LETTRE OUVERTE POUR PROTÉGER LE/LA GARDIEN(NE) DE l’ ARCHITECTURE A BRUXELLES ET A CHARLEROI

image : Park Hill, Shieffield, Angleterre. arch. Jack Lynn Ivor Smith sous la direction de L. Womersley
Il semblerait que le monde politique francophone n’aime pas (ou plus) les maitres architectes, qu’ils soient de gauche comme de droite.

En quoi en auraient-ils peur ?

Plus que la personne, il semble que le choix d’un des Gardiens de la Cité (pour paraphraser Platon, dans La République, livre III) pose problème au modèle politique belge, particulièrement francophone. Cela me renvoie à un article que j’avais publié dans les cahiers de l’urbanisme en 2012 (Région wallonne) relevant que le pouvoir ne s’accommodait pas de la beauté. Cette beauté, qui est d’abord une affaire d’éducation et seulement ensuite de débat. Bien sûr, on m’opposera que les maitres architectes de Charleroi et de Bruxelles ont leurs petites habitudes et c’est à débattre comme avec tous les gardiens de la cité.

Mais l’enjeu n’est pas à ce niveau.

Un autre sujet est le coût d’un maitre architecte. Ici, ce n’est pas à un architecte qu’il faudra faire la grimace : il sait qu’une bonne architecture, c’est le meilleur investissement des deniers publics avec un retour sur investissement colossal pour la collectivité. Quoi qu’en disent certains, ce travail commence aussi à porter ses fruits tant à Bruxelles qu’à Charleroi où l’on voit une identité architecturale s’améliorer.

La fierté d’y vivre.

Peut-être est-ce cela finalement le plus important : je commence chaque année mes cours de typo et morphologie urbaine à l’université par cette phrase de Le Corbusier : « l’architecture, c’est lorsque l’inutile devient indispensable« .
… Il était inutile de mettre des écoles sur les toits des cités radieuses et pourtant, c’est cela qui fait que ces logements initialement sociaux continuent à être agréables à vivre et ne disparaissent pas comme nombre d’autres cités.

Mais c’est aussi à ce moment-là que le maitre architecte prend beaucoup (trop ?) de pouvoir car, comme tous logements de qualité (aidé en cela par le BMA), les utilisateurs s’approprient les usages et en créent de nouveaux non régulés par le politique. L’architecture c’est la liberté qui détermine de nouvelles identités « fiers de vivre ou de travailler-là ». Elle a un rôle politique.

C’est peut-être la raison pour laquelle l’initiative des maitres architectes a émergé initialement du modèle néerlandais et protestant. Dans cette culture, le peuple délègue son pouvoir aux administrations et aux politiques à condition qu’il soit surveillé par des des tiers « gardiens » indépendants, qui ne sont ni des politiciens ni des élus, et qui sont nommés pour une période déterminée avant d’être ( souvent) remerciés, car le pouvoir corrompt, même les Gardiens.

La Flandre a lancé le modèle du maître architecte, car elle devait utiliser l’architecture comme vecteur d’identité sociale et culturelle. A contrario, aujourd’hui, le BMA anversois semble avoir de plus en plus de difficulté face à un pouvoir de plus en plus nationaliste. Le BMA a donc bel et bien un rôle de contrôle des citoyens sur le plan politique et administratif, qui s’oppose à un pouvoir. Dans le modèle politique belge, ce n’est pas rien… voir transgressif.

Enfin, Bruxelles et Charleroi : à Charleroi, on ne renouvellera pas le mandat pour un nouveau BMA, car « il était trop contraignant et coûtait trop cher« . Sous le couvert de cette phrase, pointe clairement la difficulté d’une nouvelle culture où le politique est contrôlé par un Gardien et devra donc rendre des comptes aux habitants. Il est plus facile de faire rêver pendant les élections que de défendre le bilan de ce qui ne sera pas fait pas dans une ville qui manque cruellement d’identité architecturale contemporaine. Une identité qui reste donc à construire, entre autres par la culture architecturale. En outre, on oublierait vite les centaines de millions d’euros qui sont tombés dans l’escarcelle carolorégienne avec les fonds européens, simplement parce que les dossiers étaient bons et qu’ils étaient pensés de manière globale et transversale…. bref, le quotidien d’un architecte. Le politique a fait le reste.

