Ce n’est pas dans mon habitude mais j’avoue qu’avec les derniers chiffres ahurissants de la construction de la gare de Mons et dont S. Calatrava est l’architecte, je me devais de reproduire cet article du critique d’architecture Octavio Domosti qui a été publiée dans le magazine culturel espagnol Jot Down en mai 2011. Il n’est pas tendre avec l’architecte et certains ne me trouveront pas très confraternel avec l’homme de Valence. Mais dans un moment où l’Europe est en panne de projet politique et également en panne d’argent frais, il est parfois nécessaire de s’exprimer face à certaines aberrations.
Cet article traduit par le Courrier de l’architecte met en exergue des mécanismes absurde de la conception architecturale d’aujourd’hui et liée aux stars de l’architecture. et qui font plus de mal à notre profession que tous autres.
Avant la lecture de cet article,nous mettons en perspective le projet de la gare de Mons en quelques chiffres : une gare où passe 2 TGV par jour vers/de Paris, 20.000 passagers par jour ouvrable (soit une petite gare du RER parisien), 157 mio d’euros pour la gare en tant que telle et pour un coût global de plus de 272 mio au total, incluant les aménagements des parkings, abords et gare de bus, soit 13.500 €/passagers/jour (par comparaison, la gare centrale de Rome a coûté 2.500 euros/passagers). pour rappel, le budget initial de la rénovation de la gare était de 25 mio d’euros. Cherchons l’erreur ensemble, ma calculette n’a plus de piles.
retranscription de l’article :
» Calatrava, à faire vomir une chèvre ? »
DEMONTER CALATRAVA
Octavio Domosti | Jot Down
SEVILLE – Comment en finir une bonne fois pour toute avec les starchitectes ? Impliqué dans d’obscures factures à plusieurs millions d’euros pour réaliser une maquette, Santiago Calatrava est dans l’œil du cyclone. Indépendamment des procès dans lesquels il est mêlé, l’œuvre de l’architecte valencien est appréciée dans et en-dehors de notre pays et sa trajectoire artistique jouit de l’approbation d’une majeure partie de l’opinion publique. De la mienne, certainement pas ! Quand l’arbre est tombé, chacun court aux branches.
Bien souvent, nous voudrions coller à des poubelles le mot Art. Il me semble parfois qu’un homme chauve et moche qui s’ennuie décide de joindre des couleurs et des objets dans un sens de la composition à faire vomir une chèvre. Mais le problème est d’autant plus important quand l’étiquette Art est accolée sur certaines constructions emblématiques pour justifier des aberrations urbaines, structurelles et/ou des propositions faites pour taxer les critiques d’ignorants voire d’incultes subnormaux.
Je n’ai pas, à dire vrai, l’intention de commencer une discussion triviale sur ce qui est beau ou non du point de vue architectural. Du moins, pas dans cet article. Aussi, nous nous limiterons à des oeuvres qui, d’un gout esthétique douteux, cachent à l’ombre de formes audacieuses des hontes atemporelles.
Un bon exemple, le pont du Millénaire à Londres, fruit des pensées inquiètes d’un architecte – Norman Foster – et d’un sculpteur (!!!) – Anthony Caro -. Résultat : le pont a dû fermer peu de temps après son inauguration ; les passants s’y sentaient mal et ce, non à cause d’une épidémie du syndrome de Stendhal. La passerelle retourne les tripes parce qu’elle bouge davantage qu’un petit pois dans la bouche d’un vieillard.
La faute à ARUP, les ingénieurs qui ont calculé la structure. Le pont a été fermé pendant un an et cinq millions de livres ont été dépensés pour éviter le balancement. Une mauvaise réputation pour Foster ? Il n’en est rien. Le lord britannique compte parmi ses succès le viaduc de Millau, un record mondial d’altitude qui, en réalité, est l’oeuvre de l’ingénieur français Michel Virlogeux ; Foster and Partners n’a seulement géré que quelques aspects esthétiques.
Aujourd’hui : Calatrava
Mettre au point une critique destructive quant aux excès architecturaux ne saurait être sans citer Santiago Calatrava (l’architecte, l’artiste ou simplement Calatrava). Qui plus est, le valencien est architecte et ingénieur civil, ce qui démontre qu’indépendamment des titres approuvés par une série de disciplines, le sens commun n’est pas acquis quand bien même il devrait être la clé.
