L’architecture (et ses architectes) en Belgique est le constat d’un paradoxe: c’est d’abord un m??tier o?? l’architecte est pr??sent et tr??s responsable de tout acte de b??tir de pr??s ou de loin ; il est reconnu comme tel par la loi. A contrario, l’architecture comme vecteur de valeurs culturelles et soci??tales, elle, fait d??faut.
Du m??me ordre, si vous demandez aux habitants d’une r??gion, d’une ville ou village,?? l’importance qu’ils portent ?? l’architecture et dans leur cadre de vie. ils vous r??pondront sans nul doute et avec discernement que l’architecture c’est extr??mement important pour l’am??lioration de leur lieu de vie… alors que l’enseignement de l’architecture comme un ??l??ment ?? part enti??re de la culture d’un lieu et d’une communaut?? d’habitants n’est toujours pas inscrit dans les ??coles, voir pire, dans les facult??s de journalisme (pour ne citer qu’elles). Dans ce dernier cas et pour cons??quence, l’inanit?? g??n??rale des articles traitant de l???architecture et commentaires journalistiques au travers des quotidiens ( ceux qui ont une culture g??n??rale en tout, sauf l’architecture) et les revues sp??cialis??es ( ceux qui n’ont qu’une culture, celle de l’architecture). Cette situation ne contribue certainement pas ?? am??liorer l’approche culturelle de l’acte de b??tir sur nos terroirs.
Un autre paradoxe est l’importance de l’architecture comme vecteur d’identit?? d’un programme politique… la culture de l’architecture en Belgique n’est pas la m??me que l’on soit en Flandre, Wallonie ou Bruxelles.
Le troisi??me paradoxe vient des architectes eux-m??mes, r??vant tous de la force de production des grands bureaux anglo-saxon tout en r??vant d’architectures sign??es de la propre main de son concepteur-artisan-architecte. Deux visions diam??tralement oppos??es et qui rendent plus d’un architecte schizophr??nique!
Comment des paradigmes aussi extr??mes peuvent-ils exister? Pourquoi l’architecture en Belgique francophone est l’enfant mal aim?? des responsables politiques et leurs ??lecteurs alors qu’ils sont vecteurs d’identit?? en Flandre? Pourquoi ce rejet conceptuel qu’un architecte ne peut ??tre ?? la fois biznessman et cr??atif?
Si d’apparence, la question culturelle semble plus sensible en Wallonie, il n’en est pourtant rien. En effet, il est remarquable de constater l’usage qui est fait de l’architecture comme facteur d’??mancipation culturelle en Flandre. N’y a-t-il pas, d’initiative r??gionale, une volont?? de publier un "vlaams architectuur jaarenbook"? La cr??ation du poste de?? "Baumeister", avec l’inspiration de l’exp??rience hollandaise toute proche ne fait rien d’autre que de contribuer ??galement ?? la mise en place d’outils sp??cifique pour " marquer le territoire" de formes architecturales qui revendiquent une certaine appartenance culturelle forte, une identit??.
La R??gion bruxelloise n’est pas en reste pour autant avec un basculement majeur de la concr??tisation de son identit?? sp??cifique par la r??alisation du concours de la place Flagey, suite d’une lev??e populaire et d??mocratique revendiquant un fait culturel bruxellois nouveau et restant n??anmoins encore ?? d??finir aujourd’hui: la valeur sociale de grands espaces publics.?? Aujourd’hui, des espaces comme la place Rogier, la place de la Monnaie vont prendre de nouvelles couleurs et renforcer cette approche socio-culturelle sur l’acte de b??tir la ville avec l’importance de ses acteurs : les architectes et les urbanistes, associ??s avec les sociologues, programmistes, … L?? aussi, la R??gion bruxelloise a prolong?? ce travail par la cr??ation d’un poste de " ma??tre architecte" et dont la fonction est similaire ?? celle d??finie en Flandre ou aux Pays-Bas.
Ces deux d??marches rel??vent d’une volont?? politique d??terminante d’??mancipation et revendication culturelle forte: sur base d’une identit?? encore en recherche, l’architecture prend une place importante car ouverte au plus grand nombre et, surtout, durablement tr??s visible. Elle ne peut toutefois ??tre comprise que gr??ce ?? la comparaison avec la Wallonie… Qui semble encore se chercher une identit??. Notons toutefois l’impact majeur de la gare monumentale de Li??ge ( S. Calatrava) qui au moins, a le m??rite de d??montrer que la beaut?? de l’architecture peut aussi rejaillir sur toute la ville. Le projet d’h??tel de police ?? Charleroi (j. nouvel et MDW) , et les projets culturels de Mons dans le cadre de sa d??signation comme capitale culturelle europ??enne sont des pr??misses encourageants de l’??mergence d’une certaine culture/fiert?? identitaire territoriale.
