LA VILLE INTELLIGENTE COMME FACILITATEUR AU REEMPLOI DANS LE SECTEUR DE LA CONSTRUCTION

mise en réseau de la construction grâce au BIM Millan, Gabrielle. 2022. « #17 – BIM & RE2020: l’utilisation de la maquette numérique pour maîtriser les enjeux environnementaux ». construction21.org. 23 juin 2022.

Temps de lecture : 10 minutes
mots-clés : BIM, smart city, buildings, reuse, construction, réemploi, soutenabilité

Chers lecteurs,

Vous commencez à en avoir l’habitude, l’un de mes TP universitaires a pour objet de demander aux étudiants de rédiger un article pseudoscientifique sur une thématique proche ou propre aux villes intelligentes. Certains de mes étudiant(e)s de Master au sein de la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’université de Mons se sont distingués et méritent votre lecture.

Attention, n’y recherchez pas ici un travail scientifique pur, mais plutôt la recherche d’une réflexion de certains étudiants touchés par un sujet et qu’ils désirent approfondir. Notre évaluation se veut plus sur le fond que sur la forme, ils doivent être réflexifs.

Nous commencerons aujourd’hui avec une étudiante, Maurane COPPIN, récemment diplômée. Elle nous parle de la maquette BIM et du recyclage des matériaux. Je précise qu’avec mon collègue Mohamed-Anis Gallas, nous avions eu l’occasion de montrer un cas concret de démolition et recyclage de 196 logements dans le Borinage (avec beaucoup de tableaux Excel) et la potentielle optimalisation avec une maquette BIM de la faculté d’architecture) proposée également par des étudiants et sous la direction des professeurs M.A. Gallas et G. Saura Laurete. Un projet lié à une base de données visualisées via l’outil PowerBi. Peut-être est-ce cette conjugaison de moyens et d’outils qui a permis à notre étudiante de prendre conscience que le numérique n’est pas qu’entropie énergétique, mais permet bien d’optimiser les outils pour rendre les solutions plus abordables. Qui sait ?

Introduction : le réemploi dans la construction

l’échelle de Lanskin

En tant qu’étudiante en Master 2 à la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’UMONS, j’ai choisi de m’intéresser au réemploi des matériaux dans l’architecture, un sujet qui me passionne et que j’approfondis dans le cadre de mon TFE. Dans le contexte du cours « Ville intelligente », il nous est demandé de rédiger un article sur le concept de ville intelligente. Je me suis donc demandé comment ces villes intelligentes pourraient favoriser le réemploi des matériaux dans le secteur de la construction. Les outils numériques, en raison de leur capacité à stocker, gérer et visualiser les données, ainsi que de faciliter la mise en réseau, pourraient être une solution pour promouvoir et faciliter la pratique du réemploi dans le secteur de la construction à l’échelle d’un territoire.

Le réemploi dans le secteur de la construction

En Belgique, le secteur de la construction a produit, en 2020, 20.727.780 tonnes de déchets[1]. En 2022, cette quantité est estimée à 23 millions de tonnes pour la Belgique et sept millions pour la Wallonie[2]. Ce qui fait du secteur du bâtiment le second plus gros émetteur de déchets après le secteur industriel en Belgique. En 2008, l’Union européenne a adopté une directive (n° 2008/98/CE) quant à la gestion des déchets et la hiérarchisation de leur traitement. On peut constater sur la figure ci-dessus que le réemploi apparait en deuxième position sur l’échelle de Lansink qui hiérarchise le traitement des déchets, du plus vertueux vers le moins respectueux de l’environnement. Le réemploi se place juste après la prévention, car un déchet qui n’existe pas n’est pas à traiter[3]. « La directive fixe les objectifs de recyclage et de valorisation à atteindre d’ici à 2020 pour les déchets ménagers (50 %) et les déchets de construction et de démolition (70 %) »[4] or, aujourd’hui, en 2023, à l’échelle du nord-ouest de l’Europe « seulement 1% des éléments de construction sont réutilisés après leur première application. Bien qu’un grand nombre d’éléments soient techniquement réutilisables, ils finissent par être recyclés par broyage ou fusion, ou éliminés. Il en résulte un impact environnemental élevé et une perte nette de valeur économique. »[5]. Tout ceci nous amène à nous demander quels sont les freins rencontrés quant à la pratique du réemploi pour le secteur de la construction. Selon un rapport de l’ADEME réalisé en 2016, 23 freins ont été identifiés pour le secteur du BTP (bâtiments et travaux publics) et 14 pour le secteur du bâtiment en lui-même[6].

