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mots-clés : Région wallonne, territoire, pouvoirs locaux, SDT, SDER, CCATM, climat, DNSH, gouvernance, intercommunalité
Chers lecteurs,
Avant de partir en vacances, tous les citoyens wallons ont pu s’exprimer sur leur futur territoire commun grâce à l’enquête publique du nouveau SDT wallon qui remplace le SDER datant de 1999. Il était temps de le réviser, le transformer et changer de cap avec un nouveau projet de territoire à l’échelle wallonne pour nous conduire à 2050. Ce projet implique un changement radical de posture sur le développement territoriale en visant à réaliser le double objectif d’inscrire une trajectoire d’artificialisation nette de zéro d’ici 2050 et de lutter contre l’étalement urbain d’ici 2050 donc concrètement, la création de trois unités de logement sur quatre dans les centralités définies et cartographiées dans le futur SDT. Des centralités de couleur rouge sur les cartes du nouveau SDT.
À l’écoute des auteurs du projet de ce plan (les universités et l’administration wallonne, les zones délimitant concrètement demain là où vous pourrez continuer à construire après 2050 restent floues pour permettre aux communes de définir conjointement et localement les limites réelles des zones de construction.

Pour rappel, les mécanismes de restrictions des constructions sur des terrains vierges seront d’application à partir de 2028 (pour autant que le projet passe la rampe du GW d’ici à la fin de l’année) et consistent aux principes suivants :
- Il ne sera plus possible de construire sur des terres vierges de toutes constructions dans les villages dès 2028 et dans les noyaux urbains en 2050. Entre les deux, une période de transition sera activée, sous le contrôle de l’administration régionale.
- La question de la densité sera également à l’ordre du jour et où les villages seront dédensifiés au profit des villes.
- Les « villes » colorées en zone rouge sont différenciées des espaces urbains secondaires en orange par leur position stratégique de plateforme de mobilité multimodale : la conjonction d’une gare avec des lignes de bus, des services et commerces et de la densité.
Il découle de ces options de planification assez ambitieuses d’une nouvelle hiérarchie territoriale, à tout le moins, le renforcement de tendances qui se font déjà sentir avec la redynamisation des grands pôles régionaux. Pour ne citer qu’un exemple des conséquences, ce sera demain la difficulté des classes moyennes à encore s’offrir une mobilité élargie tout en vivant dans les villages wallons situés en périphérie des grandes villes. La dernière étude statistique belge démontre en effet que ces territoires périphériques sont les espaces les plus motorisés (à défaut d’avoir des transports en commun dans un territoire peu dense). Néanmoins, cela ne durera pas, par défaut de pouvoir continuer à avoir les moyens d’acheter la voiture au fiston et la fille pour aller à l’école. Pire, la question d’avoir au moins 2 voitures dans le ménage va se poser dans les 20 prochaines années pendant que les voitures thermiques seront peu à peu interdites en ville. Le prix de la nouvelle mobilité ne sera pas sans heurt. Nous en avons déjà précisé de nombreux éléments sur ce blog.



À la recherche d’une nouvelle gouvernance
L’objet de notre article est de réfléchir à la manière dont les communes vont mettre en place ce nouveau SDT face aux enjeux de subsidiarité. Concrètement, les villes en décentralisation devront dans les 5 ans adapter leur schéma de développement communal (SDC). Cette adaptation est essentielle pour les communes qui désirent rester maitres de leur territoire. Toutefois, nous doutons de la capacité, tant des communes que des opérateurs économiques, à répondre à cette demande massive en un délai aussi court. Une étude de ce type dure à minima 2 ans, sans compter les procédures de sélection et les bureaux d’études capables d’y répondre qui se comptent sur deux mains ! Précisions encore que ces études soient mal rémunérées, ainsi, un bureau d’étude qui ne travaillerait que sur ce type d’étude pendant 3 ou 4 ans est voué à une faillite certaine, sans oublier l’habitude wallonne de payer en retard les équipes de projet. Bref, pour les communes, ce n’est techniquement pas possible de déléguer ce travail. Toutefois, le plus souvent, elles n’ont pas les compétences en interne pour mener à bien ce type d’étude complexe. Un projet qui nécessite des urbanistes, un métier qui vient juste d’être reconnu par l’ARES avec l’accréditation du master en urbanisme auprès des universités francophones. Ce Master sera activé à partir de l’année académique 2024-2025 et la formation de 120 crédits durera 2 ans, soit les premiers urbanistes formés en communauté française sortiront en 2026 pour des projets à terminer en 2028.
En d’autres termes, c’est mal emmanché et la décentralisation risque fortement de devenir une centralisation renforcée par défaut d’adaptation du schéma de développement communal (SDC) au nouveau schéma de développement territorial régional (SDT).