Par où commencer avec un type qu’on dénigre depuis New York, avec son très cher et inexécutable projet pour la gare de Ground Zero, jusqu’à Jérusalem en passant par Venise ? Passons par Bilbao. La passerelle Zubi Zuri a été des années durant vivement critiquée par les passants : le tablier est habillé d’un verre translucide très voyant quand il est illuminé durant la nuit. Résultat : le revêtement est hautement glissant dès lors qu’il pleut, soit180 jours par an dans cette ville en moyenne.
Avant les nombreuses plaintes des habitants et quelques mesures provisoires prises pour éviter les chutes, lesquelles n’ont pas fonctionné, la mairie s’est vue dans l’obligation de placer une sorte de tapis collé au tablier durant les mois les plus pluvieux. Ainsi, l’un des principaux attraits du pont – un chemin de dalles illuminées – passe à la trappe.
Du tapis et des indemnisations qui ont dû être payés après les plaintes, il est inutile de dire que Calatrava n’a pas sorti un kopeck de sa poche. Mais dès qu’il s’agit de Son Enfant, du moins de le relier avec une autre passerelle conçue par Arata Isozaki, auteur entres autres du Palau Saint Jordi, L’Architecte hurla : on avilie Son Oeuvre, un outrage, à Lui, qui ne peut se régler que devant les tribunaux.
Et il l’a fait.
Contre toute attente, le juge s’est incliné devant l’accusation (Calatrava) et la défense (la Mairie de Bilbao) a dû casquer 30.000 euros pour calmer les dommages moraux occasionnés à l’Artiste. La vérité c’est que la connexion entre les deux passerelles me rappelle l’une des dernières scènes d’un Requiem pour un rêve, mais de là à intenter un procès, il y a un pas. Calatrava s’est rendu compte que la situation lui échappait des mains et c’est pour cela qu’il a donné les 30.000€ à des oeuvres caritatives.
Le navire prend l’eau
Les 180 jours annuels de précipitations dont j’ai parlé ne sortent pas de mon esprit. Ils résultent d’une étude faite à partir de 57 registres complets entre 1950 et 2008 de la station météorologique de Sondika qui, aujourd’hui, se situe à l’aéroport de Loiu – un autre projet de Calatrava -. Evidemment, la couverture du terminal de AENA va exactement subir ces 180 jours dont j’ai parlé.
Alors, que dire ? Bah, qu’il aurait dû, en concevant le toit de La Paloma, prendre en compte le fait que nous sommes dans une zone pluvieuse. Mais non. Si le terminal dessine le profil d’un oiseau prenant son envol, si la tour de contrôle a la forme d’une tête de faucon, tout est très allégorique, oui mais, au final, l’édifice a des fuites. Une métaphore du pigeon te chiant à la gueule ?
Une fois de plus, des dommages dont Calatrava ne veut rien savoir. Mais d’un autre côté, L’Architecte s’est montré des plus intelligents. Le contrat qu’il a signé pour la conception de l’aéroport prévoit que Lui et seulement Lui serait en charge d’éventuelles agrandissements. Nous espérons qu’il se rappellera que les salles d’attente de la zone des arrivées sont mieux à l’intérieur de l’édifice que sous les intempéries – comme c’était le cas jusqu’à il y a peu avant qu’il ne refasse la zone -. Maudite ville ! Il ne s’arrêtera donc jamais de pleuvoir ?
Arata Isozaki meets Santiago Calatrava. Cul à cul !
Si, à l’aéroport de Bilbao, l’eau a été l’un des grands ennemis, elle a été pour L’Artiste son principal allié dans un autre projet, l’un des premiers avant-projets solides pour le nouveau stade San Mamés Barria.
Calatrava avait présenté une proposition dans laquelle d’aucuns peuvent remarquer quelques idées maîtresses :
1. Deux grands arcs soutenaient les couvertures des gradins. Rappelons que le symbole de l’actuel terrain de l’Athletic de Bilbao est un arc métallique qui supporte la couverture de la tribune principale. Une solution avec un grand symbole. Voilà qui est bien pour Lui.
2. Le terrain de jeu était complètement inondable. Ainsi, comme il le rêve, on pourrait y accéder (en navigant) depuis le Nervion au centre du terrain à bord de La Gabarra, une embarcation emblématique, dans laquelle l’équipe de football basque pourrait se promener le long de la rivière pour se laisser voir par ses supporters quand ils remportent quelques événements sportifs.