Synthèse d’étude de l’ADEME : « identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction », avril 2016, p.7

En observant ce tableau, on peut constater que le numérique pourrait aider à résoudre sept de ces 14 freins. Cinq freins peuvent être résolus à l’aide de la maquette numérique et deux autres à l’aide de la mise en réseau que le numérique peut faciliter. Nous détaillerons plus loin le rôle de levier que pourrait jouer le numérique dans la diffusion du réemploi.

Les exigences quant à l’architecture durable et les normes, quant à l’impact écologique du secteur de la construction, évoluent. Ainsi depuis les années 90 l’architecture durable s’est principalement appuyée sur la PEB, résultant de la Directive CE de 2002, qui se concentrait principalement sur l’économie d’énergie du bâtiment lors de son utilisation. Aujourd’hui d’autres labels plus englobants existent : « Malgré cet engouement pour la PEB, d’autres labels sont créés parallèlement, avec pour objectif d’évaluer la durabilité des bâtiments au sens large : LEED  (USA), HQE (FR), BREEAM (UK) et à travers eux la notion de l’Analyse du Cycle de Vie (ACV) ».  Outrepassant la technicité mise en œuvre pour réduire l’impact énergétique, l’ACV considère l’impact environnemental pendant la construction, mais aussi pendant l’exploitation et la déconstruction du bâtiment. »[7].  En Belgique nous avons également l’outil Totem, développé par les trois régions, qui prend en compte tout le cycle de vie des matériaux et de la construction du bâtiment afin d’évaluer et de réduire au maximum l’impact environnemental de celui-ci.  L’outil GRO, utilisé en Belgique, évalue et réduit l’impact environnemental des bâtiments étudiés, en intégrant leur contexte global, incluant la mobilité, l’accessibilité, les risques et la sûreté environnementaux. En plus de ces qualités environnementales de base, ces nouvelles normes font pencher la balance quant à l’impact de la pratique du réemploi contribuant au développement durable du secteur de la construction.

Le numérique comme facilitateur au réemploi : La maquette BIM comme banque de données des gisements de réemploi à l’échelle du territoire

Schéma du métabolisme urbain réalisé par BellaStock Bellastock. s. d. « Métabolisme Urbain de Plaine Commune ». Bellastock. Consulté le 19 mai 2023. https://www.bellastock.com/projets/metabolisme-urbain-de-plaine-commune/

Un des enjeux primordiaux pour faciliter le réemploi dans le secteur de la construction est la création d’un outil permettant l’intégration du réemploi dans le processus de conception architecturale. A l’heure d’aujourd’hui, ces outils « sont soit inexistants, anecdotiques, partiels ou en cours de développement (le MP par BAMB) ». Le BIM pourrait contribuer à un partage de données clair et structuré sur les bâtiments en permettant aux différents corps de métiers d’implémenter les données de chaque matériau dans une maquette 3D collaborative. Le BIM présente l’atout majeur d’être utilisable dans la conception de bâtiments futurs, car il utilise les données actuelles de mise en œuvre des matériaux, ce qui facilitera leur réemploi futur. Cependant, pour réemployer des matériaux de construction provenant de bâtiments existants, il est nécessaire de réaliser un relevé d’expertise appelé « inventaire de la matière », qui permet d’identifier les matériaux réemployables présents dans les bâtiments existants[8]. Grâce à un recensement basé sur des maquettes BIM, il serait possible de créer et de diffuser une base de données sur le territoire, offrant ainsi une meilleure connaissance de la qualité des matériaux et de leur état de conservation. Cette base de données permettrait également de disposer d’une fiche plus complète sur chaque matériau lors de sa réutilisation. On pourrait dès lors localiser le matériau recherché dans le cadre d’un nouveau chantier de réemploi tout en disposant des informations sur son état et la quantité disponible. La rénovation ou remise aux normes d’un bâtiment qui aurait fait l’objet d’une maquette BIM serait facilitée par l’identification et la quantification des éléments enlevés pour cette remise aux normes. De plus, lors d’une déconstruction totale, cela permettrait d’avoir une vue globale sur tous les matériaux réemployables dans le bâtiment, leur état, leur quantité et leur localisation afin de faciliter le démantèlement et la remise sur marché de cesdits matériaux.