À Bruxelles, les politiques ont bien compris le rôle identitaire du BMA. Toutefois, il semble que les architectes eux-mêmes préféreraient s’accommoder d’une régression culturelle et architecturale en se passant d’une nouvelle BMA. Car finalement, depuis l’arrivée du premier BMA, Olivier Bastin, l’architecture est-elle encore aussi médiocre que la fin du siècle passé ou bien s’est-elle élevée au rang de débat culturel ? Pour l’avoir vécu, reconnaissons que si chacun des BMA bruxellois avait ses petites manies, globalement, la qualité architecturale du « banal » s’est grandement améliorée ! Nous ne parlons pas ici des projets majeurs, tels Kanal ou d’autres sites, comme la RTBF et faisant l’objet de concours. Nous parlons d’ensemble de logements, la banalité du quotidien, tellement nécessaire à la démographie bruxelloise, mais colloquée le plus souvent jusqu’au début du 21e siècle à la médiocrité promotionnelle.

Comment s’en sortir ?

Certains proposent de nouvelles solutions avec des comités d’experts et autres nouvelles commissions. Je me dois ici de rappeler le rôle et le devoir d’un Gardien de la cité (selon la vision de la démocratie par Platon): le rôle du gardien est d’être indépendant de toutes influences pour contrôler le fonctionnement de la cité. C’est parce qu’il a un devoir de neutralité et d’indépendance qu’il peut se permettre de faire des choix qui ne vont pas dans le sens de l’air du temps. S’il échoue, il est remplacé et le débat avant l’élection du nouveau BMA bruxellois était sain : il ne s’est plus représenté ! Preuve que ça marche… Ces fameux gardiens.

A contrario, je doute fortement que le grenouillage encommissionné d’experts (cf . d’autres commissions en place…) soit compatible avec la qualité de l’architecture, qui nécessite nécessairement un engagement et donc d’un débat public.

Du côté de Charleroi, le BMA a également été remercié après, il est vrai, de nombreuses critiques sur ses missions. On sent déjà le vent tourner où la lueur des projets d’architectures comme vecteur(s) d’identité(s) dans une ville qui en a grandement besoin, n’est déjà plus un sujet. Mieux, on cherche les projets… Ce sont les habitants qui en paieront le tribu avec une ville pauvre et sans grande attractivité, car aujourd’hui, le nerf de la guerre de la compétition urbaine c’est justement une identité forte et qui passe par l’architecture (aussi).

Est-ce vraiment cela que Bruxelles et Charleroi veulent ? Le retour à la médiocrité banale de l’architecture pour le plus petit dénominateur commun encommissionné ? Toutefois, je ne peux en vouloir aux confrères architectes. Je pense que les francophones préfèrent se complaire et se complaindre dans cette banalité architecturale que les quelques coups d’éclat talentueux de certains confrères ou consoeurs n’arriveront pas à effacer.

Pauvres villes et surtout leur avenir !

Je termine cette lettre ouverte par les mots de Hans Scharoun : « On ne peut pas vouloir en même temps construire une société nouvelle et reconstruire les bâtiments anciens. » Charleroi et Bruxelles semblent vouloir revenir aux modèles anciens. Ce n’est pas bon signe pour le bon fonctionnement de la démocratie.

Dr Pascal SIMOENS

urbaniste , architecte
Enseignant-chercheur à la faculté d’architecture et d’urbanisme de l’Université de Mons
Baron, nommé par le Roi, représentant des université d’État au Conseil National de l’Ordre de Architectes (CNOA)
Trésorier du Conseil francophone et germanophone de l’Ordre des Architectes (CfgOA)

En complément : Architectus Begicanus, 2012

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