la facture et avec des subsides. Toutefois, et au-delà de questions de gros sous, c’est la résilience complète du réseau qui est en question… Il faudra peut-être faire comme aux États-Unis où les habitants du Middle West sont habitués à des dizaines de coupures par an et investissent dans le solaire et l’éolien et stockent leur propre énergie chez eux à concurrence de 3 jours pleins (car il y a des black-out de 3 jours…). A méditer.
Bonne et belle journée à vous.
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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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