J’imagine que Calatrava, quand il lui vient pareille idée, doit se sentir, pendant cinq minutes, émerveillé par sa propre audace. Certes, l’équipe de Bilbao ne s’est pas non plus distinguée ces derniers temps par ses trophées et construire un stade avec une relation directe à un cours d’eau au fort débit, avec tous les risques et les travaux coûteux que cela exige (canal, écluses, pompage…) seulement pour se définir comme Bilbainada… Pour une fois – et cela ne coûte rien de le reconnaître – que L’Architecte s’était adapté au contexte.
Mais franchement, quelqu’un peut-il imaginer le beau et photogénique Fernando Llorente venir jouer avec une élégante bouée en forme de canard juste au cas où ? Cette proposition est restée dans les cartons, le projet choisi, conçu par ACXT, est plus modeste (et situé plus loin de la rivière pour éviter les tentations).
Même vêtue de soie, une guenon reste une guenon… Cela dit, peignez-la moi en blanc !
L’avant-projet du nouveau San Mamés-Bilbainada est une honorable exception car l’un des plus grands mensonges de notre temps consisite en ces architectes qui conçoivent leurs oeuvres en s’adaptant au contexte. Tout le monde sait que Frank Gehry a recouvert le Musée Guggenheim de Bilbao avec du titane justement parce qu’on en trouve qui pousse spontanément au fond du Nervion, c’est une évidence.
Plus saignant, un cas qui a récemment transcendé les médias suite à l’inauguration de la Cité de la Culture de Galicie : par ordre de l’architecte auteur de ce projet, le respecté Peter Eisenman, les édifices ont été habillés avec du quartzite brésilien et quand on dit brésilien c’est parce qu’il vient du Brésil et qu’il a fallu l’en faire venir. C’est impressionnant comme les idées folles ne s’arrêtent pas où commencent la mer. Non, il y a des bateaux pour les faire suivre.
Voici la reconstitution d’un dialogue dramatique lors d’une réunion précédant le chantier :
Un technicien de la Xunta, au bon sens commun : … en parlant de tout et de rien, je pense que le granit galicien n’est vraiment pas mal, non ?
Peter Eisenman : Hum… non. La pierre brésilienne permet à la lumière de glisser sur Mon Oeuvre qui continue ainsi d’établir un dialogue plein et diaphane avec le Contexte qui…
Le technicien de la Xunta, au bon sens commun (murmurant) : Adieu budget, nous sommes dans la merde.
Peter Eisenman (sortant d’un état de rêverie quasi mystique) : comment… comment ?
Le technicien de la Xunta, au bon sens commun : Rien, vraiment rien. Vous êtes grand, Peter Eisenman.
Santiago Calatrava n’est ni plus ni moins que Peter Eisenman. Comme la couleur blanche est un des traits distinctifs de Son Oeuvre, cela a été un problème d’importance dès lors qu’il dut poser Son Agence sur une île d’origine volcanique, les Canaries, avec tout ce qui va avec géologiquement parlant, à savoir une pierre obscure prédominante. Par chance, pour le projet de l’Auditorium de Ténérife, quelqu’un fut capable d’avoir l’idée de transporter depuis la Péninsule les matériaux adéquats pour fabriquer un béton blanc du goût de L’Artiste et d’exécuter la plus grande partie du projet avec des trencadis* de la même couleur.
Ceci était non négociable, Calatrava n’ayant pas été satisfait de l’achèvement du Centre International de Foire et de Congrès de Ténérife situé à 500 mètres de l’auditorium : ce n’est pas que c’est moche mais ce n’est tout simplement pas blanc. Et au lieu de faire un béton normal, gris, plus discret, plus terrestre, moins cher surtout, il a fallu recouvrir de trencadis blancs une grande partie de l’oeuvre pour qu’elle brille comme elle le mérite.
Et là, il savait pour les fuites. Ce qui l’a obligé à mettre un écoulement à la pointe de l’Aile, un élément ornemental, pour recueillir toutes les eaux de pluie lesquelles sont pompées pour que les dégouttements n’enlaidissent pas Sa Création. Amazing. On ne demandera pas combien ça coûte pas plus que l’effort pour réaliser ce caprice. Par ailleurs, il se dit que, pour répondre aux normes de sécurité, L’Artiste s’est montré plus coulant. Si ça ne se voit pas…
Toujours plus cher, plus polémique et instable
Si je devais choisir une seule oeuvre pour défendre ma posture, une qui représente les aspects plus récurrents et discutables dans la trajectoire de L’Architecte, je choisirais sans doute le pont de la Constitution à Venise : il a coûté quatre fois plus que prévu. La structure présente des problèmes de stabilité et Calatrava de terminer en se disputant avec les associations des handicapés physiques, qui disent ne pas pouvoir passer sur le pont car les pentes sont trop importantes.