Le cas des valeurs architecturales de la Wallonie reste vraiment int??ressant eu ??gard ?? son parall??lisme avec l’histoire. Fin du 19eme si??cle et d??but du 20??me, la r??volution industrielle permet ?? la Wallonie une ambition accompagn??e d’une ??mancipation intellectuelle qui se retrouve ?? travers l’architecture: l’art nouveau, l’art d??co fleurissent dans les h??tels de villes, maisons du peuple et multiples maisons bourgeoises. La Wallonie devient ??galement le c??ur des id??es eug??nistes d’??mancipation du peuple gr??ce ?? la culture enseign??e, la qualit?? des logements et les plans d’urbanisme qui accompagnent la composition des complexes urbains et industriels naissants. On ignore souvent les plans de villes comme Charleroi ou La Louvi??re datant de cette ??poque, sans oublier l’ensemble des quartiers de gares qui ont ??clos au m??me moment, ?? c??t?? des villes m??di??vales centenaires. Aujourd’hui encore, l’architecture de cette ??poque n’est pas ressentie seulement comme une "belle architecture" mais bien une architecture qui repr??sente un moment de l’histoire de la Wallonie au point de favoriser une certaine nostalgie de mauvais aloi. Les architectures d’apr??s guerre, comme si ??tait d??j?? pressenti l’arriv?? des temps beaucoup plus durs, constituent une architecture de production banale et d??nu??e de sens. Bien s??r, certaines exceptions marquent les esprits comme les ??uvres de Panis, Dupuis ou Bastin pour ne citer qu’eux. Mais le constat de l?????poque est le retour d???une ambition architecturale ailleurs que dans l’architecture publique. En effet, en m??me temps, la production de maisons unifamiliales contemporaines reste de tr??s belle facture. Les maisons de Dupuis, dans la r??gion montoise, ?? Bruxelles et en Flandre en restent la preuve.
C’est probablement ?? ce
tte ??poque que l’architecture, comme vecteur culturel identitaire wallon, perdit son aura conjugu?? par un repli ??conomique de toute la r??gion accompagn?? par l’exode urbain bruxellois dans les ann??es 70 et 80 avec des primo-arrivant au r??f??rentiel tr??s diff??rent des allochtones wallons. Les architectes contribu??rent ?? cette perte par la construction de masse qui, paradoxalement, r??pondait particuli??rement bien ?? leur vision d’un architecte au service du client, dans une relation intime ma??tre d’oeuvre-ma??tre d’ouvrage rassurante et renouant avec la d??finition de l’artisan-architecte, telle que Horta l’avait magnifi?? 80 ans plus t??t avec ses h??tels bruxellois.
Et qu’en sera-t-il de demain pour des jours plus heureux?
Cette question pr??sente plusieurs facettes et r??ponses. Premi??rement, l’??volution du march?? de l’architecture avec ses contraintes de plus en plus fortes obligent les architectes ?? s’associer. Ce paradigme ouvre ?? la fois de nouvelles perspectives pour des associations plus fortes, entre autres, pour aller travailler au-del?? des fronti??res. Deuxi??mement, la r??forme de l’enseignement de l’architecture ouvre plus clairement le champ d’opportunit?? des d??bouch??s professionnels. Je ne citerai que le besoin croissant des "architectes communaux" ou "CATU", conseillers en am??nagement du territoire et urbanisme, devenus obligatoire en R??gion wallonne. Ces deux premi??res ??volutions du m??tier d’architecte r??duit drastiquement l’offre des prestataires et aura certainement dans les ann??es ?? venir un impact important sur la valorisation (enfin!) des honoraires. Dans ce nouveau paysage, restent les architectes ind??pendants, l’architectus belgicanus de race wallonicus, bruxellus ou flandrius.?? Gageons que dans le cadre de la cette restructuration notre profession, ils pourront reprendre leur place car choisi par leur client pour la bonne cause : faire de l’architecture, au sens culturel et soci??tal du terme.
Tout le monde y trouverait donc son compte? Peut-??tre mais dans l’attente de jours plus heureux des professionnels de l’art de b??tir, faudrait-il aussi qu’un examen de conscience puisse se faire pour renouveler le m??tier d’architecte eu ??gard aux enjeux du 21eme si??cle : pluridisciplinarit??, technicit??, complexit?? avec des architectes chefs d’orchestre, offrant un petit suppl??ment… d’art.
Par cet article nous avons voulu d??monter un possible futur de la profession, ce possible est de la responsabilit?? des architectes assumant leur histoire belge, diff??rente des autres pays europ??ens. Une richesse ?? ne pas perdre et qui doit se compl??ter aussi pour le retour de la culture architecturale, vecteur d???une identit?? assum??e, tant par les responsables politiques donnant l’exemple que la nouvelle bourgeoisie devant na??tre du renouveau urbain de Bruxelles tout autant que du red??ploiement ??conomique wallon.