L’autre possibilité est l’intercommunalisation des SDC et de laisser les intercommunales se charger d’implémenter les limites d’urbanisation de chaque commune. C’est certainement la meilleure alternative aux objectifs fixés par la région. Mais sincèrement, posons-nous la question sur le municipalisme exacerbé de nos élus qui devraient pourtant penser que si une ville comme Charleroi ou Mons venait à se renforcer au détriment des communes périphériques, ce serait également dans l’intérêt de celles-ci. Imaginons une commune comme Ham-sur-Heure ou Montigny-le-Tilleul perdre de leur attractivité au profit de Charleroi… imaginons !
Pourtant, Philippe Destatte précise dans un intéressant article (La coconstruction, corollaire de la subsidiarité en développement territorial, 3 août 2023) les besoins d’une co-construction du territoire en fonction des enjeux du SDT. Il reprend les termes de Sophie Hanson, chercheuse à l’ULiège résumant bien judicieusement le risque : en l’absence de projet commun, le principe de subsidiarité ne peut que conduire à un échec[1] (source en ligne ici ) .
Les principes de subsidiarité
La question de la subsidiarité qui veut que si la politique communale répond aux enjeux du territoire, la commune puisse profiter d’un taux de subsidiarité supérieur n’est pas neuf. Toutefois, les objectifs annoncés de cette politique appliquée depuis le SDER ont quelque peu été dévoyés pour maintenir les effets de jeux d’influences au détriment des intérêts communs. C’est la rançon du succès d’une politique fortement décentralisée et souvenons-nous de cette expression de l’ancien président de la Région wallonne, Jean-Claude Vancauwenberghe : le parlement wallon, c’est un gros conseil communal. Le décret limitant le cumul des mandats, voté lors de la législature 2009-2014, ajoutant l’incompatibilité avec une fonction au sein d’un exécutif local (bourgmestre, échevin ou président de CPAS) a réduit à 25% le nombre d’élus d’un groupe autorisés à cumuler leur mandat parlementaire avec une fonction dans un exécutif local. Dans les faits, ce sont souvent les parlementaires les plus médiatisés…
Il y a donc une vertu de la subsidiarité qui est contrebalancée par les intérêts communaux singuliers. Dans ce contexte, que se passera-t-il demain vis-à-vis de la mise en œuvre du nouveau SDT ? Nous allons parler du DNSH européen qui est en train de transformer l’approche de la subsidiarité.
Le DNSH en quelques lignes : DO NOT SIGNIFICANT HARM

La définition du préjudice environnemental significatif s’articule autour de quelques concepts qui restent encore aujourd’hui à préciser, au-delà des réglementaires, particulièrement au niveau de l’application. C’est entre autres cette période de transition qui rend le projet « innovant » tant à l’échelle Wallonne qu’européenne.
La régulation DNSH, « Do Not Significant Harm » (Ne Pas Causer de Dommages Importants), présentée par l’Union européenne, marque une étape cruciale dans la gouvernance axée sur la responsabilité et la durabilité. Cette proposition vise à encadrer les activités afin de minimiser les impacts négatifs sur la société, l’économie et l’environnement, tout en favorisant l’innovation et la croissance.
La régulation DNSH repose sur plusieurs principes clés :
- Évaluation des Impacts
- Protection des Droits fondamentaux
- Durabilité environnementale
- Innovation responsable
- Transparence et Reddition de Comptes.
- Collaboration internationale
Le principe DNSH interdit les investissements qui causent un préjudice environnemental significatif. Mais qu’est-ce qu’un préjudice environnemental significatif ? La définition de ce concept est complexe et fait l’objet de débats. Le « préjudice grave » est généralement défini comme un préjudice qui est significatif par sa nature, son ampleur, sa durée ou sa répercussion. Les publications récentes abordent les différentes dimensions dudit préjudice. Elles abordent également l’ampleur du préjudice, qui peut être mesurée en termes de quantité, de concentration ou de durée. Enfin, elles discutent de la répercussion du préjudice, qui peut être locale, nationale ou mondiale.
L’évaluation du préjudice grave est une tâche complexe qui nécessite une approche multidisciplinaire. Différents critères sont identifiés et peuvent être utilisés pour évaluer le préjudice. Parmi ces critères, on peut citer la gravité du préjudice, sa probabilité, sa réversibilité, sa substitution et sa compensation. Ces notions doivent être définies de manière précise et objective pour garantir l’efficacité du principe.
Précisons qu’une définition plus concise du concept émerge peu à peu et doit encore être avalisée à travers son application à des projets concrets : le préjudice grave est un préjudice qui est significatif par sa nature, son ampleur, sa durée ou sa répercussion. Ces notions complexes doivent être évaluées sur une méthode adaptée au contexte territorial dans lequel il s’applique dans les principes « think global, act local ». On notera ses implications importantes pour les investisseurs, les entreprises et les décideurs publics.
