
Voilà que pour commencer l’année 2019, je viens déjà avec une taxe… et pourtant c’est une taxe que tout le monde connaît, du moins dans des pays comme la France, la Belgique, mais également une grande majorité des pays européens, à savoir, une taxe foncière en fonction de la valeur du bien construit ou de l’usage qu’on en fait. Voici encore quelques jours, plusieurs personnes me signalaient qu’il fallait faire attention aux adresses de déménagement ou de la date de celui-ci pour ne pas subir les foudres du ministère des Finances sous le risque de « payer de trop ».
Et pour commencer si nous en revenions aux bases de l’histoire de ce fameux cadastre :
C’est à la Révolution française qu’un cadastre exact et uniforme sur tout le territoire français, outils nécessaires et indispensables pour asseoir l’impôt foncier équitable, est très fortement sollicité par le peuple. A fortiori, la question de la surface du territoire et de ses usages visait particulièrement les nobles et les religieux, grands propriétaires fonciers de l’époque. La contribution foncière est créée par la loi du 23 novembre – 1er décembre. L’article premier précise que « la Constituante de la contribution foncière sera répartie par égalité proportionnelle sur toutes les propriétés foncières à raison de leur revenu net ». Le législateur entendait par-là, la rente du sol, c’est-à-dire ce qui reste effectivement propriété active et productrice après déduction « des frais de culture, semences, récolter entretien » (article deux).
L’administration cadastrale nait officiellement le 5 octobre 1791 soit approximativement trois ans après la révolution. Parallèlement la taille et la capitation sont supprimées. Notons que la Constituante qui établit la contribution foncière unique l’applique sur toutes les propriétés, bâtie et non bâtie et, comme précisée plus haut, en fonction des revenus nets. Un élément concomitant à cette taxe est la création du cadastre sous sa forme graphique et trigonométrique puisque le revenu est en lien direct avec la surface occupée au sol. C’est alentour de 1800 que le ministre de l’Intérieur, Chaptal, précise les instructions pour l’établissement d’un cadastre national (France). Deux ans plus tard, la commission chargée d’études de la confection du cadastre est constituée et dépose des principes fondamentaux à partir d’un plan établi au 1/5.000, permettant de diviser le territoire communal par des mas circonscrits par des limites naturelles : tous les terrains cultivés de la même manière et portant des récoltes identiques étaient réunies en une seule et même masse puis portées au plan.

Quelques années plus tard, vient à naître ce qu’on appelle encore aujourd’hui le Cadastre napoléonien. C’est en effet l’empereur qui édicte la loi sur le cadastre qui doit être le complément du Code civil constitue la garantie la propriété individuelle. Dans les faits, le cadastre napoléonien aura avant toute une vocation fiscale. Pour Napoléon, la création d’un cadastre devrait être à la fois fiscale et juridique. Il écrit à son ministre des finances, Mollien (1807) : « les demi-mesures font toujours perdre du temps et de l’argent. Le seul moyen de sortir de l’embarras et de faire procéder sur-le-champ au dénombrement général des terres dans toutes les communes de l’empire, avec arpentage et évaluation de chaque parcelle de propriété. Un bon cadastre parcellaire sera le complément de mon code en ce qui concerne la possession du sol. Il faut que les plans soient assez exacts et assez développés pour servir à fixer des limites de propriété et à empêcher les procès. » Nous noterons passage que c’est également le cadastre qui a influencé l’ingénierie de la mesure, car l’administration ne pouvait se permettre d’avoir des mesures approximatives par comparaison au tiers. C’est ainsi que le mètre-étalon apparaît et dont les copies sont strictement exactes, permettant à l’administration de faire son travail de mesurage cadastral. Le 1er mars 1803, un décret rend effective l’introduction du système métrique décimal dans les documents cadastraux et c’est la loi de finances du 15 septembre 1807 qui est à l’origine du cadastre parcellaire français, appelé Cadastre napoléonien ou encore Ancien Cadastre. Des termes encore utilisés à ce jour et qui restent à la base de notre cadastre contemporain. En effet, je me permets de dire « notre » égard au fait que les conquêtes napoléoniennes jusqu’au traité de Vienne (1815) ont fait appliquer les mêmes procédés sur les terres conquises, ce qui est donc le cas de la Belgique.