Contribution du numérique dans la mise en réseau du réemploi dans le secteur de la construction

Synthèse générale du bilan métabolique de la Région Bruxelles-Capitale 2011 Ecores sprl, ICEDD, et BATir (ULB). 2015. « Métabolisme de la Région de Bruxelles-Capitale : identification des flux, acteurs et activités économiques sur le territoire et pistes de réflexion pour l’optimisation des ressources »

Le deuxième enjeu majeur sur lequel le numérique, et notamment la ville intelligente, peut faciliter le réemploi est la mise en réseau des matériaux disponibles ainsi que des différents acteurs impliqués, tout en les localisant sur le territoire. Les outils numériques peuvent également jouer un rôle dans l’amélioration de la situation en surmontant les freins causés par le manque de développement du marché et l’absence d’adéquation entre l’offre et la demande. En effet, bien que le frein majeur reste la réticence de certains corps de métier à utiliser des matériaux de réemploi dans leur construction en raison des conditions de la garantie décennale et du manque de confiance dans les matériaux de réemploi. On peut constater que dans certains cas, le manque de connaissances de certains professionnels pratiquant le réemploi ou le reconditionnement de matériaux peut s’avérer être un obstacle à la mise en œuvre du réemploi. C’est ce que le réseau Opalis essaye de palier par la mise en réseaux de professionnels. Cette plateforme permet également le partage de documents facilitant la pratique du réemploi en intégrant les fiches matériaux, les stratégies et prescriptions du FCRBE, mais également le compte rendu des opérations pilotes. De plus, il propose des exemples de projets réalisés qui permettent d’illustrer le réemploi par des cas concrets.

Conclusion

Le concept de ville intelligente par ces capacités de mise en réseau, stockage et partage de données (open data) permettrait, dans un premier temps, d’établir un inventaire large des ressources disponibles sur le territoire en termes de matériaux de construction. La ville voire le territoire deviendrait un gisement de matériaux de construction en compilant grâce aux outils numériques toutes les données nécessaires à leur réutilisation. Dans un second temps, le réseautage rendu possible par le numérique faciliterait les échanges de flux de matières entre déconstructeur et constructeur à l’échelle d’une ville, mais également à l’échelle d’un territoire plus large afin d’atteindre une masse critique de gisement intéressante. Selon moi cela pourrait fortement faciliter le réemploi et offrir plus de garanties aux différents corps de métier. Malheureusement, dans la plupart des cas, cela n’est possible que pour les nouvelles constructions. En revanche nous pourrions imaginer inventorier les matériaux dans les constructions existantes en opérant une grande campagne d’inventaires ressources. Face à l’importance du patrimoine immobilier, à l’épuisement des ressources et à la quantité de matériaux déjà utilisés, il est impératif pour garantir un avenir durable aux générations futures que le secteur favorise les matériaux déjà disponibles et présents sur le territoire plutôt que d’extraire de nouvelles ressources à l’autre bout du monde et détruire des écosystèmes entiers pour toujours produire plus. Par exemple, pour donner un ordre de grandeur des ressources disponibles sur un territoire connu, à l’échelle de Bruxelles-Capitale, cela représentait 184 921 kt de matériaux en 201113 présents sur le territoire. Toute cette matière pourrait être mieux valorisée par une utilisation adaptée des outils numériques intégrés au concept de ville intelligente et à la généralisation de la maquette numérique 3D lors de la conception des nouveaux bâtiments.

Bibliographie

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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.

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[1] Production de déchets | Statbel ». 2023. 19 février 2023

https://statbel.fgov.be/fr/themes/environnement/dechets-et-pollution/production-de-dechets#panel-11.

[2] Hélène, DELLOGE. 2022. « Les déchets de construction et de démolition dans le CCT-B2022 », février.

[3] REFER. 2023. « Comprendre le réemploi solidaire ». REFER (blog). 2023. https://www.reemploi-idf.org/comprendre-le-reemploi-solidaire/.

[4] « EUR-Lex – Ev0010 – EN – EUR-Lex ». 2020. 8 avril 2020. https://eur-lex.europa.eu/FR/legal-content/summary/eu-waste-management-law.html.

[5] « FCRBE – Facilitating the circulation of reclaimed building elements in Northwestern Europe ». 2023. 12 janvier 2023. https://www.nweurope.eu/projects/project-search/fcrbe-facilitating-the-circulation-of-reclaimed-building-elements-in-northwestern-europe/.

[6] COPPENS, Mélanie, Emmanuel JAYR, Marion BURRE-ESPAGNOU, Guillaume NEVEUX, RDC ENVIRONMENT, éco BTP, et I CARE ENVIRONNEMENT. 2016. « Identification des freins et des leviers au réemploi de produits et matériaux de construction ». Expertises.

[7] Dautremont, Charlotte, Charlélie Dagnelie, et Sylvie Jancart. 2018. « Le BIM6D comme levier pour une architecture circulaire ». p.2 SHS Web of Conferences 47 (janvier): 01005. https://doi.org/10.1051/shsconf/20184701005.

[8] Gallas, Mohammed-Anis. 2023. « BIM et conception architecturale collaborative ». février 2022.

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