En somme, la régulation DNSH de l’UE illustre une approche novatrice pour encadrer les investissements en tenant compte de leur impact sur la société et l’environnement. Elle vise à créer un équilibre entre l’innovation numérique et la responsabilité, tout en établissant des normes qui contribuent à un avenir numérique durable et éthique.
Gouvernance, co-construction et DNSH
Concrètement, qu’est-ce que cela va impliquer pour les pouvoirs publics ? En fait, L’UE a eu un trait de génie pour atteindre ses objectifs de neutralité carbone en 2050 : l’argent ! Finalement, tout financement par la BCE devra répondre au DNSH. Une analyse d’impact de la subsidiarité sur les investissements communaux a déjà commencé. En effet, tous les investissements dans le cadre du PRR (plan de relance et de résilience porté par le secrétaire d’État Thomas Dermine) ou les fonds FEDER nécessitent un rapport DNSH. Si le projet est clairement non environnemental, le risque est de voir disparaitre les subsides annoncés est bien réel et l’influence du bourgmestre sur les experts européens est bien faible. La région n’a donc plus le choix, elle doit trancher dans les enjeux financiers qui répondent réellement au DNSH.
Actuellement, nous sommes dans une phase de transition et notre expérience avec des communes ou les auteurs de projets montre qu’ils ne maitrisent pas encore les enjeux de ces documents administratifs supplémentaires à remplir ! Néanmoins, le chemin s’affine et précisons encore que l’ensemble des outils sont déjà à la disposition des communes pour y répondre.
Dans ce contexte, la délimitation des politiques d’urbanisation des territoires communaux va avoir un impact majeur dans le financement des projets subsidiés. Une commune non vertueuse verra décliner ses subsides. Ensuite viendront les financements privés (construction d’un lotissement, d’une MRS, etc.). Ce ne sera plus les pouvoirs publics qui décideront, mais bien les banques qui, elles aussi, devront répondre au DNSH pour mieux se financer à la BCE. La boucle est bouclée.
Le mécanisme du DNSH est donc déjà appliqué en Région wallonne et sera appliqué à tous les investissements demain. Les experts évaluent la transition sur un délai de 4 à 5 ans… dans le même délai que la mise en conformité des projets communaux au nouveau SDT. 2030 sera un nouvel horizon qui ouvra à bien des changements et pour atteindre cet objectif, une nouvelle forme de co-construction de l’espace et territoires devra se mettre en place. À défaut, tout le monde y perdra.
Pour co-construire ensemble : quelques pistes
Nous imaginons 3 niveaux de co-construction qui nécessiteront une décentralisation du pouvoir qui ne sera plus uniquement aux mains des élus. Ce sera un gage de résilience.
- Premièrement, la délimitation des zones constructibles dans les communes doit être l’opportunité de la pédagogie : il va falloir expliquer aux gens qu’ils ne pourront plus construire n’importe où et que s’ils ne veulent pas l’entendre, c’est l’ensemble de la collectivité qui en pâtira par manque de moyens collectifs.
- Ces choix doivent être arbitrés au niveau intercommunal. Par exemple des structures comme Charleroi métropole pourrait être étendu à la Région du centre et le Borinage. Des structures de « territoires de vie » et pas seulement à caractère économique.
- La place des habitants et des experts pour répondre à ces nouveaux challenges est essentielle. Il faut expliquer ce qui se passe lorsque le changement est aussi radical, sinon, cela fera le terreau des populismes qui sont déjà à notre porte.
Le temps est compté. Nous ne pouvons pas attendre. Malheureusement, la supracommunalité wallonne n’en est qu’à ses balbutiements. Elle pourrait devenir demain la structure de sauvetage des territoires pensé au-delà des limites communales sans pour autant penser aux fusions de communes dont les traumatismes anciens sont à peine oubliés.
Bonne et belle journée à vous.
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Pascal SIMOENS Architecte et urbaniste, data Scientist. Expert Smart Cities. J’ai commencé ma vie en construisant des villes en Lego, j’en ai fait mon métier. Geek invétéré, aujourd’hui je joins mes passions du numérique et de la ville au travers d’une expertise smart Cities et smart-buildings en travaillant en bureau d’étude (Poly-Tech Engineering) et j’enseigne cette même expertise à l’UMONS et l’ULB.
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[1] Sophie HANSON, Le principe de subsidiarité constitue-t-il un bon outil pour assurer la répartition des missions dans un contexte supra-communal ? dans Actes du colloque “La fabrique des métropoles”, 24-25 novembre 2017, ULiège, 2018.