Un plan napoléonien qui était en général constitué de feuilles (section cadastrale) à l’échelle d’ 1/2.500. Leur appellation se faisait en une lettre (A,B,C,…) et parfois démultipliées par des indices A1, A2, A3…. Le cartouche présent sur chacune des feuilles permet d’identifier l’auteur, ainsi que l’année de réalisation. La numérotation des parcelles a été effectuée de manière continue, du nord-ouest au sud-est, en tournant dans le sens horaire. Les bâtiments sont représentés en couleur, les sentiers, chemins, aux droits de passage sont représentés en pointillés, si ces tracés ne constituent pas une parcellaire.
Nous renvoyons ci-après vers un site menant un travail de conservation et numérisation des plans de l’époque (ici).
Dans son ADN, Le plan napoléonien avait oublié le principe de mise à jour, selon l’idée même d’ »immuabilité du plan ». C’est ainsi qu’en 1930, une loi du 16 avril prescrivit une révision exceptionnelle des évaluations foncières et pose ainsi le principe d’une rénovation générale cadastre. Une révision de longue haleine et selon certaines sources qui prennent le département des Côtes-d’Armor comme référence, rénovation générale a débuté en 1932 et s’est achevée en 1975.Date concomitante avec une nouvelle loi du 18 juillet 1974 précisant à nouveau le remaniement du cadastre est exécuté chaque fois que le plan n’est plus adapté à l’évolution ici parcellaire.
Et qu’en est-il de la Belgique ?
Selon l’article de Roger Schonaerts, paru dans les cahiers de l’urbanisme numéro 72 de juin 2009, page 18 à 22, en octobre 1803, les opérations d’arpentage sont étendues à toutes les communes de la République française, incluant son Empire, et de 1807 à 1813 ont lieu les premiers travaux du cadastre : les procès-verbaux de délimitation des communes et début du mesurage parcellaire de commune par commune, sur base d’une triangulation élémentaire locale non rattachée à l’ensemble du pays. Ces travaux se poursuivent sous le Régime hollandais jusqu’en 1834 et 1843, selon les régions. Il en résulte la rédaction du plan cadastral parcellaire primitif. Le bureau du cadastre est installé près le commissariat général des finances à Bruxelles, lequel se charge de revoir les opérations en fonction des diverses réclamations des propriétaires et locataires, introduites sous le régime français et hollandais. Bien plus tard, le 26 juillet 1877, des précisions seront définies par le ministère des Finances afin de mener à bien les modalités de mise à jour de cadastre, mais malgré cette mise à jour parcellaire, force est de constater qu’aujourd’hui le cadastre n’a plus qu’une valeur vénale et ne répond absolument plus à sa définition première qui est la dimension de la parcelle afin de définir son fermage ou sa constructibilité. Les PCI (plans cadastraux informatisés) sont bien souvent de simples scans vectoriels et du cadastre initial.
Alors me direz-vous, à cet instant de la lecture de l’article, où vais-je venir ?
Finalement, le travail d’actualisation est une forme de boîte de pandore s’ouvrant sur la redistribution des cartes quant à la valeur des biens, des parcelles et des modes de vie. En effet le cadastre napoléonien présupposait un mode de vie du XIXe siècle de pré industrialisation ou les bourgeois vivent en ville et les agriculteurs, pauvres, vivaient à la campagne. Une situation qui s’est particulièrement inversée dans de nombreuses villes au début du XXe siècle et qui, dans certains cas, perdure encore aujourd’hui. De fait, nous pouvons constater que les personnes qui se sont installées à la campagne suite à la Seconde Guerre mondiale et au développement de l’automobile avec une extension massive des agglomérations vers la périphérie à des distances qui sont parfois de plus de 35 km du centre-ville ne correspond absolument plus à une vision des villes denses et encore enserrées de leur rempart, lui-même ayant les pieds à la campagne.
Aujourd’hui se pose une véritable question de redistribution des charges territoriales en fonction, non pas de la valeur du bien qu’il soit en ville ou à la campagne, mais bien du coup de celui-ci au sein de la collectivité. En effet, le coût du placement d’une fibre optique dans un lotissement situé à 20 km à centre-ville est totalement différent que les frais imputés pour une même habitation située en première couronne métropolitaine. De même, les questions de taxe carbone ou des coûts globaux des déplacements deviennent un sujet nécessaire à valoriser pour la société en général.
C’est ainsi que mes vraies compétences à la fois d’urbaniste et de curateur de données m’amènent à vous parler de cet article très intéressant du nouvel algorithme de Google permettant de mesurer le bilan carbone de chaque habitation. Pour atteindre cet objectif de dataification, s’appuyant à la fois sur les modèles de mobilité, de l’identification des réductions de CO et en relation et des opportunités territoriales par la définition d’un algorithme permettant la relation entre la surface du bâtiment (et éventuellement les surfaces de panneaux solaires) et le type de chauffage utilisé en fonction du territoire étudié. Un modèle algorithmique qui existe déjà et développé par Google qui a également utilisé des données de dimensions, localisation, les distances origine-destination, du mode de déplacement possible en transport public. Un travail supervisé par le Global Covenant of Mayors for Climate & Energy, soit de 900 villes dans le monde.


La version bêta qui s’appelle Environnemental Insights Explorer démontre tout le potentiel que Google Maps peut offrir en lui injectant des métadonnées géolocalisées incluant des éléments factuels tels que les transports en commun… et de la même manière, imaginons quelques instants la possibilité de lier le cadastre avec l’impact environnemental de chaque parcelle. Ne serait-ce pas la solution la plus équitable vis-à-vis de la société que de faire payer le plus pollueur ? Une démarche d’autant plus équitable qu’elle ne se limiterait pas, comme souvent dans les discussions dites à ce sujet, à opposer la périphérie des habitants du centre-ville. En effet, que penser de ces personnes qui ont suffisamment de jardin pour être autonomes en alimentation et qui vivent dans une habitation passive ? Les questions sont devenues particulièrement complexes aujourd’hui et le fait de vivre simplement centre-ville n’est pas seulement valable et suffisant que pour justifier que nous produisons moins de CO que les gens qui vivent en périphérie et seraient obligés de prendre la voiture. C’est donc à nouveau la démonstration que l’utilisation des données déjà notre disposition, complétées par des données historiques devraient nous permettre d’optimaliser de manière substantielle, l’ efficacité d’un système créé avant la bataille de Waterloo !
Mais encore faut-il en avoir l’ambition.
Sources :
A new use for Google Maps: calculating a city’s carbon footprint
Impact begins with insights.Explore data to make informed decisions and inspire action.
Petite histoire du Cadastre… avant le Cadastre