Cet homme est une force de la nature. Le surcoût excessif et les problèmes structurels ne sont pas nouveaux pour L’Artiste. De fait, je rêve en secret du jour où j’ouvrirais un journal titrant : «Inauguration d’un pont de Calatrava qui n’a pas coûté la peau des fesses».
La taille compte, bien sûr
Un fait objectif est que le pylône del Alamillo est le point le plus haut de Séville, au-dessus de La Giralda, ce qui a fait grand bruit dans les cercles d’intellectuels, ceux notamment des bars les plus graisseux de la ville. C’était début 92. On pourrait alors dire que Calatrava était jeune et avait besoin d’argent et que c’était une manière pour lui de se faire remarquer…
Mais, en 2005, il termina Turning Törso à Malmö, l’édifice le plus haut de la ville (et le plus coûteux de toute la Suède) et, fin 2008, il a inauguré le Pont Assut de l’Or à Valence qui est aussi la construction la plus haute de la ville.
A Oviedo, il n’y a pas un mais trois projets de 133 mètres de haut qui seront les plus importants de toutes les Asturies. Finalement, il parait qu’aucun ne verra le jour ; l’UNESCO menace de retirer la ville de la liste du Patrimoine Mondial qui considère ces machins incompatibles avec les monuments de la ville. La Mairie a pourtant rédigé une modification ponctuelle du Plan Général d’Aménagement Urbain, une broutille pour passer de sept tours permises à 39 comme le propose le projet de L’Architecte. Un bon triple-saut, mortel et sans filet.
La liste est longue. La Tour du Centre de Conventions de Castellón, les 610 mètres de la Chicago Spire… Surpris par cette succession de hasards (Calatrava arrive et perce le toit), un ami qui a étudié quatre années durant la psychanalyse – féroce, le mec – et grâce à une théorie confuse gribouillée dans une serviette, a conclu que Calatrava est l’exemple d’un individu dont les problèmes émotionnels naissent de la grandeur de son égo.
Ego, j’ai dit ego
Le pont Light Rail Train de Jérusalem n’atteint pas la cote la plus haute de la ville – bien qu’à 118 mètres de haut dans une enclave millénaire il ne passe pas inaperçu – mais la controverse est davantage liée à son design.
Des gens ont pourtant pris son parti et s’efforcent de voir une harpe ou un coeur, ce qui fait clamer à Calatrava qu’il «est bon de voir un pont parler aux gens et leur suggérer des images».
Soit. Un artiste israélien, indigné par le pont perpétré par Calatrava, est monté sur une grue toute proche et a menacé de se jeter dans le vide car il pensait que cette structure était, esthétiquement, une putain de merde – son mot exact était une «laideur» mais pour qu’il puisse avoir envie de se suicider c’est qu’elle lui paraissait épouvantable -. Il n’est donc pas difficile d’imaginer «les images qu’il suggère» ce Light Rail Train à ce type.
Ciudad de las Artes y las Ciencias
Tout ce qui a été dit ne servira à rien de plus qu’à m’énerver car il continuera d’y avoir des maires et des présidents de région pour vouloir dans leurs villes ou dans leurs communautés «un Calatrava». La justification, plus ou moins, du «nous avons décidé d’acquérir un Calatrava» est celle qu’a donné Jaume Matas quand il révéla au grand jour que L’Architecte lui avait facturé un million deux cents mille euros (1.200.000) une maquette.
Pour finir, un fait : l’écart budgétaire de la Cité des Arts et Sciences de Valence, révélé par l’opposition cet été, a atteint 587 millions d’euros** ce qui permettrait de payer à vie les pensions, pourtant très polémiques, de Felipe González et de José María Aznar à quelques jours près pendant plus de TROIS MILLE SIX CENTS ANS (3.600). Ce à quoi répond Francisco Camps : «Toute la planète reconnaît la grandeur de Calatrava et l’échec de Zapatero».
Octavio Domosti | Jot Down | Espagne
01-05-2011
Adapté par : Jean-Philippe Hugron